‘Le Roi Lear’ à la Criée de Marseille. Entretien avec le comédien Mathurin Voltz: ‘J’aime bien aborder le travail comme un athlète’

Publié le 20 octobre 2022 à  13h44 - Dernière mise à  jour le 11 juin 2023 à  17h53

Il avait retenu notre attention dans «Le 20 novembre» de Lars Noren qu’il joua au Festival d’Avignon dans le cadre du Off. Mathurin Voltz s’est retrouvé embarqué dans l’aventure du «Roi Lear» -en tournée dans toute la France- dans une mise en scène de Georges Lavaudant avec un immense Jacques Weber. Rencontre avec un acteur qui possède une voix et qui, athlète de la lecture, multiplie les enregistrements audio d’œuvres littéraires dont «Le fils de l’homme» de Jean-Baptiste Del Amo.

Le comédien Mathurin Voltz  ©DR
Le comédien Mathurin Voltz ©DR

Destimed: Comment s’est déroulé le travail avec Jacques Weber dans le «Roi Lear» ?
Mathurin Voltz: Jouer avec Jacques Weber c’est rencontrer l’élégance. Impressionnant de gentillesse. Impressionnant d’humilité. Impressionnant de travail. Il donne. Aussi bien en dehors que sur scène. On n’a qu’une envie, c’est de lui en donner tout autant.

Comment dirige Georges Lavaudant ?
Georges Lavaudant a cette qualité de mettre en confiance l’acteur. Toujours positif, il l’accompagne. Il ne va jamais contre lui, ne nous dit jamais que «ce n’est pas bien». Au contraire, il prend et améliore ce qu’on lui propose. Il accorde une grande importance à faire entendre le texte. Et pour cause, l’auteur n’est pas si nul que ça, il s’agit de Shakespeare. Nous jouons dans des grands théâtres alors, l’articulation, la diction doivent être impeccables pour que le public puisse ressentir la puissance des mots. Évidemment, il nous demande aussi un grand engagement physique. Jamais statiques, jamais installés. Ça vit, ça bouge. Des choses qui peuvent paraître évidentes mais qu’on a curieusement tendance à oublier en tant qu’acteur quand est trop dans sa bulle de jeu. Je me retrouve beaucoup dans son théâtre.

Que pensez-vous de cette pièce «Le Roi Lear»?
Une pièce où tous les thèmes sont convoqués. L’amour, la mort, l’héritage, l’histoire, la jalousie, la guerre, l’astrologie… C’est gigantesque, infini. Un texte d’une beauté inouïe magistralement traduit par Daniel Loayza. Une chance de pouvoir le jouer avec une telle équipe, l’ambiance y est excellente !

[(A lire aussi : Théâtre de La Criée de Marseille. Le Roi Lear : Jacques Weber gigantesque)]

Comment vous êtes-vous retrouvé à jouer dans le Roi Lear ?
Tout a commencé l’année dernière. Je suis allé voir «Le Roi Lear» mis en scène par Georges Lavaudant, au théâtre de la Porte Saint-Martin à Paris, j’avais beaucoup aimé. Une semaine après, un ami, qui était dans l’impossibilité de jouer un soir dans la pièce m’appelle pour le remplacer. On était vendredi et la représentation avait lieu le mardi suivant. Résultat, je me suis retrouvé à apprendre le rôle d’Albany et tous ses déplacements le plus vite possible pour ne pas perturber le bon déroulement du spectacle. Par la suite, d’autres acteurs ont dû se faire remplacer sur certaines dates de la tournée de cette année. Georges Lavaudant m’a ainsi proposé de les remplacer. Je me retrouve donc, en fonction des représentations, à jouer les rôles d’Oswald (à Marseille notamment), d’Edmond et d’Albany avec une équipe digne des plus accueillantes ! Quelle bonne ambiance il y a d’ailleurs entre nous. On parle beaucoup de football et ça c’est toujours très agréable.

Comment avez-vous travaillé vos rôles ?
Contrairement au rôle d’Albany où je devais tout intégrer en 3 jours, j’ai eu 6 mois pour les autres rôles. J’ai repris le travail à la base. Tout d’abord, j’ai lu la pièce plusieurs fois, la trouvant tellement riche qu’on ne peut pas la comprendre en une seule lecture (je parle pour moi) ! J’ai essayé de comprendre un maximum les enjeux, les personnages… Ensuite, je me suis focalisé sur les scènes et le texte des personnages que j’ai à interpréter.

J’ai appris les trois en même temps, presque comme un monologue car je ne voulais pas donner plus d’importance à un rôle plutôt qu’un autre. Puis mon occupation principale de l’été dernier a été de me dire le texte tous les jours à haute voix, jusqu’à ce qu’il soit le plus naturel pour moi, le plus intégré pour être le plus souple possible lors des prochaines répétitions sur scène avec l’équipe. J’ai ensuite regardé la captation du spectacle pour repérer tous les déplacements des acteurs que je remplace.

Enfin, François Rostain, comédien et maître d’armes qui était également mon professeur d’escrime au Conservatoire de Paris et qui a réglé tous les combats à l’épée dans le spectacle, nous a fait travailler sur plusieurs séances avec Philippe Demarle qui joue Edgar lors de cette tournée. Par ailleurs, et c’est un travail que je fais depuis de nombreuses années, je prends chaque semaine des cours de technique vocale avec une grande professeure de chant: Raymonde Viret. Cette grande dame de 98 ans m’a appris et m’apprend toujours la respiration costo-diaphragmatique. Je lui dois beaucoup. Telle a été ma méthode de préparation pour ce triathlon ! J’aime bien aborder le travail comme un athlète.

Que représente pour vous les livres audio ?
J’ai toujours été intéressé par l’exercice de la voix. Je lis toujours à voix haute, j’ai d’ailleurs du mal à lire dans ma tête, toujours ce besoin d’entendre ce que je dis. Je pratique l’enregistrement de livres audio depuis une dizaine d’années et c’est toujours avec le même appétit que je me plonge dans la préparation d’une nouvelle lecture. C’est assez similaire au jeu sur scène. Il faut trouver la nuance, la bonne respiration du texte. Au fond, c’est le même travail. J’essaie donc de bien préparer ces enregistrements pour faire entendre un maximum la particularité du texte. Comme disait Michel Bouquet, on ne joue pas pareil Molière et Shakespeare. Eh bien une lecture c’est pareil. Je lirai différemment Notre-Dame de Paris et un album pour enfants. Chaque texte a sa propre voix.

Et parlez-nous de votre travail sur « Le fils de l’homme » de Del Amo
Dans le livre «Le Fils de l’homme», ce qui m’a particulièrement marqué, c’est la tension que Jean-Baptiste Del Amo a réussi à installer du début à la fin. J’ai eu cette impression d’entendre une note en continu, une note grave qui nous tient en haleine tout du long, grâce à la puissance de la langue de l’auteur, la puissance de ses descriptions. À tel point que ce livre pourrait tout à fait être adapté au cinéma, tant les images d’un décor naturel sont présentes dans les scènes entre le père, la mère et le fils. Le climat du roman étant assez lourd, je me suis appliqué à ne pas rajouter du drame dans ma voix mais plutôt à rester neutre, sans être robotique non plus, qu’on en oublie presque la voix de l’acteur pour que l’auditeur soit avant tout plongé dans l’histoire.
Propos recueillis par Jean-Rémi BARLAND

le Roi Lear à La Criée de Marseille jusqu’au 21 octobre à 20 heures. Le mercredi 19 octobre à 19 heures. Plus d’info et réservations : theatre-lacriee.com/
« Le fils de l’homme » par Jean-Baptiste Del Amo. Gallimard, lu en intégralité par Mathurin Voltz. CD MP3 Écoutez lire Gallimard

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