La boîte à Polars de Jean-Rémi Barland . ‘Les douces ‘de Judith Da Costa Rosa : disparition sur fond de cette adolescence de tous les émois

Publié le 19 mai 2021 à  10h15 - Dernière mise à  jour le 31 octobre 2022 à  17h59

le 1er juin 2011 Yolande Lanier signale à la police la disparition de son fils Hannibal. Huit ans plus tard son corps est retrouvé, enterré dans la propriété d’Auguste Meyer, sculpteur célèbre qui vient de décéder et qui en tant que professeur enseignait la poterie aux enfants du coin. Qui a bien pu dissimuler ainsi le corps de l’adolescent et quels étaient le type de relation que le défunt entretenait avec lui, et avec les autres élèves qu’ils recevaient ?

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« Les enfants adoraient Monsieur Meyer », précise madame Lanier au moment où, à la suite de la macabre découverte on l’interroge avec tout le tact possible. « Il était tellement gentil avec eux. Il leur faisait faire des tas de belles choses. Vous pensez… vous pensez que Monsieur Meyer a pu tuer mon fils ? », demande-t-elle en sanglotant à l’inspecteur Léo Casez, l’officier de police judiciaire dépêché sur les lieux afin de tirer l’affaire au clair.

Explorant le passé d’Hannibal qui adolescent se rêvait écrivain, Léo qui dans sa bibliothèque ne possédait qu’une demi-douzaine de Jack London et le Goncourt de l’année, s’intéresse alors de près à l’entourage (passé) du garçon. Indissociable de Dolorès Deléale, Bianca Ispahan et Zineb Achour, trois filles avec qui il formait un groupe de meilleurs amis, fascinant leur entourage Hannibal semblait traverser le monde en acrobate des sentiments. Dans Illès, ce petit village du Sud dans lequel ils ont grandi, se sont fréquentés dès l’enfance, et où Auguste Meyer était la plus grande figure que l’on pouvait croiser, sa disparition avait provoqué chez tous un terrible choc. Et les trous de la propriété porteurs de lourds secrets familiaux et intimes.

Jules et Jim à quatre voix

Magnifique premier roman «Les douces » de Judith Da Costa Rosa s’apparente à une sorte de «Jules et Jim» à quatre voix. Amis, que l’on pensait frère et sœurs, parfois amants, Hannibal, grand lecteur de Charles Péguy, Dolorès, Bianca et Zineb vont évoluer au rythme de leurs découvertes du monde, des passions. De manière intellectuelle, charnelle, culturelle, un bal de fin d’année donné le soir de la disparition du garçon sonnant le tocsin de leur union. Une fête triste donc qui rappelle, en plus dramatique, celle du Grand Meaulnes quand Augustin s’enfuit un moment arpentant le château de ses rêves. S’étant perdue de vue les trois filles ont suivi des chemins très différents. Une s’est rendue célèbre via les réseaux sociaux, une autre s’est construite à l’Université et la dernière travaille dans le cinéma. Ce qui va les lier à nouveau, elles qui ne se parlent plus c’est d’abord l’enquête de Léo Casez qui en les convoquant a rouvert les archives du passé, mais aussi le voile levé sur ces énigmatiques e-mail qu’elles reçoivent toutes continuellement et qui sont signés…Hannibal.

Éducation sentimentale

Rappel d’étés brûlants avec ses joies, ses tourments, ses désillusions, le roman prend l’allure d’une Éducation sentimentale à rebours, où l’on verra pourquoi le temps n’est pas un ami consolateur et pourquoi nul ne guérit de son enfance. La magie du livre tenant non seulement aux rebondissements de l’histoire, à la manière dont l’autrice joue avec la chronologie, en mêlant passé et présent, au style onirique qui se déploie. On saluera chez Judith Da Costa Rosa l’art du portrait, à la fois physique et psychologique notamment ceux d’Élise Jaubert, Joan Rami, capitaine de l’équipe de rugby depuis l’école primaire qui fut l’amant de celle-ci et qui a couché avec toutes les filles d’Illès, et d’autres de toutes les générations. Sans oublier un zoom plus particulier sur Dolorès Dédale…..au sujet duquel on nous précise : «Les hommes, même très jeunes, avaient toujours tendance à mourir pour ce qu’ils trouvaient beau; et ce qu’il y avait de plus beau , auprès d’Hannibal Lanier, c’était une fille aux yeux clairs et aux cheveux noirs » (il s’agit bien de Dolorès), « une fille dont la mère avait été aperçue sur les lieux du crime quelques heures avant que le corps de la victime ne soit retrouvé.»

Au sujet de la décomposition des corps

Un corps en partie décomposé décrit comme tel avec quelques précisions liées de manière très inattendues aux problème environnementaux actuels. C’est un article lu par Léo Casez qui en signale le caractère incroyable. Les cadavres ont aujourd’hui de plus en plus de difficultés à retourner à la terre, à se décomposer nous explique-t-on «à cause des conservateurs dans les aliments, de la pollution des sols». On constate que l’autrice par ce premier roman où elle tourne le dos à la sempiternelle autofiction en usage aujourd’hui chez les romanciers débutants, nous promène dans les chemins de traverse de la fiction qui sont ceux de la promenade contemplative, de l’émotion érigée en œuvre d’art et de la syntaxe qui soutient tout récit charpenté. C’est dire que « Les douces » est un roman à la fois solaire pour son écriture et bouleversant pour le déroulé de son récit. Un roman qui signale la naissance d’une authentique écrivaine.
Jean-Rémi BARLAND

«Les douces» de Judith Da Costa Rosa paru chez Grasset-400 pages- 20,90 €

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