La boîte à Polars de Jean-Rémi Barland. -Taormine- d’Yves Ravey ou l’histoire de l’homme qui prend toujours les mauvaises décisions

Publié le 20 septembre 2022 à  11h18 - Dernière mise à  jour le 11 juin 2023 à  18h37

Il y a souvent des accidents de la circulation dans les romans du Bisontin Yves Ravey. Dans «L’épave» il évoquait la manière dont un garagiste dépouillait le véhicule qu’il avait en charge d’évacuer de tous les objets personnels appartenant aux occupants tous décédés. Avec «Bambi Bar» un homme qui avait renversé un soir une jeune fille circulant en motocyclette voyait le lendemain les gendarmes débarquer chez lui pour l’interroger, non sur le choc en lui-même, mais sur les activités menées à Bambi Bar pas celle qui circulait de nuit, et qui heureusement n’a rien eu. Vrai faux polar qui commence comme une enquête verdâtre d’un inspecteur gris de pâlichon, et qui se termine avec explosion façon «Taxi driver», Yves Ravey brouille ici les pistes et surtout confirme qu’à chacune de ses fictions il fait mine de raconter une histoire et en propose une autre.

Yves Ravey, roi du roman en trompe l’œil. (Photo Mathieu Zazzo)
Yves Ravey, roi du roman en trompe l’œil. (Photo Mathieu Zazzo)

Même impression avec «Taormine» qu’il vient de publier fidèlement chez Minuit et où là encore un accident de la route décidera du sort des passagers de la voiture incriminée. Accident étant un bien grand mot, puisque Melvil et Luisa Hammett qui ont loué le véhicule ont percuté une chose inconnue sur la route de leurs vacances en Sicile. Ne s’arrêtant pas ils verront leurs vies basculer après ce qui semble un événement anodin, et qui on le verra ne l’est pas du tout.

L’art de ne jamais prendre les bonnes décisions

Couple en crise ayant décidé de s’offrir un séjour de réconciliation en Italie, le voilà confronté à une avalanche de situations ressemblant (peut-être) à un traquenard. Melvil, le narrateur, plus ou moins victime, est le type même du type un peu lâche et qui surtout a l’art de ne jamais prendre les bonnes décisions. Notamment lorsqu’il décide du changement du trajet reliant l’aéroport à l’hôtel.

Roulant perso, même en compagnie de son épouse, on comprend très vite qu’il vit essentiellement de l’argent de son beau-père le professeur Gozzolli, très attentif quant à lui, au bien-être de sa fille Luisa, directrice d’un laboratoire de recherche en bioéthique. Avec précision et gourmandise, Yves Ravey distille au fil du roman des éléments de narration disparates, faits de détails qui tous comptent et demandent au lecteur d’être attentif.

Une noria de choses infimes

Autant dire que ce romancier hors pair, et magicien du récit en trompe l’oeil, nous régale avec «Taormine» d’une noria de choses infimes ou du moins qui le semblent. Surgissent un à un dans ce théâtre de mauvaises rencontres faites par le couple, un réceptionniste d’hôtel acoquiné avec un mécanicien (encore un) peu scrupuleux mâtiné de deux employés -l’un coiffé d’un turban, et l’autre d’origine asiatique- de l’inspecteur Dacosta, menant une enquête à des fins personnelles. N’oublions pas de mentionner la présence sur le siège du véhicule de location endommagé par le choc d’un journal avec à la une le rappel de la mort d’un enfant de migrants habitant un terrain vague proche de l’endroit où sont passés Melvil et Luisa.

Un grand roman

Choc disions-nous et là encore, mauvaise décision prise par Melvil, de faire réparer en toute discrétion l’aile de la voiture abîmée. L’occasion pour Yves Ravey comme il l’avait fait dans sa pièce «Dieu est un stewart de bonne composition» d’évoquer le déracinement, l’exil, et la façon dont on peut investir émotionnellement un pays qui n’est pas le sien. Au jeu de dupes orchestré par des êtres peu regardant des lois, le lecteur est le témoin privilégié de ce qui se passe dans la tête des personnages, car et c’est une des forces de l’écriture d’Yves Ravey, nous sommes au centre de ce que pensent les uns et les autres. Et en prime un épilogue hallucinant d’émotion et qui ouvre des portes interprétatives. Un grand roman tout simplement.
Jean-Rémi BARLAND

[(«Taormine» de Yves Ravey aux Éditions de Minuit – 140 pages – 16 €
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