Marseille. Centenaire de la librairie Maupetit : Focus sur l’engagement écologique pour l’océan avec Didier Gascuel

Publié le 27 octobre 2019 à  21h38 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  13h24

La librairie Maupetit continue de célébrer ses 100 bougies… . Les réjouissances qui ont commencé dès le mois de janvier, se poursuivent cet automne avec trois samedis, trois rencontres sur la thématique de l’engagement citoyen. Après une première conférence, le 12 octobre, sur l’humanitaire, le cycle s’est poursuivi ce 19 avec Didier Gascuel, qui a évoqué la question de l’engagement écologique pour l’océan.

Reçu à la librairie Maupetit, Didier Gascuel alerte et prône un changement de paradigme au niveau du monde marin (Photo M.B.)
Reçu à la librairie Maupetit, Didier Gascuel alerte et prône un changement de paradigme au niveau du monde marin (Photo M.B.)
Le centenaire de Maupetit titille les inspirations  (Photo M.B.)
Le centenaire de Maupetit titille les inspirations (Photo M.B.)
Professeur en écologie marine à l’université de Rennes, Didier Gascuel prône un changement de paradigme au niveau du monde marin. C’est en tout cas le thème de son livre, «Pour une révolution dans la mer, de la surpêche à la résilience», publié aux éditions Actes Sud… et c’est ce qu’il est venu expliquer lors de cette nouvelle rencontre, le 19 octobre dernier, dans le cadre du centenaire de la librairie Maupetit. Car l’homme est engagé de longue date, en tant que scientifique et enseignant. Une nécessité, selon lui : «Plus j’ai étudié les écosystèmes marins et en particulier, l’impact de la pêche sur l’écosystème marin, plus j’ai pris conscience que les scientifiques devaient aussi s’engager comme citoyens. Parce que nous sommes face à des défis qui sont énormes de conservation de la biodiversité, de réponses face aux enjeux du changement climatique… Et donc, les scientifiques ont effectivement à dire un certain nombre de choses, à analyser la situation, à faire des diagnostics et aussi à proposer des solutions, des pistes d’action, pour faire face à ces enjeux». Et c’est justement l’intérêt du livre de Didier Gascuel : poser un constat, mais ne pas s’y borner. Puisque l’important, c’est aussi de redresser le cap. Or pour cela, il convient d’appréhender la façon dont l’océan réagit à tous ces dérèglements, mutations. Et prendre conscience, en premier lieu, que tout se tient. Ainsi sait-on à présent depuis 10 ou 20 ans que «la pêche n’a pas seulement des impacts sur chacune des espèces qui sont exploitées, elle en a aussi sur le fonctionnement plus global des écosystèmes». Effets indirects obligent… «Lorsque l’on pêche une morue on affecte la morue, mais on affecte aussi les proies, les compétiteurs, les prédateurs de la morue et puis les proies des proies. Finalement, tous les compartiments du vivant sont affectés». Ainsi le fonctionnement global de l’écosystème devient-il moins productif, moins stable. «Et ce qui est plus grave face aux enjeux du changement climatique, il devient aussi moins résilient c’est à dire moins capable de résister à d’autres impacts que ceux de la pêche».

«Sans l’océan, nous serions déjà brûlés»

Or, outre sa capacité à fournir aux êtres vivants oxygène et alimentation, la mer est aussi un réservoir conséquent de biodiversité. «75% de la biomasse des animaux vivants sur la planète terre est dans l’Océan ! Donc l’océan a un rôle énorme à jouer, notamment dans la régulation du climat. Il faut savoir que 90% des excédents de chaleur liés au changement climatique sont aujourd’hui absorbés par l’Océan. Si l’Océan n’était pas là, nous serions déjà brûlés à la surface de la terre». De même, il absorbe «une partie de nos émissions de CO2, des gaz à effet de serre, qui sont justement responsables du changement climatique. Aujourd’hui l’Océan en absorbe un quart, donc c’est très important». Mais forcément cela l’impacte, cette chaleur et ce CO2 en supplément font sentir leurs effets sur l’environnement marin, donc notamment sur le vivant. Avec les conséquences que l’on imagine sur le secteur économique qu’est la pêche… «On a de plus en plus des modèles assez précis qui nous disent que les écosystèmes marins vont devenir plus pauvres. On s’attend à des baisses qui pourraient, à la fin du siècle, atteindre 15 à 20%, dans leurs moyennes mondiales». On enregistrerait toutefois des pics sur certaines mers, comme en Méditerranée par exemple. Le souci, c’est que l’incidence n’est pas seulement sur la quantité d’êtres vivants de chaque espèce. Mais aussi sur le capital génétique des dites espèces. «La pêche exerce une pression sur les animaux, elle fait en somme de la sélection génétique. On a compris, relativement récemment, que globalement on allait vers une perte de diversité génétique. La conséquence de ça, c’est qu’on a des populations plus homogènes, on a de fait moins de poissons extrêmes et donc moins de possibilité de résister à des événements extrêmes lorsqu’ils se présentent». Exemple avec la morue du Canada, représentant dans les années 80 un grand stock de plusieurs centaines de milliers de tonnes, stock s’étant effondré brutalement dans les années 90. Une morue qui ne reviendra pas, malgré des mesures de fermeture de la pêche… Ce «parce qu’il y avait certains génotypes de ces morues qui produisaient une protéine anti-gel. Elle leur permettait de résister à des hivers plus rigoureux et d’aller se reproduire sur les fonds les plus au Nord et les plus froids. Ces génotypes ont quasiment disparu, cela veut dire que les zones de reproduction de la morue se sont rétrécies. On a donc moins de diversité, moins de population et moins de capacité pour les stocks à se reconstituer aujourd’hui».

La régulation publique, primordiale et salutaire

Pour remédier à ces variations, Didier Gascuel propose des solutions de deux sortes : une régulation publique, si possible mondiale, et une pêche durable. Avec un intérêt dépassant le seul cadre du maritime, puisque pour lui, il s’agit de prendre la pêche comme cadre d’analyse plus général de toutes les crises environnementales. «Ce que nous montre la pêche, c’est qu’on ne résout les problèmes de crise écologique que s’il y a une très forte régulation publique. La pêche est un secteur où si on n’édicte pas des règles, chaque pêcheur a tendance à vouloir résoudre ses problèmes en pêchant plus, en s’équipant d’un plus gros bateau, en ayant plus d’équipement électronique, plus de sonars… Or, lorsque tous les pêcheurs ont ça, la pression de pêche augmente, la quantité de poisons dans la mer diminue et finalement tous les pêcheurs sont perdants.» Ainsi, la seule mesure concrète allant dans le sens de la durabilité pour tous, c’est bien la définition de quotas de pêche. Mais il n’est pas toujours si simple de le faire admettre… «C’est une très longue bataille, il a fallu des décennies pour que se mette en place une politique des quotas à peu près efficace dans le Nord de l’Europe. En Méditerranée par exemple, ce chantier reste encore complètement à construire». Or, pour ce scientifique, on ne sauvera pas les poissons sans les marins pêcheurs. «Il faut absolument qu’ils se saisissent de leurs destins. C’est une chose qu’on sait relativement bien faire à de petites échelles, lorsque il y a des communautés de pêcheurs qui exploitent un petit stock dans une baie» Exemple avec celle de Saint-Brieuc en Bretagne, qui a vu ces professionnels s’organiser entre eux, non seulement pour gérer la ressource mais aussi pour préserver l’activité économique du plus grand nombre. «Ils s’imposent des règles de limitation de façon à ce que finalement tout le monde puisse bien vivre. Les prudhommies ont longtemps fait ça en Méditerranée, elles ont beaucoup plus de mal à le faire aujourd’hui… C’est beaucoup plus compliqué lorsqu’on raisonne sur de grands stocks, à l’échelle d’une mer toute entière», notamment compte tenu de la diversité des parties prenantes et des pays impliqués. Toutefois, pour Didier Gascuel, il n’y a pas d’autres solutions que celle-ci : «Créer des communautés de destin qui s’approprient le bien commun». Mais aussi, réfléchir à une autre échelle, celle d’une économie des territoires. «La pêche est en avance, parce que on a peut-être détruit plus efficacement et plus tôt qu’ailleurs les ressources naturelles. Mais en même temps, cela nous a obligés à réfléchir aux solutions. Et ce que la pêche nous dit, c’est que nous vivons dans un monde aux ressources finies. La pêche l’a vraiment expérimenté de manière très concrète». Et cela devrait pousser les hommes à changer d’angle de vue, explique-t-il donc. «Dans ce monde aux ressources finies, si on continue à raisonner à l’échelle de chacune des entreprises, on va vite conclure qu’il faut diminuer les coûts, maximiser la rentabilité de l’entreprise… et la meilleure manière de le faire, c’est d’éliminer les autres entreprises, de garder qu’un petit nombre de bateaux… » Ce qui amène à la destruction d’un pan entier de l’économie, au final. «A l’inverse, si on raisonne à l’échelle du territoire, si on intègre à la réflexion tous les emplois directs, mais aussi les emplois induits dudit territoire, le fait que la pêche fait vivre des villages entiers, alors on change l’échelle de perception, de raisonnement économique. Et ce monde de ressources finies nous dit que la grande question n’est plus que de savoir comment on réduit les coûts d’exploitation, comment on maximise le profit des entreprises, mais comment on optimise l’utilité économique et sociale de biens que nous offre la nature». Carole PAYRAU (rédaction) et Mireille BIANCIOTTO (son)
son_copie_petit-395.jpgEntretien avec Didier Gascuel, Professeur en écologie marine à l’université de Rennes didier_gascuel_19_10_2019_maupetit_ok.mp3
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