La chronique littéraire de Christine Letellier: « Intempérie » un premier roman d’une force inouïe

Publié le 21 janvier 2015 à  21h01 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  18h36

Destimed arton3007

Jesus Carrasco © Elena Blanco.
Jesus Carrasco © Elena Blanco.

L’enfer du Sud de l’Espagne juste après la première guerre mondiale, des plaines desséchées par des années sans pluie, un monde gouverné par la violence.
Sous un soleil implacable un jeune garçon essaie de sauver sa peau. Abusé par un être dépravé à qui son propre père l’a offert comme un « sex-toy », il fuit son bourreau et ceux qui le traquent avec la complicité d’un vieux chevrier. Un petit garçon prêt à tout, plutôt qu’à subir ça encore.
Ce premier roman « Intempérie » de Jésus Carasco, déjà acheté par une quinzaine de pays, sort en ce moment en France traduit par Marie Vilaz Casas.
Un conte désenchanté d’un enfant qui va user de la violence comme il avait toujours vu le faire par ceux qui l’entouraient… C’est toute l’âme de l’Espagne d’antan qui habite ce récit taiseux, âpre, lyrique souvent, baignant dans un décor où chaque détail d’une nature hostile compte, où chaque geste est décomposé comme dans un film animé. En voici un extrait : « Le vieux attendait de lui ( l’enfant) qu’il éviscérât la bête et qu’il la dépeçât ensuite exactement comme il l’avait fait avec le lapin et le rat. La complexité des tripes laissa le garçon désemparé, sans initiative. Les manches relevées, le couteau dans une main, il regarda le berger et haussa les épaules. «Mets les mains sous les boyaux, cherche le cou et coupe par-là ( …)»
Tout le récit s’articule autour de cette rencontre entre le vieux chevrier et l’enfant traqué, le premier apprenant à l’enfant à survivre dans un univers impitoyable, le second découvrant ce qui fait la grandeur d’un homme et le prix à payer pour conquérir sa liberté.
Carasco n’est pas du genre à laisser le premier lecteur venu lui voler son histoire, il faut à celui-ci de la patience, de l’endurance pour découvrir qui sont réellement ses personnages, il joue avec nos nerfs et il le fait avec talent tandis que ceux qui veulent récupérer l’enfant se rapprochent et que devient de plus en plus oppressante l’odeur du sang, celui des chèvres abattues, celui des hommes assassinés, un vrai carnage.
Alors fable, récit, roman ? Disons plutôt un « thriller-lyrique », même si l’appellation n’existe pas… Carasco, c’est d’abord un langage nouveau, un style bien trempé, qui surprend par sa puissance d’évocation.
Intempérie de Jesus Carasco, Ed. Robert Laffont, 234 p.18 €.

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