La boîte à Polars de Jean-Rémi Barland. « Sous protection » de Viveca Sten : un thriller saisissant sur le mal et les blessures d’enfance

Publié le 14 juin 2021 à  21h12 - Dernière mise à  jour le 31 octobre 2022 à  19h14

Au moment où les violences faites aux femmes donnent naissance à de nombreuses dénonciations et actions visant à les endiguer, «Sous protection» de Viveca Sten s’impose comme un témoignage romanesque plus vrai que nature.

La Suédoise Viveca Sten offre une nouvelle enquête de son tandem Nora Linde-Thomas Andreasson. (Photo Thron Ullberg pour Albin Michel)
La Suédoise Viveca Sten offre une nouvelle enquête de son tandem Nora Linde-Thomas Andreasson. (Photo Thron Ullberg pour Albin Michel)

Écrivaine suédoise vivant près de Stockholm, avec son mari et ses trois enfants cette ancienne brillante juriste offre avec ce thriller haletant dont la structure rappelle les meilleurs polars des débuts de Mary Higgins Clark, une plongée dans la psychologie tourmentée de victimes mais aussi de bourreaux au départ gens ordinaires sombrant dans la violence meurtrière. Et femme très soucieuse du sort de ses semblables Viveca Sten a confié à l’une de ses consœurs le soin d’aider un inspecteur de police à mener à terme des enquêtes très mouvementées.

C’est en l’occurrence Nora Linde, procureure fin limier au grand cœur qui devient la porte-parole de sa propre inquiétude citoyenne. Personnage récurrent nous la retrouvons sur l’île de Sandhamm, lieu de toutes les intrigues de Viveca Sten, avec un succès sans précédent puisque l’adaptation télévisée de ses aventures a été un des plus forts taux d’audience en Suède. Mais ayant compris comment on peut mieux rendre passionnante une intrigue policière, l’auteure crée un binôme assez improbable au départ et qui s’avère des plus judicieux quant au résultat escompté. Aux côtés de Nora Linde, se dessine la personnalité riche de Thomas Andreasson, inspecteur sans peur ni reproches, un rien taciturne et ami d’enfance de la juriste. Ce qui confère au roman une part de subtilité psychologique supplémentaire, avec pour effets immédiats de donner d’une réalité complexe des manières complémentaires mais de différentes de l’appréhender.

Un baron de la drogue à Stockholm

Nous suivons ici Andreis Kovac, un homme puissant devenu baron de la drogue à Stockholm que la justice tente sans preuve à l’appui, de coincer pour fraude fiscale. Un événement va déclencher la possible descente aux enfers du truand. Un jour ordinaire il lève la main violemment sur sa femme Mina alors que leur nourrisson Lukas est dans son berceau dans la même pièce qu’eux. Celle-ci va s’enfuir et se placer sous la protection de Nora Linde qui en fait le témoin à charge d’un éventuel futur procès. Placée « Sous protection » avec son bébé dans une villa de l’Archipel, Mina devient l’enjeu d’une guerre sans merci menée par Andreis Kovac contre la loi. A Thomas Andreasson de réussir à son tour à protéger Nora devenue la tête de pont d’une vengeance annoncée par la pègre. Andrei Kovac ne reculant devant rien pour récupérer sa femme et son fils, une course-poursuite contre le temps et la mort s’engage…Et c’est absolument passionnant car traversée d’un procès tant espéré, tant attendu.

Un enfant réfugié de la guerre en Bosnie

Mais où le roman de Viveca Sten revêt une ampleur supplémentaire, c’est qu’en la personne du sinistre Andreis Kovac se dévoile la personnalité trouble d’un ancien enfant ayant grandi en plein cœur de la guerre de Bosnie. Réfugié en perdition, le truand apparaît plus complexe et donc plus riche dramatiquement. Bien entendu il n’est pas question pour Viveca Sten d’user de sympathie voire d’empathie à l’égard de Kovac, mais son approche très politique de son comportement montre combien les blessures de l’enfance ont un impact sur une vie entière et peuvent influencer de manière dévastatrice des comportements troubles. Magistral «Sous protection» est également un thriller familial à double entrée, (on découvrira pourquoi) où la brutalité des uns se trouve devenir l’occasion pour ceux qui protègent les victimes d’affirmer un certain goût pour la rédemption.

Le climat du livre aussi glacial que celui où se passe géographiquement l’histoire est une métaphore de la manière dont on traite trop souvent les femmes. C’est dense, captivant, écrit sans emphase dans un style qui a le mérite de se faire oublier, et c’est d’une richesse narrative puissante. Le meilleur épisode en tout cas de la série des enquêtes menées jusqu’à ce jour par le tandem Nora Linde-Thomas Andreasson.
Jean-Rémi BARLAND

«Sous protection» par Viveca Sten. Albin Michel, 526 pages, 21,90 €

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