Leïla Slimani Prix Goncourt 2016 pour « Chanson douce » l’histoire de la nounou créatrice d’enfer

Publié le 3 novembre 2016 à  19h43 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  15h41

Leïla Slimani  Prix Goncourt 2016 (Photo D.R.)
Leïla Slimani Prix Goncourt 2016 (Photo D.R.)

Il ne faut pas se fier aux apparences. Pas plus qu’Aurélien d’Aragon n’aurait dû se détourner de Bérénice qu’il trouva au premier regard franchement laide, (il faudra plus de 600 pages pour qu’il ne change définitivement d’avis), Myriam parla trop vite quand elle déclara : «Ma nounou est une fée… ». Bonté endémique de cette jeune parisienne ? Compassion un peu condescendante issue de rapports sociaux nourris d’une certaine forme de lutte des classes ? Réflexe féministe ? Il y a un peu de tout cela chez cette jeune mère de famille parisienne, un rien bobo, plutôt aisée, mariée à Paul avec qui elle forme un couple sans problèmes, ouvrant sa maison et son cœur à Louise, chargée de garder ses enfants dans une ambiance conviviale et plutôt chaleureuse. Chose qu’elle fera d’abord avec conscience, transformant l’appartement plutôt étouffant du couple, en un «lieu paisible et clair». Oui décidément les apparences sont trompeuses. Car, en fait de gentille gardienne d’enfants, celle qui leur racontera des histoires pour les endormir le soir, s’avèrera être aussi leur bourreau. Dans un moment de folie meurtrière elle les tuera tous les deux, Mila l’aînée, et Adam, et la souriante nounou de devenir l’espace d’un instant «une nounou…pour l’enfer». Sans lever la voix, sans effets narratifs, avec une écriture neutre relevant presque du rapport de police, Leïla Slimani présente les faits et dès le début de son roman «Chanson douce » (dont le titre contraste avec la noirceur du récit), évoque le meurtre, la stupeur des parents, l’effroi et le début de l’enquête. Comment en est-on arrivés là ? Par touches impressionnistes l’auteure déploie un récit, sombre, terrible, poignant, et nous plonge au cœur d’un couple d’aujourd’hui et dans celui d’une femme aux lourds antécédents familiaux. Une femme brisée de ne jamais avoir su aimer, et dont nous appréhenderons le geste par le biais du travail juridico-policier entrepris par le capitaine Nina Dorval, chargée de représenter le ministère public.
En attribuant à ce roman terrifiant, le Prix Goncourt 2016 (et ce au 1er tour de scrutin avec 7 voix sur 10) les Jurés de Drouant ont choisi de récompenser un texte sans flonflons, ni enjolivures, un texte brut de décoffrage, une fiction brutale et sans aspérités, mais remplie de fausses pistes et d’une vraie prise de risque narrative. Non, «Chanson douce» (2e roman de son auteure) n’est pas un «joli» livre, au sens décoratif du terme, mais dérangeant, il va en dérouter plus d’un, ce qui est reconnaissons-le, une des fonctions de la littérature. De toute façon les différentes sélections présentées aux divers prix de cet automne mettaient en lumière des romans parlant de suicides, de crimes de guerre, de violence faite aux animaux, d’inceste, de cannibalisme, de meurtre, tous reflets d’une époque troublée. Nous restons ici dans le ton général. J’eusse préféré quant à moi voir le Goncourt échoir à Luc Lang, Jean-Paul Dubois ou Del Amo (un temps sur la liste) dont les livres absolument magnifiques m’ont secoué, la récompense suprême attribuée à Leïla Slimani couronne une authentique écrivaine dont le livre laisse chez le lecteur des traces profondes. L’aspect sociétal du récit, sa plongée en forme de suspens dans l’univers des femmes des deux rives de la Méditerranée, son refus de tout pathos et son rejet de toute forme de complaisance, en font un grand roman noir, et une vraie réussite littéraire. Un Goncourt, allant une fois encore à Gallimard maison d’éditions qui possède la majorité des voix votant dans cette Académie. Mais c’est sans doute un hasard….
Jean-Rémi BARLAND

index.png « Chanson, douce » par Leïla Slimani – Éditions Gallimard – 227 pages – 18 €

Articles similaires

Aller au contenu principal