Livre. Les Silencieux d’Eric Delbecque : Quand les salafistes préparent la naissance des djihadistes…

Publié le 25 octobre 2020 à  13h00 - Dernière mise à  jour le 31 octobre 2022 à  12h15

L’attentat de Conflans-Sainte Honorine alerte une nouvelle fois sur la menace terroriste qui pèse sur la France. Une tragédie qui rend encore plus utile pour ne pas dire nécessaire la lecture de l’ouvrage «Les silencieux» d’Eric Delbecque qui invite à ne pas rester focaliser sur les terroristes afin de prendre la mesure de l’ampleur du problème. Il propose d’«ouvrir les yeux» sur le «danger» que représente les salafistes «qui préparent chez nous la naissance des djihadistes». Car, derrière le terrorisme l’auteur met en exergue, un mouvement plus silencieux, tel celui que l’on installe au bout d’un revolver, le salafisme qui «tout à la fois facilite le basculement dans la violence et encourage l’engagement dans un militantisme « pacifique » visant à abattre l’architecture républicaine française».

Dans son nouveau livre
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«Un combat se livrant à l’intérieur même de l’islam entre les partisans de l’interprétation et les intégristes»

L’auteur ne manque pas de mettre à mal la notion de « Loup solitaire » car un milieu est là pour préparer le passage à l’acte. Et appelle «à assumer d’exposer clairement ce qui se joue en ce moment même, à savoir un combat se livrant à l’intérieur même de l’islam entre les partisans de l’interprétation et les intégristes». Rappelons que l’auteur est expert en sécurité intérieure. Il fut responsable de la sécurité de Charlie Hebdo après l’attentat de 2015. Il a enseigné entre autres à Sciences Po, à l’ENA et à l’Institut national des hautes études de la Défense Nationale. Eric Delbecque dénonce des polémiques stériles : «Notre problème ne se situe pas au niveau des Services en matière de lutte contre le terrorisme islamiste, tant au niveau de l’anticipation que du pilotage de crise».

«D’une manière ou d’une autre, l’Arabie Saoudite est le promoteur et animateur axial du salafisme»

L’analyse de l’auteur est d’autant plus forte que la construction de l’ouvrage est rigoureuse, étayée, nourrie de nombreuses références. Il invite à découvrir la « pyramide salafiste ». Sa première branche, « quiétiste » dont les adeptes sont «investis d’une mission morale d’insufflation d’une authentique conscience islamique». Elle rejette, théoriquement, tout engagement politique. La deuxième branche, le salafisme politique, prône pour sa part la conquête du pouvoir et enfin le troisième courant est le salafisme djihadiste. «D’une manière ou d’une autre, l’Arabie Saoudite est le promoteur et animateur axial du salafisme», indique l’auteur qui met en garde: «Le salafisme quiétiste prépare, mécaniquement, le terrain pour le djihadisme salafiste». Puis, il revient sur l’histoire, l’idéologie des Frères Musulmans. Il parle d’un système qui veut «proposer l’islam politique comme idéal de gouvernance des pays arabes, puis de l’intégralité du globe. L’ennemi héréditaire qu’ils définissent eux-mêmes, c’est la laïcité et nos sociétés ouvertes». La critique du concept d’islamophobie est sans appel tout en précisant: «Il ne s’agit pas de nier que des actes ou violences antimusulmanes existent: les Ministères de l’Intérieur et de la Justice documentent cette réalité avec régularité».

«Reconquérir la spiritualité du Coran, voilà qui forme un bel objectif pour un islam français»

Pour Eric Delbecque, «reconquérir la spiritualité du Coran, voilà qui forme un bel objectif pour un islam français. Dès lors, l’ambition qui se dévoile facilement consiste à faire reculer les interprétations littéralistes d’un message religieux qui n’a plus vocation à déterminer un modèle politique. La source du problème ne réside pas dans le Coran, mais dans ceux qui s’en servent comme d’une arme pour affaiblir la République». Face à la menace salafiste l’essayiste plaide en faveur d’une société de vigilance qui, précise-t-il immédiatement, «vise à éviter la société de surveillance». «Nous ne viendrons définitivement à bout des terroristes qu’en retissant l’unité nationale autour du refus des extrémistes», affirme-t-il. Et de nous prévenir nous devons accepter de vivre dans «des sociétés vulnérables». «C’est la contrepartie des libertés dont nous jouissons en république».

«Mettre sur pied une société de vigilance, une dynamique sécurité du quotidien»

L’auteur incite à nous interroger sur les racines du mal, à nous demander ce que nous avons raté. Il pointe du doigt : «Les accusations permanentes du récit national par les élites hexagonales, la panne de l’ascenseur social (…), l’accroissement des inégalités (…) forment un faisceau de tendances toxiques à la fabrication d’une saine cohésion nationale qui se définit comme une solidarité élémentaire entre les membres du corps social». «A une violence diffuse il faut opposer une résistance globale de la nation» poursuit-il avant d’ajouter: «Mettre sur pied une société de vigilance, une dynamique sécurité du quotidien, un continuum de sûreté public/privé, c’est progresser vers cet horizon noble de la police qui rêve d’une polis tendue vers la liberté, l’égalité et la fraternité».
Michel CAIRE

Les Silencieux, d’Eric Delbecque, paru le 27 août 2020 aux éditions Plon, 384 pages, 21 euros.

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