Labellisation des pôles de compétitivité phase IV : la stratégie d’Optitec

Publié le 18 mars 2019 à  7h23 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  23h37

L’heure est venue d’embrayer avec une nouvelle phase, donc passage à la quatrième pour les pôles de compétitivité de l’Hexagone. Baisse des aides publiques oblige, ces derniers ont le devoir de se réinventer en termes de modèle économique, et c’est justement ce qui a pesé en partie dans l’obtention de leur labellisation. Illustration avec l’un des heureux détenteurs du sésame, Optitec.

© Optitec
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3,17 milliards d’euros de chiffre d’affaires dont 1,11 milliard d’euros réalisés par les PME et ETI adhérentes, 75 % de réussite aux programmes de R&D, 75 000 emplois et 70 start-up créées : sans conteste le bilan en 15 ans d’Optitec lui permettait d’envisager sereinement un nouvel embrayage, celui du passage à la 4e. Puisque la phase IV s’est amorcée pour les pôles de compétitivité français, et elle change sacrément la donne. Le gouvernement engage notamment les 56 clusters labellisés à se tourner plus que sérieusement vers l’Europe. En ligne de mire, les aides financières, les appels d’offres et autres programmes dans lesquels ils pourraient s’insérer afin de capter des fonds… mais ce n’est pas tout : il faut également chasser sur les terres du privé. Car il ne faut pas être grand clerc pour voir le vent tourner, celui d’une manne jusqu’ici plutôt abondante. Baste, comme partout, il faut à présent s’engager dans la voie de l’autosuffisance. «Nous avons dorénavant l’impératif d’être à l’équilibre : la phase IV nous demande de générer un euro de chiffre d’affaires pour un euro d’aide publique. Au terme de ces quatre ans, il nous faut tenir ces ratios, générer du développement. Et ce modèle va continuer à évoluer», décrypte Marc Ricci, la nouvelle tête d’Optitec. C’est pourquoi le cluster spécialisé en optique et photonique a décidé de frapper encore plus fort. Il avait déjà anticipé la tendance en plaçant un permanent à Bruxelles, depuis quelques années. «Au sein du pôle, il y a aussi une équipe de trois personnes dévolues complètement à l’international, avec une expertise pour monter des projets européens.» Aujourd’hui, il se fixe d’être plus royaliste que le roi, ce pour fonder sur l’avenir : «On a décidé de devancer la volonté gouvernementale en générant deux euros de chiffre d’affaires pour un euro d’argent public. Et si on tient ces ratios-là, on pourra s’acheminer vers un modèle pérenne.» Oui… mais comment ?

«Devenir un acteur économique à part entière»

Pour ce faire, Optitec va capitaliser sur les compétences regroupées en son sein, «qui sont économiques, technologiques ou encore axées sur le marché. Nous allons proposer des prestations type veille technologique, analyse de marchés, accompagnement pour monter en gamme… Nous devons vendre de la valeur ajoutée aux entreprises et leur présenter une offre lisible. Bref, devenir un acteur économique à part entière.» Et monter en efficience notamment quand il s’agit d’accompagner les adhérents à l’export. Dorénavant, il s’agit de bien préparer les salons et autres missions, de qualifier les contacts grâce à ce travail amont et «de revenir avec des contrats ou tout du moins, la certitude que l’on va faire du business avec les interlocuteurs que l’on a rencontrés. Nous devons valoriser notre expertise dans ce domaine auprès des entreprises.» Sous-tendue, la volonté de faire grandir ces dernières, de contribuer à leur renforcement. «Sans aller jusqu’à viser la taille d’une ETI, il faudrait au moins parvenir à des PME à l’allemande, à savoir 500 salariés.» Quand elles en comptent en moyenne plutôt 50 en France… Et la question de la taille fait la différence quand il s’agit d’être offensif sur les marchés. Des adhérents plus solides, voilà qui peut aussi conforter Optitec. «Puis ensuite, on pourra penser à de la levée de fonds, mais auparavant, il faut montrer que notre modèle économique est viable», appuie Marc Ricci. Et ce n’est donc pas pour rien si l’arrivée de ce dernier dans la direction d’Optitec correspond à ce phasage. Venant du monde de l’entrepreneuriat, il est en effet l’un des fondateurs et dirigeant jusqu’en 2018 de Crosslux, société basée à Rousset et positionnée sur une innovation de rupture, le vitrage photovoltaïque transparent. «Celui qui survit, c’est celui qui sait évoluer. En tant qu’entrepreneur, on est obligé de le faire», martèle-t-il encore. Évoluer, cela veut dire «actionner les déclencheurs». Car il y en a, détaille alors le dirigeant.

Cinq champs applicatifs

Ce qui pourra déjà permettre à Optitec de tirer financièrement son épingle du jeu, c’est la composition de ses adhérents et sa façon d’œuvrer, garante de flexibilité. Le cluster compte en effet 220 acteurs, et parmi ceux-ci, davantage d’entreprises (130, dont 89 % de PME, TPE et start-up) que d’académiques. Ces petites entreprises travaillent aux côtés des grands groupes, non pas dans un esprit de filière mais de façon transverse. Car la particularité de la photonique, c’est qu’elle représente «un marché colossal» et se trouve liée à de nombreux domaines. De fait, ses champs applicatifs se multiplient à l’envi. «Parfois même, certains équipements utilisent de la photonique sans que les utilisateurs le sachent », soulève Marc Ricci. C’est déjà ce qui va lui permettre de multiplier les leviers de croissance et de s’imposer dans le nouveau modèle économique imposé par le gouvernement. «Historiquement, l’optique photonique, c’était le spatial, qui a amené le segment défense et sécurité. Puis s’est greffé le secteur de la santé et des sciences du vivant… Aujourd’hui, on œuvre aussi sur la thématique de l’industrie du futur… mais aussi celle des villes et de la mobilité intelligente. Plus récemment, on a encore diversifié nos domaines d’application, avec l’agriculture numérique. Ainsi, on valorise notre tissu sous une forme horizontale», explique-t-il. Thématiques choisies souvent parce que liées aux intérêts régionaux. Et tout cela se façonne en fonction des demandes des entreprises du territoire… C’est ainsi que ce 5e segment de marché a été intégré : les besoins sont là et le marché, émergent, de niche certes mais déjà concurrentiel, est immense. D’envergure mondiale, on peut dire. Pour illustrer, l’agriculture nécessite par exemple de détecter sur les plantes les maladies le plus précocement possible. Ce pour optimiser la partie traitement, ne pas asperger de pesticides à grande échelle. «Ce qui correspond à des enjeux de sécurité alimentaire, puisqu’il s’agit de mieux nourrir la population.» Or, les systèmes d’imagerie peuvent typiquement apporter ici une réponse. «Observer au niveau de la plante, cela présuppose de concevoir des instruments portables, autonomes. Un segment sur lequel le pôle, ses entreprises vont travailler.»

A l’aube d’un essor exponentiel

Ainsi, la photonique s’étend de plus en plus. «Elle se trouve un peu dans la même situation que la microélectronique dans les années 70, quand elle est passée en phase très industrielle. Concrètement, la diversification des activités va augmenter mécaniquement le nombre d’adhérents», portés à ce jour à 220… Mention peut mieux faire. C’est un des objectifs à Optitec. «On travaille là-dessus au travers d’études de marché.» Ainsi, la maturité du domaine photonique, conjuguée à l’extension de cette technologie dans les applications et le fait de pouvoir tenir des ratios de plus en plus stricts concourraient tous les trois à la même finalité : une forte progression. Une croissance de l’ordre de 50 % est ainsi envisagée sur les différents marchés. Bref, la filière a toutes les raisons d’envisager l’avenir de façon positive. Un bémol toutefois, pour le monde de l’accompagnement d’entreprises : on l’a vu, la manne publique se raréfie à l’égard de tous les acteurs institutionnels, pôles, organes consulaires… et ces derniers sont tous amenés à revoir leur business model. Reste donc à ne pas se positionner sur les mêmes prestations, et à se différencier. Le secteur de l’économie étant particulièrement perméable aux effets papillon, cette mutation pourrait également affecter le secteur privé, notamment les cabinets d’études positionnés sur ce même segment. A terme, tout l’écosystème ne risquerait-il pas de s’en trouver transformé ?
Carole PAYRAU

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