La vigne et le vin par Michel Egéa – Comment Cairanne est devenu le 17e cru des Côtes du Rhône – Rencontre avec Denis Alary

Publié le 2 mars 2016 à  19h42 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  22h04

Il y a quelques jours, Cairanne, jusqu’alors Côtes du Rhône village, a été reconnu par l’Institut National des Appellation d’Origine (INAO) en tant qu’appellation communale. Un décret rapidement publié devrait officialiser la chose. Cairanne devient donc «cru» et porte à 17 le nombre de communes de la vallée du Rhône à pouvoir se targuer de cette distinction. Profitant d’une rencontre à Vinisud, dernièrement à Montpellier, nous avons fait le point sur l’appellation avec Denis Alary, Président du Syndicat des Vignerons de Cairanne et inlassable défenseur du «cru», qui a porté le dossier à bout de bras pendant des années.

Sur son stand, à Vinisud, Denis Alary n’a pas eu le temps de modifier le panneau affichant l’appellation Côtes du Rhône Village. Il est vrai que, pour l’heure, on attend la publication du décret au Journal Officiel pour devenir Cru (Photo M.E.)
Sur son stand, à Vinisud, Denis Alary n’a pas eu le temps de modifier le panneau affichant l’appellation Côtes du Rhône Village. Il est vrai que, pour l’heure, on attend la publication du décret au Journal Officiel pour devenir Cru (Photo M.E.)

«Denis, on peut lui élever une statue à Cairanne… » Denis, c’est Denis Alary dont le combat pour l’obtention de l’appellation communale pour Cairanne vient de se conclure par une belle victoire. Nous ne donnerons pas le nom du vigneron qui a lancé cette phrase liminaire mais nous dirons simplement qu’il est représentatif de ce que pensent bon nombre de professionnels du secteur. Ce sont en effet quelque dix années de travaux qui sont ainsi récompensées, les rouges et les blancs de Cairanne pouvant passer «cru» dès le millésime 2015 pour ceux qui ont respecté le nouveau cahier des charges. Lorsqu’on lui demande pourquoi ne pas avoir revendiqué plus tôt l’appellation communale, Denis Alary est clair : «Il y a une trentaine d’années, la question s’était posée. Mais les vignerons avaient répondu qu’ils n’en avaient pas besoin. Dans l’esprit des consommateurs, même si ce n’était pas le cas, à l’instar de Gigondas ou Vacqueyras, Cairanne était un cru. Tout évoluant, il fallait bien que l’on se mette dans la tête qu’il faudrait passer un jour par cette démarche officielle.» Alors, il y a dix ans, une réflexion est entamée dans le village. «Il y avait 26 caves à l’époque et, pendant six mois, nous nous sommes réunis, concertés et avons pris la décision de lancer la démarche avec l’aval de la quasi totalité des vignerons.» Au cours de ces échanges, l’idée de créer une marque est même émise et étudiée; «Marque ou cru ? Nous avons voté en assemblée générale et tout le monde a levé le doigt pour l’appellation. Et c’est une bonne chose. Une marque c’est pour une entreprise, ça fonctionne difficilement pour un collectif.»

Un (très) long chemin

«Nous avons mis deux ans à constituer le dossier, se souvient Denis Alary. Nous avons effectué une étude du terroir sur l’ensemble du village et creusé une centaine de fosses pédologiques pour proposer une délimitation rigoureuse. Car « la délimitation c’est le nerf de la guerre » nous avaient dit ceux qui étaient passés par là avant nous. On a fait venir l’INAO qui, dans un premier temps, a refusé la délimitation pour le blanc. Alors, on a tout repris, planche cadastrale par planche cadastrale, en négociant pied à pied avec les propriétaires concernés pour affiner cette délimitation. Finalement nous y sommes arrivés. J’ai aussi tenu à ce que l’ensemble des vignerons soient impliqués dans la réalisation du dossier, tous participants à l’une des sept commissions qui avaient été mises en place.»
En juillet 2008, le dossier est bouclé et déposé. La commission nationale s’en empare en 2009 et, en 2010, une commission d’enquête effectue un premier passage. «Nous nous sommes vite rendus compte que nous avions un peu négligé le blanc dans le dossier avec quatre pages seulement. La commission a tiqué et remis en cause l’attribution de l’appellation communale pour cette couleur qui ne représentait que 5% de la production. Alors, pendant six mois, nous avons retravaillé ce chapitre. Nous avons tout mis, l’historique, l’économie, les études de marché, la liste des restaurateurs étoilés au Michelin qui ont du blanc de Cairanne à leur carte… Nous avions pris le parti de travailler en étroite collaboration avec la commission d’enquête et son président que nous appelions dès qu’il y avait un doute ou un problème à régler; nous n’hésitions pas à faire appel à leur expertise.» Quatre experts ont ensuite été nommés et se sont rendus sur le terrain. Ils ont déterminé un premier tracé selon les principes et les critères en vigueur et délimité une superficie de 828 hectares. S’en est suivi le processus de l’enquête publique au cours duquel le commissaire a reçu les réclamations. Les experts sont repassés sur le terrain pour étudier les réclamations et ont retenu, ou rejeté ces dernières. «Finalement à l’été 2014, un deuxième tracé de 1 088 hectares nous a été proposé. Nous l’avons mis au vote et il a obtenu 80% de oui et 20% de non. Coïncidence, 20% c’est la superficie du vignoble qui a été écartée de la zone de l’appellation communale. Dans la foulée nous avons créé notre organisme de gestion qui a été validé en février 2015. »

Trois terroirs et de beaux assemblages

Quelles sont désormais les règles du nouveau cahier des charges ? Une diminution du rendement qui passe de 41 à 38 hl/ha pour les rouges et qui descend à 40 hl/ha pour les blancs. En lui-même l’encépagement n’est pas modifié mais ce sont les pourcentages qu’il faut respecter. Ainsi, pour le rouge, il faut 50% minimum de grenache et 20% de syrah ou de mourvèdre. Par ailleurs, les vendanges sont obligatoirement manuelles avec tri. Donc pas de machines à vendanger. «Il y a aussi l’interdiction totale du désherbage et la baisse du seuil des sulfites.»
«Ce qui fait la force de Cairanne, c’est les assemblages, poursuit le président du syndicat. Ici nous avons trois terroirs très marqués : la montagne avec des argiles blanches et bleues et des galets, le Plan de Dieu avec ses sols maigres et ses galets roulés et la rivière avec des graviers et des sables. Trois terroirs auxquels correspondent trois typicités de vins élaborés avec les raisins qui y sont récoltés. Ce qui permet à chacun de travailler sur les assemblages et de proposer des vins exceptionnels et très personnels. Des blancs très aromatiques, avec du gras et un réel potentiel de vieillissement, des rouges élégants avec des tanins souples et soyeux, charpentés et en même temps d’une belle finesse. Ce sont les caractéristiques du millésime 2015 pour lequel l’INAO a validé le principe de rétroactivité pour l’appellation communale. Il faut dire que la majorité des caves, y compris les caves coopératives, ont joué le jeu du cru depuis plusieurs mois déjà. Cette distinction est la reconnaissance d’un travail et d’un produit élaboré par des vignerons passionnés, souvent à la tête de petites ou moyennes exploitations qui voient ainsi leurs efforts récompensés. Je tiens aussi à remercier le maire de Cairanne et les élus qui ont décidé de calquer le Plan Local d’Urbanisme sur la carte du cru. Ainsi tout ce qui est classé n’est pas constructible. C’est aussi le résultat de la concertation et la concrétisation de la volonté de la majorité des vignerons.» Et lorsqu’il se tourne vers l’avenir, Denis Alary est confiant : «nous avons un potentiel de production de 40 000 hectolitres en cru. Tout ce que je dis aujourd’hui à mes collègues c’est de ne pas prendre la grosse tête et d’éviter que les cours flambent. Si tel était le cas ce serait catastrophique ; il faut préserver les consommateurs…» Nul doute que celui pour qui certains veulent ériger une statue sur la place du village sera entendu. Sa conduite du dossier pour l’obtention du cru plaide pour le moins en sa faveur…
Michel EGEA

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