La chronique littéraire de Jean-Rémi Barland. Giuliano da Empoli -prix du roman de l’Académie française avec ‘Le mage du Kremlin’ favori du Goncourt 2022

Publié le 30 octobre 2022 à  9h51 - Dernière mise à  jour le 9 juin 2023 à  21h08

C’était attendu. Giuliano da Empoli a reçu le Prix du roman de l’Académie Française, pour «Le mage du Kremlin» soutenu au jury par Helène Carrère d’Encausse. Un handicap a priori pour celui qui, depuis l’éviction de la liste de Grégoire Bouillier et son phénoménal «Le cœur ne cède pas» (1 000 pages de dynamite littéraire), demeure le favori du Goncourt 2022. C’est oublier un peu vite que Jonathan Littell a obtenu en 2006 ces deux récompenses et que les Goncourt s’ils le décident lui décerneront leur récompense annuelle. Résultat le 3 novembre.

Destimed da empoli giuliano copie
Face à Giuliano da Empoli on trouve Cloé Korman et Makenzie Orcel pour deux livres splendides et surtout Brigitte Giraud dont «Vivre vite », roman politique prenant racine sur la mort de son mari décédé d’un accident de moto le 22 juin 1999 est un texte poignant. Né en 1973 à Neuilly-sur-Seine Giuliano da Empoli est un écrivain et conseiller politique italo-suisse (un avantage quand on sait que les Goncourt affectionnent les auteurs francophones nés ailleurs). Président de Volta un think tank basé à Milan (groupe de réflexion ou laboratoire d’idées, qui est un regroupement d’experts au sein d’une structure de droit privé), enseignant à Sciences-Po Paris, il fut le conseiller de Matteo Renzi, et l’auteur d’essais marquants dont «Les ingénieurs du chaos», consacré aux nouveaux maîtres de la propagande politique, da Empoli offre ici une sublime méditation sur le pouvoir.

Le roman du Raspoutine de Poutine

Au centre du «Mage du Kremlin», fiction plus vraie que nature, on trouve le très réel Vladislav Yuryevich Surkov, «le Raspoutine de Poutine», qui fut pendant vingt ans l’éminence grise du dictateur avant de disparaître mystérieusement des radars en 2020. Rebaptisé dans le roman Vadim Baranov, il apparaît ici metteur en scène, producteur de télé-réalité, «poète égaré parmi les loups», mystérieux et imprévisible, et suscitera après sa démission du poste de conseiller politique de Poutine une foule de supputations parfois fantaisistes. «Quand la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende !», disait-on dans «L’homme qui tua Liberty Valance». Un principe subi par ce mage du Kremlin qui, par narrateur interposé, remet les pendules à l’heure en nous racontant son histoire.

Manipulations en tout genres, coups tordus, où rien ne sera négligé pour voir Poutine accéder au pouvoir. Portrait glaçant et glacé d’un «spin doctor» du régime transformant un pays entier en un théâtre politique, plongée terrifiante au cœur de la personnalité de Poutine ainsi que description au scalpel d’oligarques du Kremlin, ce livre donne le vertige. Mais, et c’est aussi sa force, il s’agit d’un véritable roman dans la lignée du chef d’oeuvre «Le maître et Marguerite» de Boulgakov. L’auteur y décrit des situations faisant froid dans le dos, et de la guerre en Tchétchénie à la crise ukrainienne, (ce roman visionnaire a été achevé avant la guerre actuelle), en passant par les Jeux olympiques de Sotchi, les attentats de 1999 contre des immeubles russes, signe le grand roman de la Russie contemporaine.

La construction d’un personnage

Mais c’est aussi un roman (le premier de son auteur) sur la construction d’un personnage en littérature. En cela Giuliano de Empoli qui a composé «Le maître du Kremlin» directement en français s’inscrit dans la lignée des grands prosateurs qui interrogent le réel avec un mélange époustouflant de précision historique et de fantaisie narrative. Vous avez dit Goncourt ?
Jean-Rémi BARLAND

«Le mage du Kremlin» de Giuliano da Empoli paru aux Éditions Gallimard- 280 pages-20€.

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