« Les super-héros pour les nuls » d’Eric Delbecque pour comprendre la quête de repères qu’ils véhiculent

Publié le 5 décembre 2016 à  14h11 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  13h45

Être nul et se confronter, mieux, appréhender les super-héros, tel est le voyage initiatique auquel nous invite Eric Delbecque avec son nouvel opus. Pour lui: «Les super-héros instaurent dans le divertissement populaire l’ère de la dialectique complexe de la tradition et du progrès, du changement et de la conservation». Il interroge aussi, notamment à travers les mutants, une question on ne peut plus d’actualité, celle du rapport à l’Autre. Et son propos, qui sait allier une exigence intellectuelle avec une prose qui sait s’adapter au sujet et s’adresser au plus grand nombre, nous conduit sur les pas de Prométhée et même jusqu’à Adam car : «d’une certaine manière, la révolte naquit de la Bible».

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Eric Delbecque est directeur du département d’intelligence stratégique de Sifaris ( Société de conseil spécialiste dans les domaines de l’investigation numérique, des audits d’intrusion et des infrastructures) et président d’honneur de l’ACSE (Association pour la compétitivité et la sécurité économique). «Ce livre, explique l’auteur a pour ambition de divertir autant que d’apporter l’éclairage des sciences humaines sur un segment de la culture populaire qui véhicule d’avantage de complexité qu’on ne le prétend». Il entend même: «abattre les murs entre le savoir académique, la bande dessinée, le cinéma et la culture populaire au sens large». Il rappelle à ce propos que les géants de la science fiction ont écrit pour les pulps: Assimov, Bradbury, Arthur C Clark, Franck Herbert, K.Dick, Lovecraft, A E Van Vogt … mais aussi les maîtres, les pères fondateurs du polar au premier rang desquels Raymond Chandler et Dashiell Hammett.

Les super-héros illustrent un grand nombre de débats contemporains

L’ouvrage s’organise en six parties visant à expliquer d’où viennent les Comics mais aussi comment s’est construit le modèle du super-héros et comment ils illustrent un grand nombre de débats contemporains. Il fournit également, grâce à une galerie de portraits, des connaissances sur les super-héros et super-héroïnes qui peuplent les séries de Marvel Comics et DC Comics, lesquelles sont devenues les marques dominantes en la matière. Il signale à ce propos: «Chez DC, l’idée générale de l’histoire paraît préexister au héros, chez Marvel, c’est le héros qui se trouve à l’origine du récit». L’auteur n’oublie pas pour autant les super-héros de Manga venus du Japon. Et, pour tous ceux qui se demandent d’où vient le terme « pulp », ces fameux magazines avec lesquels tout a commencé: «il provient des conditions de leur fabrication. Par souci de rentabilité, ils étaient imprimés sur du papier de basse qualité, c’est-à-dire faits d’une pâte en résidu de fibres de bois « woodpulp »».
Dès le premier chapitre l’auteur montre l’importance de cette forme de littérature qui constitua aux États-Unis «une vulgarisation de la littérature et témoigna du vaste mouvement d’alphabétisation caractéristique du continent américain et de l’Europe entre le dernier quart du XIXe et le début du XXe siècle». «La culture, ajoute-t-il, comme le divertissement s’adressent désormais à des publics plus larges et s’en trouvent par conséquent transformés». Que de chemin parcouru depuis, jusqu’à la conquête du petit et du grand écran mais, la logique d’élargissement des publics demeurent.

«Les super-héros font prévaloir l’idée que la fin ne justifie pas les moyens»

Eric Delbecque insiste, tout au long de son ouvrage sur la dimension sociale, sociologique des pulps et de leurs héros: «Ils furent un véritable miroir de la modernité: ils reflétèrent la construction de l’individualisme au XXe siècle (ainsi que les peurs et angoisses qu’ils soulèvent), la dynamique de l’utopie, l’émergence des industries culturelles de masse, l’espérance de l’ascension sociale, les questionnements de la société sur ses élites, les interrogations religieuses et spirituelles… ». Et de suivre les grands anciens: Tarzan à travers lequel Burroughs fait le procès «de l’éducation de la société bourgeoise»; Zorro «illustration de l’aristocrate qui se bat contre les élites corrompues au profit du peuple»; John Carter aventurier sur Mars, qui ouvrit la voie à bien des super-héros et héros. Les nuls seront ainsi nombreux à devenir incollables sur les éléments constitutifs du super-héros et notamment l’importance du costume «l’attrait de l’inconnu», les tensions que créent son identité secrète, son code moral. Les super-héros «font prévaloir l’idée que la fin ne justifie pas les moyens»
1938 voit une nouvelle avancée en matière de culture de masse: le comics books, synthèse entre les « Pulp » et les bandes dessinées. La première figure marquante est Superman. «Les comics s’affirment parallèlement comme des vecteurs de messages politiques, de valeurs et d’idées, voire de doctrines. Ils résonnent avec la société américaine, à chaque étape de leur histoire». Ils diffusèrent «des récits de propagande d’abord contre le nazisme puis, contre le communisme». Apparaissent à cette époque Captain America, Batman ou encore Flash qui, après des années de crise, symbolise le renouveau de cette culture, dans les années soixante. Les innovations se succèdent, les adolescents font leur apparition, dès 1940 Robin vient épauler Batman, il en est de même pour les super-héroïnes comme Wonder Woman ou encore la première équipe de super-héros, la Justice Sociéty of America. La fin des années cinquante voit aussi naître les quatre fantastiques, Hulk, Thor…

«Il s’agit pour nous aussi de réaliser un parcours initiatique, jonché d’obstacles à notre mesure»

Puis, Eric Delbecque de plonger avec la même rigueur dans l’âge numérique qui, selon lui, a vu le jour en 2000. L’occasion de se faire critique de cinéma et le propos sait être vif. Et, au-delà, de mettre en lumière une évolution pour ne pas dire une révolution: «depuis le XXIe siècle, malgré les dramatiques événements internationaux entamés avec les attentats du 11 septembre 2001 à New York, les super-héros n’ont pas signé un chèque en blanc au gouvernement, loin s’en faut».
Alors comment ne pas considérer avec l’auteur que «les aventures des super-héros composent certes un vaste récit épique, où se croisent les bons, les méchants, les brutes, les belles et les monstres. Incontestablement ils nous divertissent mais, en nous tendant au même instant un miroir reflétant nos arabesques psychologiques. Le voyage du héros dont ils offrent le spectacle vise à nous inviter au départ. Il s’agit pour nous aussi de réaliser un parcours initiatique, jonché d’obstacles à notre mesure». Et, à travers eux: «Nous espérons malgré tout que le progrès et la liberté constituent un horizon possible».
Michel CAIRE
Les super-héros pour les nuls d’Eric Delbecque – First éditions – 22,95€

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