Louis Monguilan promu au grade de commandeur de la Légion d’Honneur au Camp des Milles

Publié le 5 mai 2014 à  18h47 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  17h49

Louis Monguilan promu au grade de Commandeur de la Légion d'Honneur (Photo Philippe Maillé)
Louis Monguilan promu au grade de Commandeur de la Légion d’Honneur (Photo Philippe Maillé)
L’émotion est grande en ce dimanche 4 mai, à la Fondation du Camp des Milles, à l’occasion de la promotion au grade de Commandeur dans l’ordre de la Légion d’Honneur de Louis Monguilan. Ce fils de militaire, profondément marqué par sa culture protestante, entrera dans la résistance alors qu’il est tout juste adolescent. Il photographie les positions ennemies dans la région nîmoise lorsqu’il est dénoncé par le photographe chez lequel il fait tirer les photos. Il est arrêté par la Gestapo le 20 octobre 1943. Direction Marseille, les Baumettes, puis Compiègne, Mathausen. Lorsqu’il est libéré il pèse moins de 40 kilos. Il deviendra militaire, réussit son brevet d’observateur-pilote d’avion et d’hélicoptère. En octobre 1976, Louis Monguilan soutient une thèse de doctorat ès sciences à l’université de Provence sous la direction du professeur Chevallier et en rapport avec l’archéologie aérienne. Il découvrira ainsi plusieurs vestiges romains dans cette nouvelle vie. Et se découvrira aussi une passion pour la sauvegarde d’anciennes espèces de pommes. Il prend conscience en 1983 de l’existence du camp des Milles. Un long combat commence pour sauver le site, pour qu’il devienne, comme l’explique Alain Chouraqui, le Président de la Fondation du Camp des Milles, «un lieu de mémoire révérence pour le passé et référence pour le présent».
Tour à tour Hélène, son épouse, son fils, l’architecte-archéologue-plongeur Jean-Marie Gassin et Alain Chouraqui ont raconté les vies de Louis Monguilan avant que celui-ci se voit remettre les insignes de commandeur par Paul Bres.
Hélène Monguilan son épouse revient sur son enfance et évoque ses passions (Photo Philippe Maillé)
Hélène Monguilan son épouse revient sur son enfance et évoque ses passions (Photo Philippe Maillé)

Hélène Monguilan rappelle une enfance à suivre un père militaire, la naissance à Lyon, quelques années en Corse, puis en Syrie où il passe son certificat d’étude. Et la nomination de son père à Nîmes.

«Il lui arrive de faire 200 kilomètres à vélo pour aller transmettre des informations à la résistance»

Son fils, Jean-Louis Monguilan raconte son rôle dans la résistance (Photo Philippe Maillé)
Son fils, Jean-Louis Monguilan raconte son rôle dans la résistance (Photo Philippe Maillé)

C’est alors au fils de Jean-Louis Monguilan de prendre la parole. Il raconte son père chez les éclaireurs protestants avec lesquels il accueille les réfugiés en gare de Nîmes puis des réfugiés juifs chassés par Hitler. «Le flot des réfugiés va croissant». L’été est là, radieux, «lorsque Louis entend le Maréchal Pétain annoncer l’armistice. Il en pleure de rage et de honte. Il est, de facto, résistant. Malgré la réticence des responsables du réseau, du fait de son jeune âge, il entre dans la résistance. Il lui arrive de faire 200 kilomètres à vélo pour aller transmettre des informations à la résistance. Il est chargé du relevé des défenses côtières». Le 17 octobre 1943, il va chercher des photos. Le photographe lui demande d’attendre et c’est la Gestapo qui arrive. Direction les Baumettes pour un interrogatoire puis c’est une nuit, à attendre, menotté, gare Saint Charles. «La nuit la plus froide pour mon père». Arrive l’heure de monter dans un train, direction Compiègne, l’emprisonnement, les interrogatoires, encore, et puis c’est le départ vers Mathausen. Certains essaient de s’évader, les déportés se battent entre eux. Les Allemands, en représailles, font mettre tous les prisonniers nus. Et c’est ainsi, qu’ils feront, à pied, les 4,5 kilomètres entre la gare et le camp. «La souffrance, la maladie, la faim sont le quotidien ainsi que les 186 marches qui conduisent à la mine où les prisonniers cassent des blocs de pierre. Pour les Nazis, ils ne sont plus des personnes mais des matricules. Alors, Louis, résiste, reste digne, un atout pour survivre». Vient la libération, il ne pèse que 35 kilos. «Il lui faudra 30 ans pour pouvoir retourner à Mathausen et, là, avoir vraiment l’impression d’avoir battu les Nazis».

« Louis Monguilan a été résistant, déporté, militaire, pilote, plongeur, archéologue. Je ne vois pas ce qu’il aurait pu être de plus »

l'architecte-archéologue-plongeur, Jean-Marie Gassin de souligner:
l’architecte-archéologue-plongeur, Jean-Marie Gassin de souligner:

«Sans la guerre, il serait peut-être devenu chirurgien, il embrasse la carrière militaire».
Pour Jean-Marie Gassin : « C’est un honneur et un bonheur de rendre hommage à un être en vraie grandeur. Il m’a protégé pendant ma jeunesse et c’est aujourd’hui un privilège pour moi de pouvoir dire que j’ai bossé avec le colonel. Il est plongeur, pilote archéologue et remarque que les herbes poussent mieux lorsque, en dessous, se trouve des pierres. Il survole un champ, fait une photo alors que la moissonneuse-batteuse arrive. Il découvre de cette manière les plans d’une énorme villa romaine à proximité d’Aix. Cette photo fera le tour du monde. Puis il découvrira d’énormes hangars romains sous 2 mètres d’eau à Fos. Je travaillais alors avec lui et découvrais un homme pragmatique, réfléchi, efficace, ponctuel et paternaliste. Il venait me chercher tôt le matin et je dois avouer qu’il m’arrivait régulièrement d’être en retard. Il ne m’a jamais rien dit jusqu’au jour où, lors d’une plongée, je suis resté trop longtemps sous l’eau. Je suis remonté frigorifié. Il m’a réchauffé avec du café, des couvertures, avant de me dire que je n’étais pas capable de respecter un horaire, un temps de plongée…».Il conclut : «Louis Monguilan a été résistant, déporté, militaire, pilote, plongeur, archéologue. Je ne vois pas ce qu’il aurait pu être de plus. Merci Louis, colonel de l’Armée française».

« Le Mal est dans l’Homme mais le Bien y est tout autant »

Alain Chouraqui revient sur les 30 années de combat menées, auxquelles a participé Louis Monguilan, afin de préserver le site du Camp des Milles (Photo Philippe Maillé)
Alain Chouraqui revient sur les 30 années de combat menées, auxquelles a participé Louis Monguilan, afin de préserver le site du Camp des Milles (Photo Philippe Maillé)

«Tu es un héros, un homme grand», c’est par ces mots qu’Alain Chouraqui commence son propos. Il rappelle que Louis Monguilan, avec Denise Toros-Marter et son père, Sidney Chouraqui «ont nourri, accompagné l’effort pour créer un lieu important de mémoire révérence tout autant que référence. Tous les trois sont conscients que le Mal est dans l’Homme mais le Bien y est tout autant. Et que c’est cette part de Bien qu’il s’impose de transmettre».
Par sa vie, Louis Monguilan traduit ces deux aspects. «Il a connu le Mal, l’horreur, il a été confronté, lui résistant, à la capacité de l’Homme à se transformer en salaud, en bourreau. Et ce basculement va très vite, des études prouvent qu’il suffit d’une semaine, il suffit de quelques mois pour qu’une société bascule».
Il revient ensuite sur les 30 ans de combats pour le Camp des Milles. «Les 10 premières années il a fallu lutter pour éviter que le lieu disparaisse. Les 10 années suivantes il a fallu convaincre que le projet devait être pour aujourd’hui et pour demain. Les 10 suivantes ont été nécessaires pour passer du oui, vous avez raison, à oui, nous agissons. Et, en septembre 2012 a eu lieu l’ouverture. Pendant toutes ces années Louis a été très ferme sur la pluralité des mémoires dans ce lieu et sur la dimension tragique de l’internement et la déportation d’hommes, femmes et enfants juifs alors que la tendance chez beaucoup était de gommer la déportation des juifs. Je me souviens encore d’un très haut fonctionnaire qui a écrit aux maires successifs d’Aix pour dire que nous déformions l’histoire, qu’il n’y avait pas eu de déportation. Le Président Chirac, et il faut lui en rendre hommage, a reconnu la responsabilité de la France dans les rafles du Vel d’Hiv. Mais au Vel d’Hiv la police française était encadrée par les allemands. Rien de tel au Milles, les autorités françaises ont agi seules et seules elles ont décidé d’envoyer les enfants vers les camps ce que les Nazis ne demandaient pas». Il rappelle que certains voulaient que les Milles deviennent une annexe du Musée Granet, d’autres un musée du tracteur ou encore de la Tuile et de l’argile. «Et chaque fois il a fallu dire non, alors que quelques mètres nous étaient réservés. Dire non d’autant plus fort que nous étions conscients que le racisme, la xénophobie, la haine de l’Autre progressaient».
Mais, ces blessures, ces combats, longs, durs, fatigants, n’ont pas empêchés Louis Monguilan de cultiver des passions. Hélène Monguilan rappelle qu’il est membre fondateur de l’association des croqueurs de pommes : «Nous vivions pomme, mangions pomme, rêvions pomme et nous devions partager le frigo avec des greffes. Une fois Louis a greffé 4 variétés sur un seul pommier, toutes les greffes ont pris, et le pommier a été baptisé Yalta». Louis Monguilan, malgré les trahisons, la souffrance, a su toujours, croire en l’Homme, croire à la vie. Sacrée leçon.
Michel CAIRE

Louis Monguilan : En visitant le site des Milles, le souvenir de ma déportation à Mauthausen m’est revenu brutalement à la mémoire

Louis Monguilan entouré de sa famille (Photo Philippe Maillé)
Louis Monguilan entouré de sa famille (Photo Philippe Maillé)

A l’occasion de l’inauguration du site-mémorial, un texte a été publié relatant sa prise de conscience de l’existence du site, son engagement pour que le lieu soit sauvé, devienne un site-mémorial.
« J’ai pris conscience de l’existence d’un camp d’internement aux Milles en 1983. A l’époque j’occupais la présidence, à Aix-en-Provence, de l’association des Déportés, internés et Résistants ainsi que de l’association des Français Libres. Cette information ne m’a pas laissé indifférent. En visitant le site des Milles, le souvenir de ma déportation à Mauthausen m’est revenu brutalement à la mémoire. Toute la haine de l’autre dont l’homme est capable dans certains cas, toute l’horreur, tout l’inacceptable ne peut se mettre en sourdine. Personne ne doit ignorer l’atrocité des camps de transit et de concentration. Je me suis revu à leur place, cauchemar permanent même éveillé, vivre dans une autre dimension.
Je ne me suis pas posé de question, il fallait sauvegarder ce site, non seulement pour que tous se souviennent de ces femmes, ces enfants et ces hommes emprisonnés dans ces lieux, et pour que leur mort ne demeure pas anonyme. Les ressusciter, savoir leurs noms, peut-être presque les connaître pour leur donner le droit d’avoir existé. C’étaient des gens comme vous et moi et leur sort fut particulièrement atroce et injuste. Leur seule faute était d’être juifs. Les lieux gardaient encore de nombreuses traces de leur passage, écritures, gravures sur les murs et surtout des peintures murales en très bon état.
Mieux que personne, l’ayant vécu moi-même, je connaissais leur parcours, leur souffrance, la peur de tomber dans la folie qui les a peut-être étreints, le cauchemar de leur quotidien, de leur lendemain, le destin de leurs enfants emprisonnés avec eux sans pouvoir leur donner d’explication. Enfin la vie en pointillé sans savoir quel sera son sort l’heure d’après.
J’étais leur frère, leur père, leur ami. C’était mon devoir, plus, une évidence. Ce lieu est un témoignage incontestable de leur présence, et de leur vie dans ce camp.
En 1983, la Salle des peintures a failli être rasée. Ce fut le début d’une belle mobilisation qui vit immédiatement, unis dans l’action, Pascal Fieschi, Sidney et Alain Chouraqui agir à Paris pour obtenir la protection immédiate de cette Salle par le ministère de la Culture, et à partir de 1985 nous avons uni toutes nos forces avec Denise Toros Marter, Yvette Impens, André Claverie, Laurent Pascal, Jean-Louis Medvedowsky, d’autres résistants ou déportés à Marseille et à Aix, pour mettre en place un comité de coordination pour la sauvegarde du Camp des Milles qui m’a confié son pilotage. Avec les moyens du bord, nous avons avancé pas à pas dans un dédale impressionnant de contraintes et de documents administratifs. Que d’efforts, que d’espoirs, que de difficultés, que de chausse-trappes, que de luttes permanentes avec certaines autorités. Notre bonne volonté fut mise à rude épreuve.
Une renaissance du site eut lieu lors de l’inauguration le 9 novembre 1992 du Wagon du Souvenir apporté par l’Amicale d’Auschwitz présidée par Denise Toros Marter. Vingt ans se sont écoulés pour voir aujourd’hui, notre espoir enfin réalisé, grâce à la reprise de flambeau d’une nouvelle génération autour d’Alain Chouraqui. Odile Boyer et toute une équipe active et enthousiaste, est aussi passée par toutes les phases d’un tel projet qui cumule les difficultés administratives, financières et opérationnelles de toute grande réalisation et celles, plus psychologiques et politiques, inhérentes à cette mémoire si sensible et à la diversité des partenaires rassemblés.
Aujourd’hui, trente ans après j’ai la chance d’être encore vivant pour assister à cette œuvre si longtemps espérée, souhaitée, désirée.
Aujourd’hui tous les soucis, les inquiétudes ont disparu à cet égard. La mémoire est en mouvement. Aujourd’hui je suis heureux. Merci la vie ».
Louis Monguilan Co-Président de l’Association du Wagon-Souvenir et du Site Mémorial des Milles Résistant Déporté à Mauthausen

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