Le rover Perseverance, de la NASA, s’est posé avec succès sur Mars par l’astrophysicien Michel Marcelin

Publié le 18 février 2021 à  22h46 - Dernière mise à  jour le 31 octobre 2022 à  14h56

Les amateurs de ciel nocturne ont pu remarquer, pendant tout l’été 2020, un astre de couleur orangée qui brillait de manière spectaculaire, très haut dans le ciel, en direction du sud. Il s’agit de la planète Mars, dont le sol riche en oxyde de fer a une couleur orange caractéristique. Elle se trouvait alors au plus près de la Terre et plusieurs agences spatiales en ont profité pour lancer des sondes dans sa direction : la Nasa bien entendu mais aussi, et c’est une nouveauté, la Chine et les Émirats arabes unis. Après un peu plus de six mois de voyage, ces sondes arrivent aujourd’hui à destination.

Destimed arton12734

En orbite autour de Mars

Il faut dire que la planète Mars est la plus convoitée par les agences spatiales. Depuis 1960 on a envoyé un peu plus de 50 sondes vers cette planète, mais il y a eu une trentaine d’échecs. Cela explique le nom de Perseverance donné à la dernière sonde qui vient de se poser sur Mars. Il y a actuellement huit sondes actives en orbite autour de la planète rouge : trois américaines (Mars Odyssey, Mars Reconnaissance Orbiter, Maven) deux européennes (Mars Express et Exomars), une indienne (Mars Orbiter Mission), une émiratie (Al Amal) et une chinoise (Tianwen 1). Ces deux dernières sont arrivées il y a quelques jours à peine, le 9 et le 10 février 2021 respectivement.

Sur le sol de Mars

Seule la NASA a pour l’instant réussi à se poser avec succès sur cette planète, et Perseverance est la huitième. Les premières sondes à se poser sur le sol de Mars ont été Viking 1 et 2, en 1976. On a alors obtenu les premières images spectaculaires des cailloux à la surface de la planète, mais ces sondes étaient statiques. Il y eut ensuite Pathfinder, en 1997, avec le petit rover Sojourner qui a pu parcourir quelques mètres à la surface de Mars, avant que ses mécanismes ne soient grippés en raison du froid. Spirit et Opportunity ont suivi, en 2004, et leurs rovers ont fonctionné respectivement pendant cinq et dix ans, parcourant presque 8 km à la surface de Mars pour Spirit et plus de 45 km pour Opportunity. La sonde Phoenix s’est posée en 2008 dans la région arctique martienne où elle a gratté le sol, révélant de la glace d’eau sous la surface, mais elle n’avait pas de rover. Elle a été suivie par le rover Curiosity qui s’est posé en 2012 et fonctionne encore de manière satisfaisante aujourd’hui. Perseverance est donc le huitième engin qui vient de se poser avec succès sur Mars (et le cinquième à rouler à sa surface) le 18 février 2021.

Un atterrissage périlleux

Les premières sondes envoyées sur le sol de Mars se sont toutes posées avec une technique facile à mettre en œuvre. Après un freinage par friction dans l’atmosphère puis ouverture d’un parachute, la sonde était tout simplement entourée d’airbags qui se gonflaient juste avant l’impact avec le sol. Après plusieurs rebonds sur le sol, et une fois les airbags dégonflés, la base se dépliait et le rover descendait par une petite rampe pour aller se promener sur la planète. Cette technique a été jugée inadaptée avec Curiosity dont le poids approchait la tonne et encore plus avec Perseverance qui pèse un peu plus d’une tonne et qui a la taille d’une petite automobile. On utilise donc une technique qui s’apparente à l’hélitreuillage pour déposer le rover à la surface de Mars à partir d’une sorte de grue qui se maintient en vol stationnaire par des réacteurs tout en laissant descendre le rover suspendu à des câbles. Le processus est entièrement automatisé car aucune intervention humaine n’est possible pendant l’opération, compte tenu du délai lié au temps de transmission des signaux entre la Terre et Mars (presque 12 minutes à cette date).

Une grue volante a déposé Perseverance à la surface de Mars © NASA/JPL
Une grue volante a déposé Perseverance à la surface de Mars © NASA/JPL

Perseverance en quête des martiens

A la fin du XIXe siècle les astronomes observant Mars avec leurs grandes lunettes crurent voir à la surface de la planète un entrelac de canaux. Le premier à signaler l’existence de longues structures rectilignes sombres semblables à des canaux fut l’italien Giovanni Schiaparelli qui dessina une carte de Mars zébrée par de tels canaux. D’autres astronomes se mirent alors à observer Mars et confirmèrent l’existence de ce type de structure. Il est vrai qu’à l’époque on observait à l’œil et que, l’imagination aidant, on peut voir des structures géométriques là où il n’y a en fait que des discontinuités de terrain. De fait, de tous les prétendus canaux repérés à l’époque seul Valles Marineris est une faille bien réelle à la surface de la planète.

La couleur orange de Mars, faisant penser à du sable et évoquant par la même une planète désertique, donnait encore plus de force à l’idée que ses habitants aient pu tracer un réseau de canaux destiné à l’irrigation. D’autant que cela aurait permis d’exploiter la fonte des calottes polaires (dont l’évolution saisonnière était bien suivie avec les lunettes de l’époque) pour amener de l’eau vers les zones équatoriales.
On avait également observé à l’époque des changements de couleur à la surface de Mars.

Ces changements sont bien réels et se produisent encore de nos jours. En revanche, c’est l’interprétation qui en fut donné alors qui est incorrecte. On interpréta en effet cela comme étant dû à des changements saisonniers de couleurs de la végétation martienne. En fait ce sont des tempêtes saisonnières qui entraînent en suspension dans l’atmosphère d’immenses quantités de sable, pouvant masquer la totalité de la planète pendant plusieurs jours. Ce sable qui va mettre à nu certaines zones de sol plus foncé va au contraire en recouvrir d’autres plus loin, de sorte que l’on va voir des zones changer de couleur. L’idée de l’existence de végétation sur Mars s’accordait très bien avec l’idée que cette planète était habitée.

Enfin on avait découvert la présence de deux petits satellites en orbite autour de Mars, baptisés Phobos et Deimos (découverts en 1877 par l’astronome américain Asaph Hall). Trop petits pour qu’on puisse voir des détails sur leur surface, ils apparaissent seulement comme des points brillants, même avec les télescopes les plus puissants. Le plus proche de Mars (à 2,7 rayons martiens) tourne en seulement 7h40mn autour de la planète.

Au vu de l’ensemble des éléments ci-dessus on conçoit que l’existence des martiens ne faisait plus guère de doute au début du XXe siècle, y compris dans la communauté scientifique. A tel point qu’une dame de la haute société parisienne avait promis un prix de plusieurs milliers de Francs or au premier qui entrerait en contact avec des extraterrestres par communication radiophonique, Mars étant exclue puisqu’on considérait que c’était gagné d’avance…

La participation française à Perseverance

L’instrument SuperCam (Super Camera) fait partie des sept instruments scientifiques embarqués sur Perseverance. Cet instrument est en grande partie français puisqu’il a été conçu et fabriqué par un ensemble de laboratoires français (IRAP et ISAE à Toulouse, LAB à Bordeaux, LESIA, LATMOS et IAS à Paris et Ile de France) et un laboratoire américain (LANL). Cet instrument est la version améliorée de ChemCam (Chemical Camera) qui équipe le rover Curiosity de la Nasa, avec un laser qui tire sur les roches dont on veut connaître la composition et une caméra équipée d’un spectromètre pour faire l’analyse en temps réel du gaz vaporisé par le tir laser, lequel peut porter jusqu’à une dizaine de mètres. Le laser qui équipe ChemCam a été développé par le groupe Thalès pour le CNES, c’est le premier laser de puissance à fonctionner sur une planète autre que la Terre. Il est toujours en opération et totalise à ce jour plus de 500 000 tirs « extraterrestres ».

Tir laser de SuperCam sur les roches martiennes pour analyser leur composition © NASA
Tir laser de SuperCam sur les roches martiennes pour analyser leur composition © NASA

Le laser qui équipe SuperCam permet, en plus de la fonction LIBS (Laser Induced Breakdown Spectroscopy) déjà présente sur ChemCam, une fonction de spectroscopie Raman, technique non destructive qui permet d’approfondir les analyses en étudiant les modes de vibrations des molécules. Cette nouvelle technique d’analyse, jamais expérimentée sur Mars, permettra de trouver d’éventuels marqueurs de vie. SuperCam permet aussi de faire de la spectrométrie dans le domaine infrarouge, on n’utilise pas le laser pour cela mais on analyse simplement la lumière du Soleil réfléchie par les roches.

Enfin, SuperCam est équipée d’une caméra de prise de vue en couleurs (celle de ChemCam était en noir et blanc) et d’un microphone. Un deuxième se trouve sur le côté du rover et ces microphones constituent une nouveauté car on n’a jamais écouté les sons de cette planète jusque-là. Comparée à l’atmosphère terrestre, celle de Mars est beaucoup plus ténue (la pression au sol est inférieure à un centième de la pression atmosphérique terrestre) et principalement composée de gaz carbonique, lequel est plus dense que l’air et transmet mieux les sons graves. Du fait de sa très faible pression, l’atmosphère martienne transmet toutefois moins efficacement les sons, une source sonore donnée semblera donc moins aigüe mais surtout plus étouffée que sur Terre.

Le but principal de SuperCam est de chercher d’éventuelles traces de vie passée à la surface de Mars et d’identifier les échantillons les plus intéressants à rapporter sur Terre. Une fois qu’on les aura choisis, un bras robotique équipé d’une foreuse va prélever les échantillons les plus représentatifs pour les mettre dans des petits containers étanches. Ces échantillons (36 tubes de « carottes » martiennes) seront récupérés par le Fetch rover de l’agence spatiale européenne qui arrivera en 2027 sur Mars, à bord d’un atterrisseur américain. L’engin européen les ramènera ensuite sur Terre où on pourra les analyser avec des techniques plus sophistiquées.

Un hélicoptère ingénieux pour survoler Mars

Perseverance va emporter un engin original, baptisé Ingenuity. Il s’agit d’un petit hélicoptère de démonstration, le premier qui va évoluer sur une autre planète. Compte tenu de la très faible pression de l’atmosphère martienne, c’est un peu comme si on devait le faire voler sur Terre à 30 km d’altitude. Il a donc fallu construire un engin très léger (moins de 2 kg) et l’équiper de deux paires de pales de 1,20 m de longueur, montées sur deux rotors indépendants qui tournent en sens opposé à près de 2 400 tours/minutes, ce qui est bien plus rapide qu’un hélicoptère classique.

Il est équipé d’un panneau solaire situé au-dessus des rotors, pour recharger sa batterie, et d’une caméra à deux objectifs, placée à la base, qui permettra d’obtenir des images en 3D des zones survolées. De plus, compte tenu de la distance séparant la Terre de Mars qui se traduit par un temps d’aller-retour des signaux d’une vingtaine de minutes en moyenne, tout est entièrement automatisé pour les séquences de vol d’Ingenuity.

L’hélicoptère martien Ingenuity © NASA/JPL-Caltech
L’hélicoptère martien Ingenuity © NASA/JPL-Caltech

Préparer l’arrivée de l’homme sur Mars.

Perseverance doit également préparer le terrain pour les prochaines missions vers Mars, en particulier pour l’arrivée d’astronautes. On a d’ailleurs commencé à collecter des informations utiles avec le rover Curiosity qui mesure le taux de radiations solaires à la surface. Cela permettra d’adapter les combinaisons des astronautes ainsi que leur habitat afin de les protéger au mieux. Sur Perseverance, l’instrument Moxie permettra de tester la fabrication d’oxygène directement à partir du dioxyde de carbone de l’atmosphère.

Ce type d’appareil sera indispensable pour les missions martiennes car l’oxygène est essentiel pour permettre aux astronautes de respirer mais aussi et surtout pour servir de comburant pour les fusées. Il est quasiment impossible, avec les technologies actuelles, d’envoyer vers Mars un engin spatial qui transporterait la quantité de carburant et de comburant nécessaire pour assurer le retour vers la Terre. Il est donc indispensable de pouvoir en fabriquer sur place en extrayant de l’oxygène et de l’hydrogène du sol, soit directement à partir de l’eau du sous-sol (qui pourrait être électrolysée avec l’électricité fournie par des panneaux solaires) soit à partir des minéraux des roches martiennes. Cela pourrait être fait par des engins automatiques envoyés sur place bien avant les premières missions habitées. D’où l’importance de réaliser des tests comme ceux effectués par Perseverance avec des instruments tels que Moxie.

Michel MARCELIN – Directeur de recherche émérite au CNRS Laboratoire d’Astrophysique de Marseille

Articles similaires

Aller au contenu principal