« Les Pestiférés », récit posthume de Marcel Pagnol, publié en bande dessinée – La Liberté victime de la peste

Publié le 5 mars 2019 à  19h47 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  20h49

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Bubonique et noire, elle est arrivée à Marseille enfermée dans les ballots de cotonnades débarqués des cales du Grand-Saint-Antoine, voilier trois mâts carré, le 25 mai 1720. Pendant trois ans la peste allait décimer la population faisant plus de 120 000 victimes en Provence. L’année prochaine, le tricentenaire de cet épisode tragique de notre histoire, entré et ancré dans la mémoire collective, ne manquera pas d’être commémoré. Marcel Pagnol, en son temps, s’était emparé de l’horrible événement pour en tirer un court récit publié de façon posthume dans «Le Temps des amours», dernier opus, lui aussi posthume, des «Souvenirs d’enfance». On y découvre l’histoire d’une communauté de quartier qui s’organise et s’autogère pour échapper au fléau et cheminer jusqu’au pied de la colline d’Allauch où l’on peut penser qu’elle posera ses bagages… Mais c’est une fin différente que réservait l’écrivain à cette petite troupe, fin qui n’a rien d’heureuse et qui fut transmise oralement, par Marcel Pagnol, à sa famille. Car cette micro-société, fuyant la peste, allait mettre en place un système autarcique et heureux avant de finir tragiquement sous les coups des militaires dont la sinistre besogne était commanditée par l’État et l’Église, le premier n’acceptant pas qu’une communauté vive de façon autonome sans payer d’impôts, la seconde que l’on puisse s’épanouir «dans le péché», hors des préceptes religieux. C’est cette histoire là qui est racontée en bande dessinée dans «Les Pestiférés», ouvrage publié en ce sixième jour du mois de mars dans la collection Marcel Pagnol – Grand Angle chez Bamboo éditions. Dessins et couleurs sont de Samuel Wambre qui cosigne le scénario, d’après des documents transmis par Nicolas Pagnol, avec Serge Scotto et Eric Stoffel. Ces deux derniers, au sein d’une postface fort intéressante, mettent l’accent sur une fin de récit voulue par Marcel Pagnol en forme de manifeste politique ; Pagnol, « Cet humaniste forcené, qui tenait capitalisme et communisme pour « les revers d’une même médaille ».» Les coscénaristes se souviennent, aussi, que c’est par la faute d’un premier échevin cupide, qui voulait vendre à tout prix ses cotonnades au marché de Beaucaire, Jean-Baptiste Estelle, que la maladie fut importée à Marseille et que l’archevêque d’alors, Monseigneur Belsunce avait qualifié la peste de fléau de Dieu qui ferait le tri des bons et mauvais chrétiens. Le nom du premier est encore celui d’une rue de Marseille et celui du deuxième d’un cours…

Samuel Wambre : « Rester fidèle au récit et au rythme donné par Pagnol.»

Samuel  Wambre (Photo D.R.)
Samuel Wambre (Photo D.R.)

Avec «Les Pestiférés», Samuel Wambre signe sa première bande dessinée. Formé aux Gobelins, l’artiste est plutôt familier des storyboards de dessins animés. Il livre ici un captivant opus de 130 pages privilégiant l’émotion et l’ambiance aux détails ampoulés. Originaire de Lille, sa compagne, Marseillaise, lui a fait découvrir le Vieux-Port et les coins cachés de ce grand théâtre qui vit agoniser des milliers de personnes il y a 300 ans. «Cette histoire est très familière pour moi. Enfant je la lisais souvent et il y a huit ans j’ai travaillé un projet sur Les Pestiférés et l’ai soumis à Nicolas Pagnol. J’ai rapidement obtenu son accord pour aller plus loin et il m’a transmis une feuille sur laquelle était consignée la fin de ce récit tel que le souhait son grand-père. » Il y a cinq ans, Samuel Wambre trouve un petit éditeur intéressé par la publication des «Pestiférés». Il contacte à nouveau Nicolas Pagnol qui, entre temps, a autorisé la collection Marcel Pagnol-Grand Angle, dont le directeur éditorial est Hervé Richez, chez Bamboo éditions. «Mon projet a alors été accepté même si la ligne des précédents albums était plus classique que la mienne. Mais « Les Pestiférés » sont à la marge de la production de Marcel Pagnol et le côté marginal de mon travail collait bien à l’œuvre. Il y avait une cohérence globale et nous nous sommes bien entendus, Hervé Richez, Serge Scotto, Eric Stoffel et moi-même.» Il faudra deux ans et demi à Samuel Wambre pour faire naître cet album de quelque 130 pages. «En fait j’ai tout décortiqué séquence par séquence avec un déroulé de la dramaturgie. J’ai procédé de façon assez mécanique; le récit de Pagnol faisait 60 pages en livre de poche et j’ai décidé qu’il y aurait deux planches pour une page en rajoutant une dizaine de pages pour la fin retravaillée par Serge et Eric. La règle que je m’étais fixée était d’être fidèle au récit et au rythme donné par Pagnol.» Une technique proche de celle pratiquée pour le cinéma qui fait de cet ouvrage un roman illustré avec des plans américains, des grands angles, des travellings dessinés… «Mon travail, j’essaye de le développer dans l’action, de façon spontanée et déliée. Je suis plus dans le mouvement que dans une réalité figée.» Il en résulte un fabuleux roman dessiné dans lequel on entre et que l’on ne quitte qu’à la dernière page avec un indicible sentiment de dégoût envers l’injustice. 1720 c’était hier… L’injustice est, hélas, toujours là !
Michel EGEA
« Les Pestiférés » Scotto, Stoffel & Wambre Histoire complète, collection Marcel Pagnol- Grand Angle, Bamboo Editions, 134 pages – 19,90 €

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