La chronique du Pr. Gilbert Benhayoun* : Le rôle du Hamas dans la gestion du système éducatif

Publié le 17 octobre 2014 à  10h41 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  18h23

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Depuis 2007, le Hamas gouverne à Gaza et, à ce titre, il a pris en charge la gestion de l’ensemble des services publics. Parmi ceux-ci, il en est un qui mérite une attention particulière, celui de l’éducation, car plus que d’autres aspects de la gestion publique, la manière dont le Hamas a opéré dans ce domaine renseigne sur les choix qui engagent les jeunes générations, donc l’avenir.

En 2010 un rapport[[« The Public Services under Hamas in Gaza. Islamic Revolution or Crisis Management? » Are Hovdenak (ed), Prio Report 3-2010]] établi par un institut norvégien, le Peace Research Institute Oslo (PRIO) a évalué la manière dont le Hamas a géré le délicat problème de l’éducation. Afin d’évaluer la gestion de l’éducation le rapport pose trois questions :
– (1) Dans quelle mesure le Hamas a relevé le défi de fournir à la population de la Bande de Gaza un service public de l’éducation ?
– (2) Dans quelle mesure le Hamas a assuré la continuité du service public de l’éducation. En d’autres termes, a-t-il introduit des modifications dans les programmes, les pratiques et les normes, ou bien s’est-il contenté de les maintenir telles qu’ils existaient avant 2007 ?
– (3) Existe-t-il des signes qui indiqueraient que le Hamas se préparerait à un contrôle de long terme du système éducatif, ou bien se contente-t-il d’en assurer la gestion administrative ?

A la première question, la réponse des experts est claire : « …un certain nombre d’indicateurs montrent que le système éducatif est moins performant qu’il ne l’a été (…). Des enseignants inexpérimentés, un enthousiasme excessif, un sentiment d’insécurité de la part des élèves, un manque de plan d’urgence (…). La situation a provoqué la confusion et les parents, à plusieurs reprises, se sont plaints de la façon dont leurs enfants étaient traités (…). Le marché de l’enseignement privé à la maison s’est développé (…). »

Pour les responsables du ministère de l’Éducation à Gaza, Dr Samour et Dr Kallob, quatre causes expliquent la déficience du système éducatif :
– l’arrêt de la construction de nouvelles écoles. Compte tenu de la forte natalité, les classes se sont retrouvées très rapidement surpeuplées. Il est courant de trouver des classes de 45 à 55 élèves. De plus, 95% des écoles fonctionnent en doublant les cours dans la même journée.
– le déficit du matériel éducatif (ordinateurs, laboratoires scientifiques) qui oblige à travailler avec du matériel périmé.
– le recrutement d’un personnel peu formé. Pour le Dr Samour, de nombreux enseignants non diplômés, sponsorisés par des pays islamiques, tel que le Soudan, ont été recrutés sur la base de leur affiliation politique.
– l’arrêt des subventions internationales

Finalement, si le système a fonctionné tant bien que mal, c’est grâce en particulier à la coopération du gouvernement palestinien basé à Ramallah. L’administration scolaire basée en Cisjordanie a continué à pourvoir les écoles de Gaza en livres et autres fournitures, et surtout, à assurer le paiement des traitements des enseignants.

La réponse à la deuxième question nécessite de rappeler le contenu de la Charte du Hamas adoptée, par ce mouvement, en 1988. L’article 16 stipule « qu’il faut que l’éducation des jeunes générations islamiques dans notre région soit une éducation islamique fondée sur l’accomplissement des obligations religieuses, l’étude conscientisée du Livre de Dieu, l’étude de la tradition prophétique, la lecture de l’histoire et du patrimoine islamique dans ses sources fiables, sous la direction des spécialistes et des hommes de science. Les programmes que devra suivre le musulman auront pour fondement de lui donner une représentation saine dans les domaines de la pensée et des articles de foi. Il sera également nécessaire de mener une étude conscientisée de l’ennemi, de ses ressources matérielles et humaines; de reconnaître ses points de faiblesse et de force; d’identifier les forces qui le soutiennent et se tiennent à ses côtés. Il sera également nécessaire de reconnaître l’environnement événementiel et de suivre les renouvellements, d’étudier les analyses et les commentaires à leur propos; il sera également nécessaire de planifier le présent et le futur et d’étudier tous les phénomènes. Tout cela est nécessaire pour que le musulman combattant du jihad vive son époque en toute connaissance de son objectif et de son but, du chemin pour y parvenir et de tout ce qui se passe autour de lui« .

La question est, alors, de savoir si le Hamas a appliqué strictement cet article, ou si, compte tenu du contexte international, des possibles réticences de la population à accepter que leurs enfants reçoivent un enseignement totalement conforme aux principes de la Charte, il l’a plutôt géré avec pragmatisme ? Pour les rédacteurs du rapport, le Hamas a été dans l’obligation de manœuvrer entre la vision fondamentaliste du mouvement islamique et une politique pragmatique requise par les obligations d’un gouvernement : »this puzzling status has forced the governmental part of Hamas to display pragmatism in most of its daily conduct, including in the education sector. Such an approach was consistently employed by the de facto government of Gaza in the hope that it might avoid eliciting further rage or criticism from internal or external opponents« .

Pourtant, après la grève des enseignants et du personnel administratif de 2008, le Hamas a décidé de prendre un certain nombre de mesures plus en adéquation avec sa vision du système éducatif :
– le remplacement de centaines d’enseignants par du personnel considéré proche du Hamas
– la quasi obligation pour les jeunes filles de porter le hijab
– la féminisation du personnel encadrant les jeunes filles
– la commémoration de l’assassinat des leaders du mouvement à l’intérieur des écoles

Pour les opposants au Hamas, ces mesures traduisent la volonté du Hamas de procéder à une islamisation du système éducatif, et en définitive de toute la société. Le jugement des auteurs du rapport est plus nuancé. Ils pensent qu’il ne s’agit que de mesures de forme (« morphological changes only« ), et qu’il n’y a pas de modifications fondamentales du système éducatif. Ce rapport a été rédigé en 2010. Il conviendrait de l’actualiser à la veille d’un processus de réconciliation entre le Hamas et le Fatah et la probable mise en place d’une administration unique du système éducatif.

La réponse à la troisième question, n’est pas claire. Certains signes, comme le remplacement d’une partie importante du personnel, le traitement réservé aux filles, etc. laissent penser que le Hamas souhaite contrôler le système en longue période. A l’inverse, d’autres signes penchent pour l’hypothèse d’une gestion plus pragmatique :
– le fait que l’administration scolaire, sous l’autorité du Hamas, ait maintenu les programmes scolaires,
– le fait que le secteur est économiquement dépendant de Ramallah, à travers le paiement des salaires du personnel enseignant et administratif,
– le fait que la coordination entre l’administration scolaire à Gaza et en Cisjordanie, s’effectue par l’intermédiaire des fonctionnaires.
– La conclusion du rapport est qu’ »il est devenu évident que le Hamas a maintenu le contrôle de Gaza en s’appuyant sur un régime autoritaire et en mettant l’accent sur le conservatisme comme philosophie. Le conservatisme étant un élément culturel plutôt que religieux, comme il le serait dans le cas de Islamisation « .

(*)Le groupe d’Aix, présidé par Gilbert Benhayoun comprend des économistes palestiniens, israéliens et internationaux, des universitaires, des experts et des politiques. Son premier document, en 2004, proposait une feuille de route économique, depuis de nombreux documents ont été réalisés, sur toutes les grandes questions, notamment le statut de Jérusalem ou le dossier des réfugiés, chaque fois des réponses sont apportées

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