La boîte à Polars de Jean-Rémi Barland. ‘La fureur des mal-aimés’ d’Elsa Roch: bouleversante variation sur les enfances brisées.

Publié le 30 mai 2021 à  21h38 - Dernière mise à  jour le 31 octobre 2022 à  18h01

Dans une des enquêtes de Maigret, Georges Simenon décrivait sous le nom de «l’homme du banc» un être malmené par le sort , épuisé de vivre qui tentait d’oublier dans une sorte de solitude en forme d’appel au secours toutes les humiliations subies. A son tour Elsa Roch, une voix qui compte désormais dans le suspense hexagonal, s’attache à nous présenter son homme du banc, sauf que celui-ci est policier.

Elsa Roch propose avec
Elsa Roch propose avec

Il s’appelle Amaury Marsac. Commissaire, il affectionne de s’installer sur son « banc » du square du Vert-Galant, situé dans le premier arrondissement parisien, qu’il considère comme sa soupape de sécurité, là, où il chasse les horreurs du métier avant de rentrer chez lui. Mais en cette nuit du 24 décembre, son refuge de décompression se trouve gangrené par le Mal. Dans une poubelle du jardin public gît en effet un cadavre. « Un corps masculin, de type européen, gisant nu tête basculée en avant, bras et jambes repliées, autour de son ventre béant rempli de mort-aux-rats.»

Avec son adjoint le capitaine Marc Raimbault (un géant d’un mètre-quatre-vingt-dix, âgé de 52 ans, dont quinze passées à la Crim’), aidé en cela par Rebecca Keller, légiste à l’Institut médico-légal, Amaury Marsac va pouvoir identifier la victime : il s’agit de Paul Resca industriel de haut vol, dont l’entreprise est cotée au CAC40 inconnu des services de police et dont la brillante carrière s’est donc achevée dans une benne à ordures d’un parc près de la Gare-de-Lyon, le corps éviscéré et le crâne brisé.

Notre flic désabusé et au moral peu flambant (que les lecteurs d’Elsa Roch ont déjà croisé dans d’autres aventures sanglantes) n’est pourtant pas au bout de ses surprises. Plus tard, le 27 décembre, Jonathan Sponville, 62 ans, domicilié rue Berger, dans le 1er arrondissement parisien, est retrouvé lui aussi le crâne défoncé, éviscéré, mais sans ajout de mort-aux-rats. Et ce n’est pas fini. Dans la nuit du 28 au 29 décembre, Benjamin Rey, 62 ans, domicilié rue de Rivoli, (encore le 1er arrondissement), est retrouvé assassiné, dans cette même rue, le corps jeté dans une poubelle.. Les crimes sont-ils liés ? On sait seulement que l’exécuteur semble gaucher, et que ces morts semblent liées.

Un enfant perdu

Apparaissent un à un des proches des victimes, dont Solange Resca, femme de Paul qui semble devoir hériter de son défunt mari, son fils Raphaël, sans oublier John Borettra et Manu Kadirof, deux SDF du cabanon du Vert-Galant, très vite soupçonnés. Mais où le roman surprend le lecteur -que l’on embarque comme il se doit, polar oblige, dans un dédale de fausses pistes- c’est qu’il s’attache à décrire avec minutie le parcours d’un garçon paumé qui prétend s’appeler Alex Surri, être né le 12 mars 1976, ce qui semble peu vérifiable puisque aucune trace administrative officielle du moindre Alex Surri n’a pu être décelée sur le territoire. Sa présence square du Vert-Galant au moment du premier meurtre conduit la police à le mettre en cellule. Jusqu’à preuve de son innocence. Mélangeant deux époques, nous plongeant dans le Paris d’aujourd’hui et dans les années 1980, Elsa Roch brosse avec Alex le portrait d’un enfant perdu qui a fui l’appartement familial, et qui vit dans la rue, après bien des déboires. Ce qui d’ailleurs va émouvoir l’inspecteur Raimbauld, qui né « d’une désunion amoureuse, d’un raptus sexuel » comme il se plaît à le répéter fut abandonné à la naissance. Les affaires se succédant ce flic cabossé de la vie voit son psoriasis s’enflammer et ses jambes prendre la couleur rouge sang. De quoi compatir donc tout en gardant néanmoins la tête froide.

La beauté cruelle de la vengeance

Comme l’a fait Sébastien japrisot dans «L’été meurtrier », on verra comment « La fureur des mal-aimés » polar au titre très explicite, demeure une variation sur les enfances brisées, et une plongée dans la beauté cruelle de la vengeance. On découvrira aussi pourquoi l’autrice cite cette phrase de Dostoïevski : «Rien ne peut compenser une seule larme d’un seul enfant», et les raisons fondatrices de l’évocation en trompe l’œil de Sils-Maria le petit village des Alpes suisses où Nietzsche eut l’idée de « L’éternel retour». De Paris à Nice, en passant par Lausanne, avec halte à Nanterre, ce thriller noir et solaire à la fois, fait aussi l’éloge de la fraternité comme arme à la cruauté des hommes. Avec en filigrane l’amour fou d’un (prétendu ver de terre) amoureux d’une étoile. Poignant, romantique et puissant. Le héros de «L’homme du banc de Simenon applaudirait des deux mains.
Jean-Rémi BARLAND

« La fureur des mal-aimés » par Elsa Roch paru chez Calmann-Lévy – 301 pages -18,90 €

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