La chronique littéraire de Jean-Rémi Barland. Christine Angot, Prix Médicis 2021 pour ‘Le voyage dans l’Est’… un terrifiant chef-d’œuvre

Publié le 26 octobre 2021 à  18h12 - Dernière mise à  jour le 2 novembre 2022 à  9h11

Christine Angot, trublion des lettres, couronnée du Prix Médicis 2021, pour son meilleur livre. Excellente nouvelle donc, et surtout extrêmement méritée. Pour un des événements littéraires de la rentrée…

Portrait de Christine Angot par Bouchra Jarrar © Flammarion
Portrait de Christine Angot par Bouchra Jarrar © Flammarion

Christine Angot ou l’horreur de l’inceste. Phrases sans verbes ou avec seulement l’alliance pronom-verbe, phrases qui tombent terribles, précises, sombres, pour dire la peur, la tristesse, l’effroi, l’incompréhension, le sentiment d’échec, les larmes refoulées, la solitude du désespoir. Pour dire l’abomination de l’inceste, abordé ici en creusant le point de vue, de l’enfant puis de l’adolescente, et de la jeune femme victime de son père.

Avec «Le voyage dans l’Est» Christine Angot poursuit le travail d’écriture déjà mis en place dans «L’inceste», et «Une semaine de vacances» revenant sur son passé en s’interrogeant avant tout sur la manière de retracer les faits. Affirmant dès son deuxième livre qu’elle ne fait pas de la littérature de témoignage, elle montre sans démontrer et questionne le réel. Comme on l’a déjà signalé «Le voyage dans l’Est» est «le roman du glissement, entre le vouloir dire et le dire, et, au milieu, l’incapacité à attraper les mots coincés au fond de la gorge. Du coup, extirper l’inceste de sa tête, pour ne pas le faire exister ». Un tour de force, un texte bouleversant et sans doute le meilleur livre de son auteure.

L’inceste c’est un bannissement

«L’inceste»? affirme Christine Angot depuis longtemps? «ce n’est pas un problème de saleté, ni de souillure. C’est un bannissement. C’est un déclassement à l’intérieur de la famille, qui se décline ensuite dans la société, avec une même logique qui se répand.» Pas de litotes, de chemins de traverse, Christine Angot ne fait pas non plus de la littérature bourgeoise bien pensante, ne triche pas, et réussit surtout à ne pas transformer le lecteur en voyeur. Celui-ci est appelé à constater l’horreur et comme il n’y a aucune complaisance de la part de l’auteure il suit un parcours de vie qui débute dans le livre par ce périple à Strasbourg, organisé par sa mère au moment où le père a décidé de reconnaître légalement sa fille. Une nouvelle loi sur la filiation permettant au père avec l’accord de son épouse légitime de reconnaître a posteriori un enfant naturel.

« Le voyage dans l’Est » n’est pas un livre confortable

Christine âgée de treize ans est très émue et très admirative devant cet homme élégant, poli, distingué, qui a refait sa vie, s’est remarié, et a eu d’autres enfants. C’est là dans la joie de ce qui pour Christine Angot représente un nouveau départ que débutera l’inceste dont elle sera victime. «Gérardmer, la bouche. Le Touquet, le vagin. L’Isère, l’anus. La fellation c’est venu tôt. Il n’y a pas de date. Ça arrive bientôt. C’est entre Gérardmer et Le Touquet. L’enchâssement n’est pas toujours certain», écrit-elle. La tentative de dissuader son père de se comporter ainsi, sa rupture avec lui beaucoup plus tard, sa tristesse pourtant à sa mort, l’affection qu’elle lui a néanmoins portée, ses relations avec les hommes avec qui elle vivra, et qu’elle aimera adulte dans des rapports forcément compliqués, ses confidences faites à quelques uns dont des responsables policiers, son renoncement à porter plainte, (on verra pourquoi), le fait que personne n’est rien dit, «Le voyage dans l’Est» dans une alternance passé et présent n’est bien sûr pas un livre confortable. Mais c’est un roman essentiel et qui demeure un des événements littéraires de cette rentrée.
Jean-Rémi BARLAND

«Le voyage dans l’Est» par Christine Angot. Flammarion, 215 pages, 19,50 €
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