La boîte à polars de Jean-Rémi Barland. Sur les routes de l’enfer avec ‘Les gentils’ de Michaël Mention

Publié le 5 février 2023 à  19h36 - Dernière mise à  jour le 8 août 2023 à  9h09

Il s’appelle Franck Lombard. Au moment où nous faisons sa connaissance et l’écoutons nous raconter son périple pour le moins sanglant, il demeure anéanti par la mort de sa fille, s’étant produite lors du braquage qui a mal tourné d’une boulangerie à Belleville. Nous sommes en juin 1977 et ce père, inconsolable on s’en doute, n’est plus que l’ombre de lui-même. Dévasté il vend même le magasin de disques dont il s’occupe.

Six mois après le drame il attend toujours que les flics lui donnent l’identité du tueur et qu’ils parviennent à l’arrêter. En pure perte. Alors notre d’habitude paisible Franck va se muer en un chasseur redoutable. En ratissant les bas-fonds de Paris, il finit par trouver un vague indice. Le meurtre aurait été commis par un toxicomane portant le tatouage « Anarchie » et se prénommant Yannick. Mais celui-ci semble avoir quitté la capitale pour le sud de la France. Qu’a cela ne tienne ! Franck embarque dans sa vieille R5 et direction le soleil qui en l’occurrence ne rime pas avec « merveille », et où la misère n’est pas aussi douce qu’on pourrait le supposer.

Marseille, « la pionnière… la rebelle »

L’occasion pour Michaël Mention, l’auteur de ce thriller violent et radical, de proposer, via son antihéros, une halte dans Marseille, «la pionnière, la plus ancienne ville du pays». La décrivant comme « la lumineuse, avec son soleil et son hospitalité. La survivante, rescapée de la peste et du choléra. La rebelle, de la Commune à la Résistance. La criminelle, des pirates aux marchands d’esclaves, en passant par la French Connection», il nous emmène dans la cité Bel Air, (« quatre tours et c’est tout »), « un étrange ghetto où le béton côtoie les collines, loin, très loin du centre-ville.»

Sociologique et politique autant que polar halluciné et hallucinant «Les gentils» brosse de la France des années Giscard un portrait complet et sans nuances. Un procès à charge aussi d’un défunt président de la République qui avec «sa gueule d’endive, son chuintement aristo » a «une manière de parler comme si on était à l’école.» Au moins ajoute le narrateur « Pompidou avait une bonhomie, une tronche de voisin sympa qui débarque avec une bonne bouteille. Mais Giscard c’est pas possible.» Tout comme sa politique dézinguée au fin calibre !

Direction La Guyane

Mais Franck Lombard ne va pas séjourner longtemps du côté des quartiers populaires de Marseille. Le voilà en partance pour la Guyane, là où vivent des hippies qui hébergent semble-t-il Yannick. Le roman bascule alors dans un road-movie très western de la jungle, où notre traqueur de criminel affrontera un anaconda (celui-ci engloutira d’ailleurs la tendre Founé dont il est tombé amoureux) se débarrassera comme par miracle d’une mygale posée sur son mollet, mais surtout se heurtera à des rebelles qui ont pris les armes.

«Les gentils» dont on nous propose en fin d’ouvrage une playlist très hétéroclite de chansons dont «Changer la vie» du regretté Herbert Pagani (musique de Mikis Theodorakis), «L’aigle noir » de Barbara, « The soft parade» des Doors, « Les gondoles à Venise » du tandem Sheila-Ringo, « Musique » de France Gall, «Flash forward » tirée de « L’homme à la tête de chou » de Gainsbourg, ou encore «Stayin’alive» titre immortalisé par les Bee Gees dans «Saturday night fever» demeure rythmé en diable. Tout ça pour dire que le roman de Michaël Mention possède de bout en bout une écriture musicale très syncopée.

Portrait d’un homme et d’un monde qui vacillent

Portrait d’un homme et d’un monde qui vacillent, «Les gentils» nous catapulte dans sa dernière partie (le mot n’est pas trop fort) au sein d’une communauté prête à sacrifier par un suicide collectif organisé quelque neuf-cents victimes dont trois cent-quatre enfants. Faisant froid dans le dos, mais dépourvu d’effets, traque d’un Yannick braqueur-braqué, dénonciation des folies idéologiques nées des systèmes politiques totalitaires ou des fausses sagesses érigées par des gourous avides d’argent, voilà un grand livre très visuel, qui, comme l’indique le bandeau sur la couverture porte la signature de « la voix la plus singulière du roman noir».
Jean-Rémi BARLAND
« Les gentils » par Michaël Mention – Belfond – 347 pages – 20,50 €

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