La boîte à Polars de Jean-Rémi Barland. ‘Galerie des glaces’ d’Eric Garandeau : course poursuite entre les siècles et les continents.

Publié le 20 septembre 2021 à  10h57 - Dernière mise à  jour le 1 novembre 2022 à  16h27

Eric Garandeau, maître artificier du polar à tiroirs va avec «Galerie des glaces» plus loin dans son analyse de la mondialisation utilisée comme arme de guerre et promène le lecteur dans la Venise de l’invention du commerce, la Versailles de l’invention industrielle et dans Lagos ville-monde propice ici à la volonté de puissance et au pouvoir intemporel des fables…

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Intellectuellement et socialement parlant, Eric Garandeau n’est pas n’importe qui. Haut fonctionnaire français, inspecteur des finances, ancien conseiller culturel de Nicolas Sarkozy à l’Élysée de 2007 à 2010, puis président du CNC de 2011 à 2013, également administrateur de France Télévisions, (2011- -2013), administrateur d’Arte (2011-2013), et vice-président du conseil d’administration du Festival de Cannes (2011-2013). Nommé Capitaine de frégate en 2015 au titre de la réserve citoyenne, il propose au ministre de la Défense la création d’une Mission Cinéma en son sein, dont il devient conseiller le 10 mai 2016. Il propose aussi la création de l’Intelligence Campus, qui ambitionne de devenir le premier écosystème européen civil et militaire en traitement des données. Nommé chef du projet en septembre 2015, il anime une équipe de 80 personnes constituée pour moitié de réservistes citoyens venus de tous les horizons.

L’Intelligence Campus est officiellement lancé le 23 mars 2017 par le ministre de la Défense sur la base aérienne BA110 de Creil. Il est actuellement Président de Garandeau Consulting, société de conseil en innovation et ingénierie de projets dans le domaine culturel, audiovisuel et de la transformation numérique. Garandeau Consulting intervient notamment sur le pass Culture pour les jeunes et la modernisation des studios de cinéma de Bry-sur-Marne en lien avec l’INA et la villa Louis Daguerre. Eric Garandeau intervient aussi à la demande du maire de Nice pour proposer la renaissance des studios de cinéma La Victorine, qui fêtent leur centenaire en 2019. Un comité Victorine a été créé en ce sens, réunissant des personnalités prestigieuses. N’en jetez-plus… mais on pourrait ajouter sa grande connaissance des médias, de la chanson, et des liens entre la mondialisation et l’Histoire passée.

Un thriller… évidemment glaçant

Sans oublier, comme si cela ne lui suffisait pas, la signature de deux thrillers savamment construits où le récit impose un univers hors normes, privilégiant en fait l’intrigue au style, qui est net et précis mais pas très inventif, offre des dialogues au scalpel. Déjà dans «Tapis rouge » un polar à situer entre OSS117 et l’Homme de Rio, le tout mâtiné d’une pointe de Blake Edwards, et dont l’action prend ses racines au Festival de Cannes, il offrait une plongée sanguinaire dans les rapports que les gens de pouvoir entretiennent avec l’argent et leurs administrés. Avec «Galerie des glaces », Eric Garandeau va plus loin encore dans son analyse de la mondialisation utilisée comme arme de guerre et le fait en promenant le lecteur dans la Venise de l’invention du commerce, la Versailles de l’invention industrielle et dans Lagos ville-monde, propice ici à la volonté de puissance et au pouvoir intemporel des fables.

Un détective privé myope et astigmate et une étrange veuve

Au centre de ce kaléidoscope s’impose la figure de Gabriel Thaumas, dit Gaby, flic français en retraite devenu détective privé, un « littéraire » se nourrissant de «bulles de poésie qui remontaient depuis l’enfance et faisaient surface, comme des cadavres après avoir gonflé dans un recoin de mémoire.» Un homme Poissons ascendant Poissons, chez lui partout et nulle part, féru de mécanique autant que de films de genre, myope et astigmate, souffrant d’une luxation du cristallin oculaire, du syndrome de Marfan en fait, une maladie rare expliquant de vastes douleurs thoraciques. Ce qui ne l’empêche nullement de percevoir la réalité des choses au-delà de leur enveloppe visible. Aussi prête-t-il une attention particulière à l’appel téléphonique d’une certaine Karolyn Obkowicz, tant il perçoit après ses explications combien l’affaire est importante. Veuve d’Alexandre Obkowicz, président flamboyant de la Manufacture, un groupe industriel français devenu numéro un mondial dans «la production et la transformation de matériaux de construction et la fourniture de services», elle désire voir Gabriel au plus vite. Afin d’enquêter sur la mort pour le moins suspecte de son mari, qui, pourtant pilote chevronné s’était selon la version officielle écrasé de manière accidentelle «aux commandes de son avion-bimoteur, après avoir quitté l’aérodrome de Toussus-le-Noble, situé à six kilomètres de Versailles».

Un capitaine d’industrie mélange de Citizen Kane et de roi Midas

Né avec une cuiller en or dans la bouche, tenant à la fois de Citizen Kane et du roi Midas, père de cinq enfants appelés par ordre d’apparition Adélaïde, Marie-Aymée, Isaure, Marie-Caroline et Charles-Quint, le petit dernier et seul garçon fermant le ban, Alexandre semble avoir mené une double vie dont sa veuve était parfaitement au courant. Seul fils Charles-Quint ? Certainement pas. A Makoko au Lagos, dans cette « Black Venice », la Venise noire Alexandre a croisé la route de Cozkri Kloyinbo, une princesse dont il a eu un fils appelé Benoît et qui héritera des parts de son père dans ses affaires au Nigeria. Et pas que…Notre détective parti là-bas en Afrique où il semblerait que se trouvent des explications de la mort d’un Alexandre dont après investigations nouvelles sérieuses, on a après sa mort retrouvé dans le corps des traces de substances chimiques, de l’arsenic, de l’atropine, de l’oléandrine, de l’hydroxycoumarine, une espèce de cocktail bizarre, mais aussi…du verre pilé. Tiens tiens…, serait-ce en rapport avec des événements passés… liés à l’histoire de la galerie des glaces de Versailles et de la Venise blanche… d’Italie. Un certain Jean-Marc Haresse, responsable de la branche Verte de la Manufacture, Jean-François Guédéon, dit Jeff, et Ayna Isak, la nièce de Sofia Boustani, commissaire divisionnaire parisienne ayant travaillé avec lui vont l’accompagner dans ses investigations. Des questions demeurent : En voulait-on au groupe d’Alexandre engagé dans des projets Secret Défense ? Et pourquoi tous les voyages d’Obkowicz au Nigeria ? Le marabout de Lagos consulté par Gabriel lui précisera qu’une sorcière venue d’un passé lointain tirerait les ficelles de cette sombre histoire. Et elle vient d’un monde lointain.

Un crime dont l’origine remonterait au XVIIe siècle

Les origines du crime, en effet, remonteraient au XVIIe siècle, à Murano et à Versailles, sur les traces de Giovanni Ponto, jeune verrier appartenant à une famille de miroitiers kidnappés par les espions de Colbert pour livrer l’un des plus grands secrets à la cour du roi Louis XIV à savoir le fabrication des miroirs, qui feront la splendeur de la galerie des glaces de Versailles. Avec des portraits au vitriol du glacial Colbert surnommé, non sans raison « Le Nord », que l’on voit s’opposer à Le Vau, jardinier royal et royal jardinier, d’une vieille dame de 102 ans mais très alerte, d’espions industriels, le tout enveloppé de rites vaudous, de sociétés secrètes, de l’étonnant sigle MAS, d’une estampe maléfique, et de va-et-vient entre passé et présent.

Polar hors normes

Étonnant polar, érudit et fin traversé de pensées profondes, d’ironie mordante : «Lagos est un panier de crabes, chacun s’efforce de marcher sur l’autre pour se hisser vers la sortie.» Réflexion que l’on doit paraît-il à Femi Fatoba, un poète égaré dans une revue pour investisseurs, «Galerie des glaces » c’est Dumas, Féval, Ponson du Terrail, Arthur Bernède, chez le Dan Brown du «Da Vinci Code». Mais sans plagiat cette fois, puisque l’on sait que la première scène du même «Da Vinci Code » est la réplique exacte du roman Belphégor. Eric Garandeau qui dédie son roman «aux verriers et miroitiers de Murano enlevés sur ordre de Colbert pour contribuer à la grandeur de la France» excelle à proposer une intrigue à tiroirs palpitantes analyse aussi en filigrane les liens complexes entre l’Europe et l’Afrique d’aujourd’hui. Et montre dans ce mentir-vrai romanesque qu’aurait plébiscité Aragon, (cité avec Gide et Hugo) combien «les miroirs sont l’éternel reflet de la fugacité universelle.»
Jean-Rémi BARLAND

«Galerie des glaces » par Eric Garandeau. Albin Michel, 317 pages

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