Le club Ethic Eco reçoit Soheib Bencheikh: « L’éthique est liée au groupe humain, elle est donc toujours en mutation »

Publié le 24 février 2016 à  19h30 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  13h44

«Je suis venu m’interroger, avec vous sur un sujet subtil et important, la question de l’éthique». Ce lundi 22 février, le théologien et chercheur Soheib Bencheikh était le premier invité du club Ethic Eco qui vient de voir le jour à Marseille, à l’initiative du Conseil régional de l’Ordre des experts-comptables Paca. Il est intervenu, devant un public issu des mondes juridique, politique, associatif, religieux, avec notamment l’imam Abderrahmane Ghoul ou encore le président du Consistoire israélite Zvi Ammar sur…. la question de l’éthique universelle.

Soheib Bencheikh (à gauche) premier invité du Club Ethic Eco lancé par Mohamed Laquila (au centre), président du CR des Experts comptables Paca et Farouk Boulbahri vice-président de la Compagnie régionale des Commissaires aux comptes (Photo Robert Poulain)
Soheib Bencheikh (à gauche) premier invité du Club Ethic Eco lancé par Mohamed Laquila (au centre), président du CR des Experts comptables Paca et Farouk Boulbahri vice-président de la Compagnie régionale des Commissaires aux comptes (Photo Robert Poulain)
De nombreuses personnalités ont participé au lancement du Club Ethi Eco (Photo Robert Poulain)
De nombreuses personnalités ont participé au lancement du Club Ethi Eco (Photo Robert Poulain)

Mohamed Laqhila, le président du Conseil régional de l’Ordre des experts-comptables Paca rappelle le parcours de Soheib Bencheikh, ses combats «pour décomplexer les musulmans de France, pour la laïcité et contre le fondamentalisme». «Il a quitté toutes ses fonctions en 2005, rappelle-t-il, en indiquant au ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy que la France n’était pas son bien pas plus que l’Islam n’était sa propriété et que la France aurait l’Islam qu’elle mérite ».

«La religion n’est pour moi qu’éthique et esthétique»

Soheib Bencheikh avance : «J’ai beaucoup cherché ce qu’était la religion, elle n’est, pour moi, qu’éthique et esthétique. On a soif, on s’engage. Mais l’éthique n’est pas une notion absolue. La recherche du bien, du bon, évolue. Le bien d’aujourd’hui n’est pas celui d’hier; le juste d’aujourd’hui ne sera pas celui de demain. L’éthique est réflexion et c’est là que se construit la société de demain, dans la recherche de règles et de normes non écrites. Car, si l’éthique est écrite elle devient code». Selon lui la morale est relative. «Elle résulte de négociations longues entre individus, des négociations inintelligibles et inconscientes qui préservent les intérêts de la personne sans toucher à ceux des autres car qui dit éthique dit vie en commun».

«L’éthique est liée au groupe humain, elle est donc toujours en mutation»

Il cite comme exemple : «Prenez un groupe hétérogène dans un lieu isolé. Il créera une langue pour communiquer et une éthique pour pouvoir vivre ensemble. L’éthique est liée au groupe humain, elle est donc toujours en mutation. L’épistémê -à savoir l’ensemble des vérités et des connaissances d’un individu ou d’un groupe- change en permanence». Il en vient à considérer : «Il y a longtemps les groupes humains vivaient séparément et chacun cultivait sa propre éthique. Se différenciait. Je ne suis pas l’Autre, je ne peux construire mon Moi qu’en étant différent des autres… Mais, aujourd’hui les groupes se mélangent, les civilisations se côtoient, s’assimilent et nous avons une société plurielle». «La mondialisation, ajoute-t-il, avait pour objet de faciliter la circulation des biens et des fonds, ce qui n’était pas prévu c’est que dans le même temps sont passées des idées, des cultures. Ainsi, aujourd’hui, nous vivons avec l’Autre sans nous déplacer. Reste à savoir si cet hyper-groupe qu’est l’humanité va créer une éthique. Je suis optimiste et je réponds oui. Car, le fait de vivre ensemble crée peu à peu les règles qui gèrent notre cohabitation, notre convivialité». Soheib Bencheikh aborde les notions d’Est/Ouest et Nord/Sud, «qui ont eu un sens géopolitique comme économique forts. Tel n’est plus le cas aujourd’hui, le Nord et le Sud, l’Est et l’Ouest sont partout, à New-York, New Delhi, Riyad, Londres, Paris…Et, lorsque l’on se rappelle la 2e guerre du Golfe, on voit que le pape était contre et ses propos ont été repris par la plus grande autorité sunnite; la France était également contre alors que l’Égypte et l’Arabie Saoudite étaient pour. Alors, où est le combat Orient/Occident?». Un intervenant acquiesce : «Je partage votre optimisme, mais la question temporelle se pose, à quel horizon nous plaçons-nous et que dire à nos enfants?».

«Peut-on travailler à l’articulation entre particularisme et universel?»

Alain Chouraqui, président de la Fondation du Camp des Milles (photo Robert Poulain)
Alain Chouraqui, président de la Fondation du Camp des Milles (photo Robert Poulain)

Alain Chouraqui, le président de la Fondation du Camp des Milles félicite l’intervenant : «Vos propos sont stimulants et c’est fondamental pour un penseur et pour un penseur de l’Islam. Je partage votre optimisme car, après la Seconde guerre mondiale il y a eu la Déclaration Universelle des droits de l’Homme et ce n’est pas rien. Aujourd’hui, il y a la COP21. De nombreux exemples montrent qu’il existe une prise de conscience des enjeux communs auxquels nous sommes confrontés. Problème, si cette élaboration universelle est trop longue, nous serons tous morts. Alors ne peut-on travailler à l’articulation entre particularisme et universel. Et cela pose la question de la mémoire car une possible concurrence des mémoires existe, il faut donc réfléchir à voir comment faire converger les mémoires ce qui permet à chacun d’articuler ses particularités avec l’universel. Au Camp des Milles, nous donnons les éléments qui permettent de comprendre comment les discriminations, les racismes, l’antisémitisme et les extrémismes peuvent mener au pire. Mais nous donnons aussi des repères pluridisciplinaires et des clés de compréhension scientifiques qui peuvent aider à agir au présent contre ces intolérances». Il note à ce propos: «Lorsque l’on demande à des personnes qui ont résisté -lors des génocides arméniens, juifs, tutsis- toutes sont humbles et toutes répondent qu’elles avaient fait ce qu’ils devaient faire.Ce qui renoue avec un absolu de l’éthique».
Caroline Pozmentier (LR), adjointe à la sécurité de la ville de Marseille et vice-présidente de la région Paca et la sénatrice Sophie Joisssains, UDI, vice-présidente de la région Paca (Photo Robert Poulain)
Caroline Pozmentier (LR), adjointe à la sécurité de la ville de Marseille et vice-présidente de la région Paca et la sénatrice Sophie Joisssains, UDI, vice-présidente de la région Paca (Photo Robert Poulain)

«Qu’en est-il de l’éthique et la politique?», interroge pour sa part Caroline Pozmentier (LR), adjointe à la sécurité de la ville de Marseille et vice-présidente de la région Paca . «Il existe deux types de politiques: ceux qui veulent façonner la société, au risque d’être impopulaires et, pour cela, ils ont besoin d’un minimum d’utopie et de rêve et puis il y a ceux, plus nombreux et plus pérennes, qui se contentent d’être des gestionnaires du réel», répondra Soheib Bencheikh. La sénatrice Sophie Joisssains, UDI, vice-présidente de la région, affirme pour sa part ne pas être rassurée par les propos de Soheib Bencheikh sur l’éthique universelle, fruit de négociations. «Cette variable, cette négociation pose la question de l’utopie, de l’idéal, elle interroge aussi sur la négociation qui peut, par des jeux de rapport des forces, faire que les propos de certains aient plus de poids que d’autres».
«Il y a deux types de politiques,juge Soheib Bencheikh, ceux qui ont de l’utopie, du rêve et qui donc veulent façonner la société quitte à être impopulaires et ceux qui sont gestionnaires du réel et qui veulent que surtout rien ne change». « Mais qu’en est-il de l’éthique dans l’entreprise?», demande Farouk Boulbahri, vice-président de la Compagnie régionale des commissaires aux comptes.
L’universitaire Bernard Paranque n’entend pas opposer le Capital au Travail, en revanche, avance-t-il: «Nous sommes dans une dynamique sociale à construire». Considérant qu’«il ne faut plus réduire les entreprises aux sociétés de capitaux et ces dernières à leurs actionnaires. Il faut sortir d’une éthique construite dans les années 70 donnant à l’actionnaire la responsabilité du bien-être général».
Michel CAIRE

Soheib Bencheikh et la question de l’Islam

Le théologien et chercheur Soheib Bencheikh (Photo Robert Poulain)
Le théologien et chercheur Soheib Bencheikh (Photo Robert Poulain)

Soheib Bencheikh n’a pas manqué d’évoquer la question de l’islam. «Il y a beaucoup de problèmes aujourd’hui qui sont malheureusement liés à ma religion et nous en sommes responsables. Nous devons parler de notre propre archaïsme. Oui, notre culture crée des meurtriers. Oui, j’ai une religion dont des lectures sont dangereuses pour l’Humanité». Et d’élargir son propos: «La religion pose une question. Est-elle un médicament dont on doit connaître la posologie; savoir quand, on doit le prendre et quelle quantité? Si on prend un médicament prévu pour sauver la vie dans de mauvaises conditions, il tue. C’est le cas aujourd’hui, une mauvaise lecture de la religion tue. Ne vaut-il pas mieux: pas de religion ? C’est un choix difficile pour moi croyant. La religion offre de l’enchantement, et c’est positif, cela transcende nos propres volontés». Or, l’Homme, selon lui, «abolit à tout moment ce qu’il a produit. Mais, si la promulgation a été faite au nom d’un sacré partagé je réfléchis 1 000 fois avant de l’abolir». Alors, pour Soheib Bencheikh: «Les musulmans ont un problème de réinterprétation des textes parce que les relectures sont anciennes. Or, un bien, lorsqu’il stagne, devient un mal».
Le président du Consistoire israélite Zvi Ammar (Photo Robert Poulain)
Le président du Consistoire israélite Zvi Ammar (Photo Robert Poulain)

Zvi Ammar rend hommage au courage de l’orateur, il indique: «Je suis né en Tunisie, j’ai étudié la culture musulmane. La religion musulmane était alors enseignée comme une religion de tolérance et la population était tolérante. Aujourd’hui, nous assistons à une radicalisation et les voix modérés sont de moins en moins nombreuses à avoir le courage de dire ce qu’elles pensent». Il déplore à ce propos qu’«au nom de la laïcité l’Islam n’ait pas les moyens de faire entendre son message de fraternité pendant que les fanatiques eux, obtiennent tout l’argent qu’ils souhaitent». Soheib Bencheikh de réagir : «Lorsque la théologie musulmane était brillante, en phase avec son époque, une grande école décrète que ce n’est pas le texte qui rend les choses bonnes ou mauvaises mais parce qu’elles sont bonnes ou mauvaises qu’elles donnent lieu à la règle». Avouant alors : «Je suis déçu, blessé, j’ai œuvré, je me suis donné à une cause noble : établir dans ce pays un islam spécifique qui s’intègre dans le pluralisme français qui se débarrasse de la théologie de la majorité; un islam qui voit dans la laïcité une chance qui le libère de la pression du politique et du social. En France si l’on jeûne deux jours pendant le Ramadan personne ne le sait. c’est un jeûne offert à Dieu et qui répond à ma disponibilité du moment. Et les premiers qui m’ont déçu sont les politiques, car, là où je voulais que le Conseil Représentatif du Culte Musulman soit une œuvre pédagogique pour l’Islam en France, Sarkozy a fait le choix de la voie de la majorité et nous avons eu une représentation du terrain avec ses archaïsmes, son clientélisme, son radicalisme».
M.C.

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