La chronique littéraire de Christine Letellier – Lowry/Trotsky : Et Viva la révolution !

Publié le 13 septembre 2014 à  10h07 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  18h10

Dans le Mexique des années 30, se frôlent, se croisent, se heurtent des personnages dont la passion s’appelle Révolution… On y suit, à grandes enjambées, Trotsky, Lowry, Frida Kahlo, Diego Rivera, Breton… C’est sacrément tonique, bouillonnant, mené à un train… d’enfer !

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« Viva », le dernier livre de Patrick Deville paru aux éditions du Seuil. (Photo Jean-Luc Bertini)
« Viva », le dernier livre de Patrick Deville paru aux éditions du Seuil. (Photo Jean-Luc Bertini)

C’est «Viva», dernier livre de Patrick Deville paru aux éditions du Seuil. La première planque à Mexico, de Lev Davidovitch Bronstein, alias Trotsky, c’est une maison bleue. Pas accrochée à la colline, non, mais un havre de paix quand même, offert par Frida Kahlo et Diego Rivera, qui a obtenu un droit de séjour pour le fugitif, pourchassé aux quatre coins du monde depuis dix ans par les staliniens.
En trente scènes, vives comme l’éclair, tranchantes comme l’acier, Patrick Deville nous embarque dans une aventure sans frontières, une aventure où ceux qui font de la politique cherchent à dynamiter l’ordre établi, quitte à s’y broyer, tandis que d’autres cherchent à dynamiter le roman, quitte à y perdre la raison… et la vie.
«Viva», c’est la rencontre autant improbable qu’impossible entre l’écrivain génial, Malcom Lowry et du révolutionnaire vaincu, traqué, rêvant «lire des livres», «cultiver son jardin», ces joies d’un «bonheur simple et antique, celui de la forêt et de la neige»…
Cette saga haletante, bouscule la chronologie et porte à ébullition les anecdotes. Là, le train de l’Armée rouge qui sillonne la Russie devenant soviétique. Ici, la quête d’Artaud le Momo, en manque d’opium, plus loin, les piteux silences d’André Breton. Et toujours, les querelles, les disputes, les trahisons, le propre de ces petites bandes qui s’unissent pour changer le monde et finissent très vite par s’entredéchirer.
Nous ne sommes pas sur le volcan, mais dedans. Quand ça bouillonne, quand ça fusionne, sans ménagement ni temps morts, au rythme des fracas qui secouent la planète en ces années-là.

100% Mezcal !

Le pendule oscille. 1917, mais non… Nous sommes en 37. 38… Vient 40, «le monde en flammes et on oublie Trotsky. Seuls les assassins pensent encore à lui». Mercader rôde et s’infiltre…
Même temps, mais autre pratique, autre vie, autres horizons. « Ceux qui servent la Révolution labourent la mer», Lowry, lui, fait de ses jours un alambic et répète que tout est dans «Jeannot Lapin». Il griffonne, dessine sur des bouts de menus au fond des cantinas, remettant sans cesse son roman sur le métier sans jamais perdre l’atroce lucidité qui lui fait dire «si notre civilisation se mettait à dessaouler pendant deux jours, elle mourait de remords le troisième». Il lui faudra dix ans encore pour écrire «Au-dessous du volcan», roman devenu culte à l’orée des années 60.
Le kaléidoscope, nourri d’enquêtes et des dix années mexicaines de l’auteur, joue à saute-mouton entre les regards de l’écrivain narrateur et cette période secouée, 100% Mezcal ! C’est presque du vaudeville, ces personnages qui vont, fuient, se cachent, sont assassinés… L’entre-deux-guerres, au Mexique, plus qu’un théâtre, c’est une tragédie ! Reconstituer ces errances, ces errements, ce n’est pas l’affaire du lauréat du prix Femina 2012, qui délaisse avec bonheur Yersin et le bacille de la peste pour le virus de la révolution.
Égrener ces trois longues années à la manière d’un roman d’espionnage, de guerre, d’amour et de terreur ? Taratata ! Qu’a-t-on à faire de ces convenances, puisque la recherche de l’impossible s’achève toujours en désastre et la tragédie est la plus belle des fins pour les quêtes impossibles.
C’est ainsi que nous chevauchons vers une danse macabre, non loin du Popocatepetl, où même «le Che» est allé s’entraîner, piolet à la main… «Tout commence et tout finit par le bruit que font ici les piqueurs de rouille», annonce l’incipit de «Viva». Cette rouille du temps et de la mémoire dont Deville recompose les fragments, comme l’on polit un diamant, où se reflète le tombeau des rêves évanouis.
«Viva». Patrick Deville. «Fiction et Cie». Seuil. 224 p. 17,50€
Il est à noter que le Seuil publie, dans la collection «Fiction et Cie», «Sic Transit», qui regroupe «Pura vida», «Equatoria» et «Kampuchea», les trois textes qui composent le cycle d’écrivain – voyageur qu’est Patrick Deville. (832 p. 25€).

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