Marseille. Conférence de l’auteur ukrainien Andreï Kourkov ce jeudi 1er septembre à la Friche la Belle de Mai

Publié le 29 août 2022 à  20h51 - Dernière mise à  jour le 11 juin 2023 à  18h52

L’écrivain ukrainien Andreï Kourkov, une des voix les plus importantes en Europe concernant la guerre en Ukraine, est depuis début juillet en résidence d’auteur à La Marelle, lieu consacré aux écritures actuelles basé à la Friche la Belle de Mai.

L'écrivain ukrainien Andreï Kourkov (Photo Friche la Belle de Mai)
L’écrivain ukrainien Andreï Kourkov (Photo Friche la Belle de Mai)

À l’issue de sa résidence et de ses travaux, l’écrivain Andreï Kourkov donne une conférence sur son «Journal d’une invasion» ce jeudi 1er septembre à 18h30 à la Friche la Belle de Mai (Salle Seita). Une proposition de La Marelle, Alphabetville et la Librairie La Salle des Machines

«Diary of an invasion» Le Journal d’Andreï Kourkov.

Par Colette Tron, directrice d’Alphabetville, laboratoire des écritures multimédia. Lors de sa résidence à la Marelle, villa des auteurs à la Friche la Belle de Mai à Marseille, le célèbre écrivain et journaliste ukrainien Andreï Kourkov a rédigé «Diary of an invasion, le journal d’une invasion.»

Très sollicité par les médias internationaux depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, mais déjà penché sur l’histoire ukrainienne en préparation d’un roman, interrompu par ce tragique événement, tel était son projet d’écriture dans le cadre de cette résidence : «Le livre sera basé sur mes articles et essais écrits depuis décembre 2021, ainsi que sur mes entrées de journal et ces textes que j’écrirai à Marseille. Ce livre ne portera pas sur la tactique et la stratégie militaires, mais sur la dimension humaine de la guerre, sur l’humanisme et la barbarie, sur la douleur et l’espoir, sur ma famille, sur nos proches et amis, et sur des personnes que je ne rencontrerais pas en temps de paix.»

Depuis le début de l’invasion, Andreï Kourkov n’écrit plus de fiction, mais des articles et des essais : c’est-à-dire un témoignage des réalités de ce qu’il faut bien appeler la guerre, malgré les contournements du terme par la censure russe et le défaut de déclaration de guerre par le chef de l’État russe. Diary of an invasion comprend une quarantaine de textes, certains écrits peu de temps avant l’invasion, puis des descriptions de la vie durant la guerre, de la vie des réfugiés, mais aussi des restitutions des actions du gouvernement face à la situation, des événements non-médiatisés, et bien sûr l’expérience personnelle et familiale de l’auteur lui-même.

Le journal sera publié en anglais au mois de septembre par les éditions Mountain Leopard Press (à Londres) et devrait être disponible en français d’ici la fin de l’année aux éditions Noir sur blanc (Paris et Lausanne).

«Le jour de fête de l’indépendance de l’Ukraine -le 24 août 1991- est aussi la date du sixième mois de l’invasion russe. Kourkov considère qu’il y a plus de cent ans que l’Ukraine tente d’être indépendante : elle a commencé contre l’invasion bolchévique entre 1918 et 1921, perdue et ainsi devenue une république soviétique, a ressurgi avec le démantèlement de l’URSS puis le vote de l’indépendance en 1991, ponctuée de luttes pour une véritable démocratie, pour la liberté, si chère aux ukrainiens», souligne Andreï Kourkov, et cela se poursuit «avec le combat contre cette invasion décidée par Vladimir Poutine, pour qui l’Ukraine doit être annexée, être à nouveau Russe, alors que la constitution de l’Ukraine a commencé au XVe siècle pour s’établir au cours du XVIIe siècle, d’ailleurs après des batailles avec les pays voisins, dont déjà la Russie.»

Andreï Kourkov écrivait donc sur la guerre civile ukrainienne en 1919 lorsque l’invasion russe s’est déclenchée en février dernier. Il y voit des similitudes. La tactique et les atrocités se répètent, dit-il, avec le même comportement de l’armée, la même haine contre les ukrainiens. «C’est la guerre, totale», s’exclame Kourkov au cours d’un entretien, même si «la Russie invente des mots spéciaux ou interdit des mots, comme indépendance ou guerre». Il s’agit donc de témoigner, de chercher la vérité, de la restituer, malgré les mensonges russes et les fausses informations, la difficulté d’enquêter sur un territoire en guerre. Une guerre longue, selon lui, «qui va durer jusqu’à la mort de Poutine» car «il n’acceptera pas la défaite». Et à sa suite, qui saura «finir la guerre», l’arrêter, se retirer d’Ukraine ? «C’est la guerre entre deux civilisations, la guerre entre le passé et l’avenir : l’Ukraine est l’avenir, alors que la construction de l’État russe est basée sur le passé, ceux de l’Empire russe et de l’Union soviétique.»

Même si la Russie ne gagne rien à la poursuivre, elle continuera, dans son absurdité et son atrocité, et se constitueront de nouvelles alliances avec les États dictatoriaux et marginaux, énonce l’auteur. «Il faut faire tout ce qui est possible pour que le monde n’oublie pas cette guerre et continue à soutenir l’Ukraine. Une guerre qui ne menace pas seulement ce pays, mais aussi une partie de l’Europe, les pays baltes, la Pologne… La Russie pense que la menace guerrière est son instrument le plus efficace dans la politique mondiale.»

Outre la mobilisation internationale des gouvernements, pour chacun d’entre nous, soutenir les Ukrainiens, c’est, si possible, accueillir des réfugiés. Et soutenir l’Ukraine c’est d’abord s’intéresser à son histoire, à sa culture, profonde, complexe, composite. Soutenir l’Ukraine c’est aussi soutenir la culture ukrainienne, ou plutôt sa diversité, la comprendre, la faire circuler et connaître en Europe, alors qu’elle a pu être délaissée, dominée, voir évacuée, notamment en ce qui concerne la langue et la littérature.

Andreï Kourkov lui-même, locuteur ukrainophone mais écrivain russophone, n’est pas toujours considéré comme un auteur ukrainien. Il n’en fait pas un problème personnel puisqu’il s’affirme comme tel : écrivain ukrainien de langue maternelle russe. Et, dit-il, «mentalement je suis Ukrainien». À la difficile tentative de définir la spécificité ukrainienne, Kourkov répond que les Ukrainiens tiennent à la liberté plus que tout, au droit à l’opinion, à la critique, à la possibilité de participer, d’être actif politiquement.

Les événements qu’ont été la révolution orange en 2004 et l’Euromaïdan en 2014 en sont significatifs. On perçoit cette conviction en la liberté par la détermination actuelle des Ukrainiens face cette invasion. «Diary of an invasion», raconte et témoigne avec précision et expérience ce qu’il en est de ce contexte historique, et de la vie quotidienne d’une guerre aussi soudaine qu’inattendue, aussi douloureuse que persistante.

Andreï Kourkov

Né en Russie en 1961 dans une famille communiste, Andreï Kourkov vit depuis son plus jeune âge à Kiev. À 10 ans, il commence une collection de cactus et, en apprenant leurs noms latins, se passionne pour les langues étrangères (il en parle aujourd’hui plus de neuf). Durant son service militaire, il est enrôlé comme gardien de prison à Odessa. C’est là, au cours de longues heures de garde, qu’il écrit ses premiers récits, des contes pour enfants. Son premier roman paraît en 1991 à Kiev, deux semaines avant la chute de l’Union Soviétique. Pour publier cet ouvrage, il emprunte de l’argent, achète lui-même le papier, contrôle l’impression et assure la diffusion des 75 000 exemplaires…

Deux ans plus tard, il réussit à publier deux romans dans l’Ukraine nouvellement indépendante. La même année, en 1993, Le Monde de Bickford est sélectionné pour le Booker Prize du meilleur roman russe. Il publie ensuite plusieurs ouvrages dans lesquels il continue sa description du monde postsoviétique, de ses mafias, de ses aberrations grotesques. C’est son roman Le Pingouin, paru en France en 2000 chez Liana Levi et traduit dans plus de trente langues, qui le fait connaître dans le monde entier. Engagé dans la «révolution orange», en 2004 en Ukraine, son livre «Le Dernier Amour du Président», lui vaut les foudres de Poutine.

Les romans d’Andreï Kourkov se caractérisent par un regard acéré et ironique sur la vie dans les sociétés post-soviétiques. On y trouve quantité de situations absconses de la vie quotidienne russe ou ukrainienne qui, déformées à l’extrême, deviennent surréalistes. La tendresse, l’humanisme et l’humour qui sont sa signature sont d’autant plus précieux en ces temps de guerre.

«Diary of an invasion» – Andreï Kourkov | Extrait

L’ouvrage sera publié en anglais au mois de septembre 2022 par les éditions Mountain Leopard Press (Londres) et devrait être disponible en français d’ici la fin de l’année aux éditions Noir sur blanc (Paris et Lausanne).

Factures des fournisseurs et tickets pour le zoo – 23 mars 2022

«Aujourd’hui j’ai finalement payé les factures d’électricité, de gaz et d’internet de notre maison au village. Elle demeure vide et personne n’utilise aucun de ces services. Il aurait été possible de ne pas payer, puisque que la maison n’est plus chauffée, le réfrigérateur est éteint, et le gouvernement a dit que l’on pourra payer plus tard si l’on n’en est pas en capacité maintenant. Mais je veux soutenir les fournisseurs de services. Ils doivent survivre pour qu’il y ait un retour possible à la vie normale. Si personne ne paie les factures durant la guerre, il n’y aura pas de salaires pour les employés de ces compagnies et leur vie va se transformer en un double enfer.

Beaucoup de gens achètent actuellement des choses dont ils n’ont pas besoin, mais ils les achètent pour le bien des autres. Des milliers de tickets pour la visite du zoo de la ville de Mykolaiv ont été réservés en ligne alors que le zoo est fermé – bombardé par l’artillerie russe. Il n’y a pas de visiteurs mais les animaux sont encore là et doivent être nourris. Alors, ceux qui aiment les animaux paient des tickets pour financer l’achat de nourriture en cette période difficile.

Les animaux en Ukraine sont devenus victimes de l’armée russe, tout comme l’est la population. À Gostomel, les bombardements russes ont frappé une écurie. Un feu s’est déclaré et les chevaux ont été brûlés vifs. Au zoo de Kharkiv, une roquette a tué deux chimpanzés et un gorille. Près de Kyiv, les bombardements ont atteint un petit zoo. Certains animaux se sont enfuis dans la forêt avoisinante. Les autorités locales ont appelé tous les résidents à ne pas toucher au cerf échappé, et surtout à ne pas le chasser. Les chasseurs ukrainiens n’ont pas pisté d’animaux depuis maintenant un mois. S’ils avaient chassé quoi que ce soit, ce serait la bête la plus agressive – les occupants russes.

Il y a environ sept cent mille chasseurs en Ukraine. Parmi eux, il y a un million et demi de fusils et carabines. Nombreux se battent déjà pour l’Ukraine. Un chasseur dans la région de Chernihiv a approché un groupe de soldats russes avec une grenade à la main et l’a dégoupillée tuant à lui seul plusieurs soldats ennemis. Ailleurs des chasseurs ont attaqué des unités d’infanterie russe s’abritant dans les forêts. Tandis que les chasseurs ukrainiens traquent les soldats, l’armée russe est occupée à de sinistres actions. Elle détruit délibérément des entrepôts de nourriture et de provisions de médicaments. Le plus grand entrepôt de nourriture surgelée a été détruit par des missiles russes dans la banlieue de Brovary à Kyiv. Puis la réserve de fruits et légumes a été anéantie.

À Severodonetsk près de Lugansk, un grand entrepôt de nourriture a aussi été détruit. Près de Kyiv, dans la souffrante Makariv, les troupes russes ont fait exploser le plus grand magasin de médicaments du pays. Les avions russes ont bombardé le pont de la rivière Desna, vital pour le transport de l’aide humanitaire de Kyiv à Chernihiv.

Cela commence à ressembler à un génocide – la destruction déterminée des villes et de l’infrastructure, le blocage de l’aide humanitaire, l’orchestration d’une famine artificielle à Mariupol, Mangush et dans d’autres villes.»

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