La chronique du professeur Gilbert Benhayoun*: « Il faut raison garder »

Publié le 15 février 2014 à  21h11 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  17h18

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Martin Schulz, Président en exercice du Parlement européen, a affirmé cette semaine, lors d’un discours qu’il a prononcé devant les parlementaires israéliens que la consommation d’eau potable en Israël était de 70 litres par jour et par personne alors que celle d’un Palestinien n’était que de 17 litres[[Propos de M. Shulz (traduction de l’allemand): “One of the questions these young people asked me which I found most moving – although I could not check the exact figures – was this: how can it be that an Israeli is allowed to use 70 litres of water per day, but a Palestinian only 17?”]]. Ces propos ont provoqué le départ bruyant de plusieurs députés israéliens de l’enceinte parlementaire israélienne. Ils estimaient qu’il s’agissait d’un mensonge de la part de M. Schulz.

Qu’en est-il en fait ? Le Président du Parlement européen a-t-il menti, comme l’affirme ces députés ? A-t-il fait preuve d’amateurisme en avançant des chiffres dont il reconnaissait lui-même n’avoir pas vérifié la pertinence ? Ce qui est sûr c’est que ces propos ont soulevé une polémique dans les médias israéliens et au-delà.

Qu’en est-il ? A quelle source faut-il se fier ? Quels sont les chiffres fournis par la Banque mondiale, dont on peut supposer l’impartialité, et quels sont ceux fournis par l’Autorité palestinienne elle-même ?

Pour la Banque mondiale, en Cisjordanie, la dotation journalière, non compris l’agriculture, aurait baissé, passant de 190 litres par habitant en 1999 à 123 litres en 2007. Le dernier rapport palestinien sur l’eau[[Palestinian Water Authority, “Water Supply Report 2010”, mars 2012. ]] mentionne que la baisse s’est poursuivie, puisqu’en 2010 la dotation journalière ne serait que de 102 litres par habitant, ce qui constituerait le minimum vital défini par l’Organisation Mondiale de la Santé, qui est de 100 litres par habitant et par jour. Si l’on tient compte des pertes, la dotation annuelle réellement consommée n’est, toujours en 2010 que de 73 litres par habitant, soit un pourcentage de perte de 29%. Notons que cette moyenne recouvre des différences selon les gouvernorats. Cinq régions de Cisjordanie ont une dotation inférieure à 100 litres. Par contre, des villes comme Jéricho, Ramallah ou Bethlehem sont beaucoup mieux dotées.

Dotation par habitant et par jour par Gouvernorat en 2010 (besoins domestiques) (litres)
Population (1) (2) % pertes
Jénine 274 000 60 43 – 28
Tubas 54 765 85 60 – 30
Tulkarem 165 791 76 46 -40
Naplouse 340 117 90 64 -30
Qalqilya 97 447 113 87 -23
Salfit 63 148 111 87 -22
Jéricho 45 433 214 162 -24
Ramallah 301 296 147 108 -26
Jérusalem 144 740 88 53 -40
Bethlehem 188 880 155 102 -34
Hébron 600 364 90 67 -26
Cisjordanie 2 275 982 102 73 -29

(1) : disponibilité par jour et par habitant (m3)

(2) : consommation effective par jour et par habitant (m3)

Les chiffres concernant les Palestiniens ne sont donc pas ceux avancés par Martin Schulz, ils sont plus élevés. Mais, si les valeurs absolues sont sous-estimées, peut-on au moins considérer que la proportion entre les dotations israélienne et palestinienne est respectée ? La consommation par habitant des Israéliens est-elle quatre fois plus élevée que celle des Palestiniens ? La réponse est oui. Pour FOEME (Friends of the Earth), organisation non gouvernementale qui réunit des experts israéliens, palestiniens et jordaniens, la consommation municipale par habitant et par jour est en 2011 de 250 litres en Israël et de 70 litres en Palestine, soit 3.6 fois plus[[Pour être complet il convient de mentionner un rapport officiel israélien (Israel Water Authority, The Issue of Water between Israel and the Palestinians, mars 2009). Selon ce rapport, la consommation par habitant des israéliens, qui était en 1967 six fois supérieure à celle des Palestiniens, ne serait plus supérieure que de 70% en 2006. La différence avec les estimations de la Banque mondiale ou de FOEME vient de ce que le rapport israélien se réfère à un chiffre de population palestinienne en Cisjordanie inférieure à celle retenue par ces institutions.]]. Pourtant, ayant vérifié que les dotations étaient différentes, que les Israéliens consomment plus d’eau par habitant que les Palestiniens, le sujet est loin d’être épuisé. Les bonnes questions sont plus complexes et méritent plus d’attention, car le système de l’eau palestinien se caractérise par une grande vulnérabilité, une gestion fragmentée, en particulier en Cisjordanie, une dépendance croissante vis-à-vis des israéliens et une efficience faible. Et parce que le partage des ressources en eau des aquifères des montagnes, tel que défini par les accords Oslo II signé en 1995 entre Israël et l’OLP, est aujourd’hui dépassé et mérite un réexamen. De plus, la donne globale est, depuis quelques années, complétement modifiée, compte tenu du vaste programme de dessalement d’eau de mer entrepris par les Israéliens, au point que la Jordanie ainsi que l’Autorité palestinienne viennent de demander à Israël de leur vendre une partie de l’eau dessalée [[Avi Bar-Eli, « Jordan, Palestinians seek to buy Israel’s excess desalinated water ». Haaretz, 9 janvier 2014]]. Cette année, la production d’eau dessalée en Israël sera de 360 millions de m3 alors que la capacité de dessalement est de 510 millions m3.

Concernant l’incident « Schulz – Knesset », il aurait été préférable que le Président du Parlement européen fasse faire preuve de plus de sérieux et vérifier ce qu’un jeune Palestinien lui a affirmé verbalement. Enfin, la réaction disproportionnée de Naftali Bennet, ministre israélien de l’économie et responsable d’un parti politique n’est pas digne. Critiquant M. Schulz, ce qui est parfaitement son droit, il n’avait pas à ajouter : « Je n’accepterai pas de fausse morale contre le peuple d’Israël, au Parlement d’Israël. Et certainement pas en allemand ». Est-ce à dire que si Martin Schulz s’était exprimé dans une autre langue ses propos auraient été acceptables ?

* Le professeur Gilbert Benhayoun est président du Groupe d’Aix. Ce Groupe comprend des économistes palestiniens, israéliens et internationaux, des universitaires, des experts et des politiques. Son premier document, en 2004, proposait une feuille de route économique, depuis de nombreux documents ont été réalisés, sur toutes les grandes questions, notamment le statut de Jérusalem ou le dossier des réfugiés, chaque fois des réponses sont apportées.

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