Marseille-Camp des Milles: un 21 janvier sous le signe de la mémoire et de l’hommage à Simone Veil

Publié le 26 janvier 2018 à  21h30 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  17h52

Il a été question de mémoire, d’hommage, ce 21 janvier, à Marseille puis au Camp des Milles. Le matin, un vent glacial s’était invité, Place Daviel, puis Place de l’Opéra, aux 75e cérémonies commémoratives des rafles du Vieux-Port, le 22 janvier 1943 et celles du quartier de l’Opéra le lendemain. Elles se sont déroulées dans le cadre de l' »opération Sultan » menée par la police, la gendarmerie française et dirigée par René Bousquet, le secrétaire général de la police de Vichy. Opération qui a été préparée dans une villa du Roucas Blanc, le 13 janvier lors d’une réunion à laquelle participe notamment le général SS Carl Oberg et René Bousquet. L’après-midi, au camp des Milles, à l’initiative du Crif Marseille-Provence, c’est un hommage à Simone Veil qui est rendu en présence notamment de son fils Pierre-François, Président du comité français pour Yad Vashem et de François Heilbronn, vice-président du Mémorial de la Shoah. Une manifestation qui s’est tenue dans le cadre de la semaine d’éducation face à l’antisémitisme et l’extrémisme identitaire. Des témoignages d’importance dans un contexte qui voit la montée du racisme et de l’antisémitisme.

Pierre-François Veil devant le wagon-souvenir au camp des Milles (Photo Robert Poulain)
Pierre-François Veil devant le wagon-souvenir au camp des Milles (Photo Robert Poulain)
Rassemblement à Marseille pour les commémorations des rafles du Vieux-Port et de l'Opéra (Photo Robert Poulain)
Rassemblement à Marseille pour les commémorations des rafles du Vieux-Port et de l’Opéra (Photo Robert Poulain)

Aujourd’hui encore des actes graves sont perpétrés quotidiennement

Albert Barbouth, de l’Amicale des déportés d’Auschwitz, évoque le 22 janvier 1943, les familles juives raflées, au petit matin, qui doivent partir, sans bagages, sans objets personnels. 1 642 partiront à Compiègne et, de là 782 seront envoyés à Sodibor dont aucun ne reviendra. «Cela s’est déroulé voilà 75 ans et aujourd’hui encore des actes graves sont perpétrés quotidiennement.. Il importe de lutter contre l’antisémitisme, le racisme et tous les extrémismes». Michel Cohen-Tenoudji, le président du Consistoire rappelle: «Dans la belle ville de Marseille l’indicible est arrivée, des personnes ont basculé dans l’inhumanité». Alors que pour Bruno Benjamin, président du Crif Marseille-Provence : «la barbarie, dans ce qu’elle a de plus orchestrée, a transformé ce quartier en lieu de mémoire». Pour lui: «Les rafles de 1943 sont des blessures qui ne cicatrisent pas». Et de s’adresser en premier lieu à la jeunesse: «Soyez lucides, la bête n’est pas morte». Et d’inviter à prendre garde de la Toile «où la haine du juif s’affiche en toute impunité» avant de proposer de construire «une barrière contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie». La cérémonie prend fin, direction le Camp des Milles pour être accueilli par son Président, Alain Chouraqui.

«Le camp des Milles a connu un peu plus de trois ans d’activité et a vu passer plus de 10 000 internés originaires de 38 pays»

Un hommage a été rendu au Camp des Milles en présence de Pierre-François Veil, François Heilbronn, Alain Chouraqui, Floriane lambert-Deves, Bruno Benjamin, Raymond Alexander (Photo Robert Poulain)
Un hommage a été rendu au Camp des Milles en présence de Pierre-François Veil, François Heilbronn, Alain Chouraqui, Floriane lambert-Deves, Bruno Benjamin, Raymond Alexander (Photo Robert Poulain)

Ouvert en septembre 1939 au sein d’une tuilerie située entre Aix-en-Provence et Marseille, le camp des Milles a connu un peu plus de trois ans d’activité et a vu passer plus de 10 000 internés originaires de 38 pays, parmi lesquels de nombreux artistes et intellectuels. Son histoire se divise en plusieurs phases correspondant aux différentes catégories d’internés qui y séjournèrent : ressortissants du Reich et légionnaires, étrangers désireux d’émigrer, juifs ayant fait l’objet de rafles. On peut lire à travers ces phases l’évolution tragique de la répression dont furent victimes les étrangers et surtout les juifs sous le régime de Vichy, évolution qui a culminé en août et septembre 1942 avec la déportation de plus de 2 000 hommes, femmes et enfants juifs vers Auschwitz via les camps de Drancy et de Rivesaltes.

«Merci pour le fils que je suis de rendre hommage à ma mère»

Pierre-François Veil reçoit des mains de Marie-Hélène Londner la medaille du Crif (Photo Robert Poulain)
Pierre-François Veil reçoit des mains de Marie-Hélène Londner la medaille du Crif (Photo Robert Poulain)

«Merci pour le fils que je suis de rendre hommage à ma mère», déclare, ému, Pierre-François Veil avant de souligner combien sa mère était attachée au camp des Milles où elle était venue en 2003: «Elle serait éblouie par le travail accompli. Et nous venons de découvrir cette allée des Justes de tous âges, confessions, métiers, des hommes, des femmes, un symbole magnifique que la France offre au monde. Plus de 4 000 Justes, au péril de leur vie, de celle de leur famille, ont été des bouées de sauvetage pour les Juifs. Puis il y a ce wagon, identique à ceux qui constituaient la quinzaine de convois partis en août et septembre 42. Sur 78 000 juifs arrêtés en France, 2 500 sont rentrés. Un quart de la population juive a été touchée, c’est énorme, monstrueux, mais c’est moins que les 95% de Juifs polonais, les 98% de Hollandais. Il n’y a qu’au Danemark où la population juive a été plus protégée». Il rend hommage à Alain Chouraqui: «Vous êtes un combattant, un personnage essentiel dans notre pays. Ce combat de plus de 4 000 personnes reconnues comme Justes parmi les Nations.». Alain Chouraqui garde un souvenir très fort, très sensible de la venue de Simone Veil en 2003. «Elle est arrivée très courtoise, réservée. Nous avons visité pendant plus d’une heure les lieux qui n’étaient pas aménagés. Elle n’a pas dit un mot. Puis, à la fin, elle m’a serré contre elle, d’une accolade forte et silencieuse. Depuis ce moment elle n’a cessé de nous soutenir et c’est peu dire que cela a été essentiel pour nous face à des Autorités qui n’étaient pas persuadées qu’il soit nécessaire de maintenir ce lieu». «Simone Veil, ajoute-t-il, reste une femme repère. Elle mérite largement sa place au Panthéon de la France, de la communauté juive et de l’humanité».

«Le mal se glisse dans chaque recoin de cette ancienne tuilerie»

Bruno Benjamin président du Crif Marseille-Provence (Photo Robert Poulain)
Bruno Benjamin président du Crif Marseille-Provence (Photo Robert Poulain)

Bruno Benjamin, le président du Crif Marseille Provence relate: «Il y a 75 ans la tragédie se noue ici, le mal se glisse dans chaque recoin de cette ancienne tuilerie. Les responsables agissent pour un « ordre nouveau ». Leur asservissement au nazisme les rend complices de la solution finale». Il insiste sur l’importance des Milles: «Ce camp est unique car il est le mieux conservé en France et parce qu’il joue un rôle de passerelle entre les générations, il transmet l’esprit de vigilance et la résistance, ce souci de transmission qui animait Simone Veil». Et de la citer : «La bataille contre le mal n’est jamais gagnée d’avance. Elle implique un engagement de tous les instants car, pour certains, il existe un antisémitisme banal». François Heilbronn, vice-président du Mémorial pour la Shoah dont Simone Veil fut la présidente, lui rend hommage: «Elle était visionnaire, intransigeante, courageuse. Elle était modèle et motrice. Elle n’oubliait rien, ni le crime ni la main tendue».
Raymond Alexander (Photo Robert Poulain)
Raymond Alexander (Photo Robert Poulain)

Comment, en ce sens, ne pas entendre le propos de Raymond Alexander, président de l’association Mémoire vive de la résistance pour qui:«Notre pays a collaboré au-delà de toute espérance des nazis mais il y a eu aussi des hommes et des femmes qui ont agi pour protéger l’Humain, qui ont ramassé l’honneur de la France que Vichy avait laissé tomber. Ils ont préféré mourir debout que de vivre à genoux».

«Chez tous les humains les larmes sont les mêmes»

Floriane Lambert-Deves (Photo Robert Poulain)
Floriane Lambert-Deves (Photo Robert Poulain)

Floriane Lambert-Deves, toute en émotion, évoque ses grand-parents, Fernand et Émilie Deves, Justes parmi les Nations: «Mes grand-parents vivaient à Bollène, ma grand-mère était catholique pratiquante qui aimait son prochain comme lui-même. Un Polonais habitant le village, leur demande en 1940 d’accueillir des Juifs polonais. Pour eux il était naturel de dire oui ». Alors, pour elle: «Il importe de transmettre les valeurs de mes grand-parents. Ils avaient des êtres humains en face d’eux et seul cela importait. Et il ne faut jamais oublier que chez tous les humains les larmes sont les mêmes».
Michel CAIRE

Diaporama Robert POULAIN

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