Marseille: « Les Panoramas » et la Tunisie s’invitent au Mucem du 4 novembre au 29 février 2016

Publié le 3 novembre 2015 à  21h29 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  20h43

Le musée d’Art et d’Histoire de Genève et le MuCEM se sont associés pour une exposition très didactique sur « les Panoramas » inaugurée ce mardi et qui ouvrira au public ce mercredi 4 novembre jusqu’au 29 février 2016 au MuCEM à Marseille. Déjà présentéedu 4 mai au 27 septembre au Musée Rath à Genève, cette exposition explore le phénomène du panorama devenu banal pour nous, dans sa dimension géographique physique et mentale. 400 panoramas. On y trouve des grandes fresques murales de batailles à la gloire des vainqueurs, des vues de villes sur 360° ou de campagnes et montagnes dressées par des géographes jusqu’à la carte postale comme souvenir ou voyage par procuration.

(Photo Philippe Maillé)
(Photo Philippe Maillé)

Le visiteur entre dans le musée accueilli par une scène d’OSS 117, « Le Caire nid d’espions« , dans laquelle l’acteur Jean Dujardin s’exclame: « J’aime les panoramas! » devant le Canal de Suez. « C’est une phrase banale que n’importe qui peut prononcer« , explique Jean-Roch Bouiller, le co-commissaire de l’exposition avec Laurence Madeline du Musée d’Art et d’Histoire de Genève.
Sous ce titre « J’aime les Panoramas« , ces deux institutions marseillaise et genevoise nous permettent d’entrevoir une partie des raisons de la représentation picturale. Napoléon ne s’y était pas trompé. Déjà inventeur de la publicité pour son armée de vainqueurs avec les images d’Épinal de ses grognards colportées dans les campagnes pour inciter des volontaires à rejoindre sa Grande Armée, il avait demandé la création de bâtiments permettant l’installation de tels panoramas à sa gloire. Les Russes lui ont renvoyé la balle en faisant de la bataille de Borodino, glorifiée par Tolstoï, perdue par Napoléon en 1812, le plus grand panorama de Russie, utilisé ensuite par Staline à Moscou pour galvaniser ses troupes contre Hitler comparé à l’empereur vaincu des Français.

Des artistes et non des moindres se sont saisis du « Panorama »

Des artistes et non des moindres se sont saisis du « Panorama » et notamment Claude Monet avec les Nymphéas qui couronnent sa carrière et l’installation de ce panorama dans une salle dédiée de l’Orangerie à Paris. Ces réalisations ne sont pas montrées dans cette exposition du MuCEM. Elles sont fortement évoquées comme les tapisseries d’Aubusson et les grandes scènes de chasse ou les tableaux de Canaletto qui réussissaient l’exploit de faire tenir un panorama complet de Venise dans une petite toile paysage format A4.
Les enfants qui n’ont pas connu les Leporello de Casterman de plusieurs mètres une fois dépliés mais seulement quelques livres dépliables sont déjà familiers du panorama. Les Marseillais seront époustouflés par les aquarelles de Christine Nicolas. Elle a pagayé le long des côtes de la rade de Marseille, 35 kilomètres durant, pour nous présenter une vidéo réunissant bout à bout un panorama défilant de 65 mètres d’aquarelles. Les deux commissaires d’exposition, le Français Jean-Roch Bouiller, conservateur en chef et responsable du secteur art contemporain au MuCEM, et la suissesse Laurence Madeleine, conservateur en chef et responsable du pôle Beaux-Arts des Musées d’Art et d’Histoire de Genève, invitent le spectateur à découvrir comment cette technique inventée au XVIIIe siècle a forgé notre façon de voir jusqu’au cinéma en panoramique, la propagande et la publicité notamment celle de Kodak qui en fit grand usage.

« L’expérience panoramique pose la question de notre rapport au monde »

Panorama David Hokney (Photo A.L.)
Panorama David Hokney (Photo A.L.)

Issue d’une logique d’appropriation scientifique et militaire avant d’être accaparée par la société du spectacle, « l’expérience panoramique pose la question de notre rapport au monde, au paysage maîtrisé ou inconnu, au tourisme de masse, à la consommation de points de vue formatés, à l’image comme source de divertissement… « , dit Jean-Roch Bouiller. On ne parle pas ici de peinture, de photos, mais de technique de représentation; du premier dessin de panorama de l’américain Robert Fulton en 1799 à la pièce pour toutes les couleurs très impressionnante sur 360° du danois Olafur Eliasson réalisée en 2002.
Cette première section expose des fragments de «Panorama du siècle» des peintres Henri Gervex et Alfred Stevens qui présentait pour l’exposition universelle de 1889 cent ans d’Histoire de France depuis la Révolution de 1789. Elle montre aussi une photographie de l’artiste canadien Jeff Wall d’une fausse restauration du Panorama Bourbaki de Lucerne dont le succès entrainera la restauration du bâtiment qui l’abritait.
Cinq autres thèmes liés au panorama sont présentés dans cette exposition visible par petits et grands.
Après le dispositif panoramique et ses techniques, le panorama comme relevé géographique, la construction du point de vue pour savoir où se placer pour avoir le meilleur panorama et le panorama comme récit avec en exemple les tapisseries de Bayeux et les grands coloramas à la gloire des États-Unis et de leur mode de vie diffusés par Kodak. Avant dernier thème : le panorama comme substitut que l’on connait avec des papiers peints représentant des paysages « comme si on y était » à coller dans des chambres ou des salons depuis le 18e.
Dans la dernière partie mettant « l’Homme face au grand paysage », le tableau « Der Wanderer » (2004) Elina Brotherus représente une femme de dos devant un panorama très académique; un clin d’œil hommage à Friedrich qui fut le premier au XIXe à présenter ainsi une silhouette dans une toile nous incitant à nous mettre, nous public, à sa place et à contempler le paysage qui se déroule à ses pieds. En contre point, sur le mur d’en face, un diptyque abstrait de Ellworth Kelly apparenté au courant minimaliste américain. « Il nous impose en jaune et bleu une représentation minimaliste d’un des paysages les plus grandioses : le grand Far West« , souligne Jean-Roch Bouiller. Un autre panorama sublimé : « un grand Canyon plus proche » de David Hokney (1988) marque la fin de cette belle exposition.

La deuxième partie de « Fragments », Traces d’une Tunisie Contemporaine

La statue équestre de Bourguiba à la Goulette
La statue équestre de Bourguiba à la Goulette

Parallèlement au Fort Saint Jean, la Tunisie est à nouveau à l’honneur à partir du 4 novembre jusqu’au 29 février 2016 avec la deuxième partie de « Fragments », Traces d’une Tunisie Contemporaine. Moins d’un mois après la récompense du prix Nobel de la Paix saluant le processus démocratique dans ce pays après la révolution du Jasmin, cette deuxième partie d’exposition revient dans l’actualité. Après Fragments 1, présentés du 13 mai au 28 septembre bâtiment Georges Henri Rivière avec des photos et des vidéos, Fragments 2 montrent avec les photos de Wassim Ghozlani la révolution en marche avec des jeunes investissant la place du gouvernement à Tunis. Il ne se définit pas comme un photographe de presse mais comme un témoin pour que ces images fortes ne s’effacent pas des mémoires comme furent effacées les traces des slogans sur les murs.
La jeune photographe Faten Gaddes, dans la même démarche cherche à conserver la trace de la STEG (Société Tunisienne d’électricité et de Gaz) de La Goutette connue de tous les Tunisois, démantelée pendant 9 mois. Comme un clin d’œil pied-de-nez à l’Histoire, elle montre aussi une photo de la statue équestre de Bourguiba, le père de la Nation qui trônait sur l’avenue portant son nom à Tunis, remisée par Ben Ali dans des bâtiments portuaires à La Goulette. Cela démontre, selon elle, la façon qu’ont les dictateurs d’effacer les traces de leurs prédécesseurs.
« Il nous faut garder des traces« , dit Sana Tamzini, commissaire de cette exposition récemment nommée Directrice des Arts Plastiques au ministère de la Culture de Tunisie. Présente sur la scène associative tunisienne primée par le comité Nobel et présidente du Forum des associations culturelles en Tunisie (FACT), elle dévoile à Destimed que le problème n°1 est que « l’on n’arrive pas à garder des archives en Tunisie« . En écho à la photo de la statue équestre de Bourguiba remisée dans une presque décharge, elle souligne: « On efface toujours tout  » ce qui entraîne un « appauvrissement total de la culture« . « On n’enseigne pas l’histoire culturelle de la Tunisie, il n’y a pas d’inventaire, pas de restauration « , ajoute-t-elle. « Il faut connaitre nos artistes et les reconnaitre …« , conclut-elle très heureuse que le MuCEM ait offert à la Tunisie la possibilité de laisser « des traces » de son histoire contemporaine.
Antoine LAZERGES

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