Marseille – A voir à La Criée « La Mexicaine est déjà descendue » une pièce musicale sur les rapports hommes-femmes

Publié le 23 janvier 2019 à  19h31 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  20h44

Geoffrey Coppini dans
Geoffrey Coppini dans

«Les familles heureuses se ressemblent toutes. Les familles malheureuses sont malheureuses chacune à leur façon», écrit Tolstoï au début d’Anna Karénine. Cette phrase célèbre que Jean d’Ormesson citait souvent, demeure non seulement frappée au coin du bon sens mais résume à elle seule l’ambiance de bien des récits où s’affrontent enfants et parents et, où les règlements de comptes préfigurent à l’expression d’une douleur d’exister. On trouve là en tout cas une belle matière à définir la pièce «Chasse à l’homme» de Perrine Lorne que Carole Errante a mise en scène en l’enrichissant d’une autre histoire parallèle ayant des ramifications avec la musique et la danse, une danse de révolte, la danse urbaine du Voguing, vulgarisée par Madonna. Un mélange d’art savant et d’art populaire, auquel s’ajoute la description de la pratique du twirling bâton, descendant direct des majorettes. Une pratique matérialisée ici par l’exceptionnel Axel Escot, étudiant en danse au Conservatoire Darius Milhaud, né 21 septembre 1998, vice-champion de France en solo masculin, médaille de bronze aux championnats du monde en équipe à Helsingborg, en Suède, qui exécute à la fin de la pièce un numéro virevoltant d’une rare virtuosité et d’une stupéfiante beauté visuelle. Après avoir exploré les représentations des figures du féminin avec les mots d’un homme (ceux de Howard Barker), Carole Errante se frotte avec ce nouveau spectacle à voir à La Criée jusqu’à ce jeudi, à la question de la virilité et interroge les représentations du masculin avec l’écriture d’une femme. «Je fais donc le pari», dit-elle que «les femmes sont peut-être les plus à même de parler des hommes.» Tous ceux qui goûtent aux chansons de Barbara, Anne Sylvestre, Catherine Ribeiro ou Agnès Bihl partageront aisément son avis. Et de plonger donc dans une histoire de famille simple en apparence, où l’on voit comment une femme, propriétaire d’une galerie d’art qui a brutalement débarqué son mari, jugé incapable, et peintre nul, a placé ses espoirs en son fils adulé, porté aux nues, qu’elle ne voit pas d’inconvénient qu’il se mette nu justement pour user de ses charmes, et vendre au mieux les œuvres de la galerie. Jeanne, la sœur d’Harold, appuyant en renfort les desiderata de sa mère, voilà notre beau gosse tiraillé entre le désir de s’envoler et la soumission à l’autorité de ses deux femmes de pouvoir. Un jour débarque une fille dont Harold tombe amoureux et avec qui il passerait bien des moments très chauds, mais en manque d’érection, il semble tomber sur un os. Et puis, il y a le frère de la jeune fille, dont on apprend qu’il est enfermé dans le garage familial, pour des raisons plus surprenantes que dramatiques. Histoire d’une mère castratrice qui a fabriqué son fils en lui présentant son père comme un monstre, qui l’a éduqué de façon différente de sa sœur, «La Mexicaine est déjà descendue» (une Mexicaine est ici une technique de lissage des cheveux), ressemble au départ à une pièce de Françoise Sagan. Personnages bobos branchouilles à souhait qui peuvent se passer de la vente d’un tableau de 150 000 euros en le bazardant sur un coup de sang, -bonjour les pauvres !- leur monde pourrait se résumer par «Tempête dans un rince-doigts». Et peu à peu par un glissement d’écriture qui va du burlesque au tragique l’auteure puis la metteuse en scène, qui a rajouté un récit de chanteurs de variétés avec un numéro irrésistible reprenant en play-back «I want to break free », de Freddie Mercury (Geoffrey Coppini, l’acteur marseillais qui joue aussi Harold, est irrésistible de drôlerie), tout ceci prend de la densité, du poids, du supplément d’âme. Autant grâce à la chorégraphie impeccable de la pièce à double-entrée que par le jeu des comédiens. On a salué la performance de Axel Escot, acteur et danseur avec un égal bonheur qui parle peu dans la partie rajoutée par Carole Errante, mais qui insuffle au récit une dynamique réelle. On dira ensuite combien Emma Gutafsson et Anne Naudon, dans le rôle des deux jeunes filles (actrices et danseuses que l’on a déjà croisées chez Preljocaj, Dimech, Amsellem, et Jacquin) sont plus que convaincantes. On applaudira sans aucune réserve la manière dont Maurice Vinçon, acteur incroyable dans la peau de la mère fait oublier vêtements et maquillages à l’appui, qu’il est un comédien masculin. Il est énorme, inouï, inoubliable.

Un acteur, coiffeur de stars sur scène

Mais la palme revient à Geoffrey Coppini, comédien et metteur en scène qui fut l’assistant d’Hubert Colas avant d’être actuellement celui de Jean-Michel Rabeux. Il possède un jeu tout en nuances renforcé par la subtilité de son texte, et joue ici de sa voix et de son corps comme un violoniste de son archet. Il sait tout faire tout réaliser en nuances, y compris une Mexicaine, puisqu’il est parallèlement à ses activités sur les planches un authentique coiffeur de stars qui s’est occupé entre autres des cheveux de Emmanuelle Devos. On le croirait ici sorti par moment d’un film de Fassbinder ou d’un texte de Jean Genet, et sa gestuelle insolite, genre voyou sans scrupules, se double d’une diction impeccable. Il contribue à rendre plus intéressante encore cette réflexion théâtrale sur la sexualité, la notion de genre, la masculinité et le machisme, la filiation et la sublimation des sens par la danse. Même si l’articulation entre les deux pièces a parfois du mal à se faire, «La Mexicaine est déjà descendue» produite par La CriAtura, chère à Carole Errante, co-produite par La Criée, le 3bisf d’Aix, la Friche Belle de Mai de Marseille, le pôle arts de la scène, et soutenue par Danielle Bré, de Vitez-Aix, ainsi que par la distillerie théâtre d’Aubagne, cette création pure produit régional est une fête pour les yeux et l’esprit. Comme c’est agréable du théâtre intelligent, où la metteuse en scène prend des risques, secoue les habitudes et détourne les codes pour faire d’un simple vaudeville bourgeois une œuvre d’art en forme de drame et de comédie antique.
Jean-Rémi BARLAND
«La Mexicaine est déjà descendue» à la Criée ce mercredi 23 janvier à 19h, et le vendredi 24 janvier à 20h. Plus d’info et réservations: theatre-lacriee.com

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