Marseille. Cri d’alarme des mères après un triste record de règlements de comptes

Publié le 2 janvier 2023 à  12h50 - Dernière mise à  jour le 5 janvier 2023 à  12h24

La comptabilité est morbide. 33 morts dans des règlements de compte, principalement dans les quartiers Nord de Marseille. 2022 restera comme une année sombre en matière de victimes. Un chiffre encore jamais atteint. Des mères de familles appellent à la mobilisation.

Malgré les sourires ces mères sont impliquées dans une course contre la mort... (Photo Joël Barcy)
Malgré les sourires ces mères sont impliquées dans une course contre la mort… (Photo Joël Barcy)

« On tire de jour comme de nuit»

«On ne tire plus uniquement la nuit comme avant mais de jour, devant des magasins, des cafés. Plus personne n’est vraiment à l’abri d’une balle perdue», s’émeuvent ces mères des quartiers. Alors elles ont décidé de se lever, de dire stop à la violence. Réunies au sein de plusieurs associations ces femmes veulent mobiliser les pouvoirs publics, la justice, d’autres parents pour que les choses changent. « Quand un enfant meurt d’une rafale c’est toute une famille qui est brisée. Ce ne sont pas uniquement les parents, les frères et sœurs mais aussi les grands-parents, les oncles et tantes, neveux et nièces, cousins et cousines voire copains», s’alarme Laeticia Linon membre du collectif de familles de victimes Alehan. «Mon neveu est décédé lors d’un règlement de compte. Un an et demi après son ex- petite amie souffre toujours de problèmes psychologiques. J’ai dû contacter l’Avad (Aide aux Victimes d’Actes Délinquants) pour venir en aide à la gamine». Pour Laeticia Linon la situation devient intenable: «Quand on rentre du boulot vers 18 heures, la première chose qu’on voit ce sont les checkpoints tenus par des minots cagoulés qui vous demandent où vous habitez, qui vous êtes, d’où vous venez. On n’a pas à subir ça et encore moins nos enfants. Nous on sait leur parler mais nos petitous, eux, sont agressés. Il faut dire stop à tout ça».

Aujourd’hui les victimes ne sont pas toutes liées au trafic de drogue. «Ma nièce avait 19 ans, elle était étudiante, n’avait pas de casier judiciaire. Sarah a été victime par ricochet d’un règlement de compte», insiste sa tante Atika Saïb, membre du collectif de familles de victimes Alehan.

« Nous sommes des pauvres avec des fiertés »

Djamila Bacari, présidente du collectif «Le cœur d’une mère» dénonce le manque d’investissement du gouvernement dans les cités: «Tout est limité dans nos quartiers. Il faudrait créer des structures, avoir des moyens, des outils pour pouvoir aider les pauvres. Certains n’ont presque rien à manger dans le frigo. Les mamans de ces gosses travaillent, cotisent. Nous sommes des pauvres mais avec des fiertés. Le boulot qu’on fait en élevant nos enfants on aurait aimé qu’ils deviennent des gens après. Qu’ils reviennent avec des diplômes, des masters, des doctorats plutôt que de rechercher l’argent facile en vendant de la drogue. Ces enfants qui se font tués sont Français, ils auraient pu apporter des choses à la France».

Un coup de poignard

Elle a souhaité rester anonyme, vit un calvaire depuis le récent classement du dossier de son fils, abattu dans un quartier. «Il a été « snapé » (vidéo postée sur le site Snapchat) en train d’agoniser. Il y avait des caméras sur le lieu de l’assassinat et malgré tout ça la justice n’a pas trouvé de preuve, de coupable. Je me sens mal, c’est comme si j’avais perdu un banal sac à main, que mon fils n’a jamais existé dans ce monde. Ce classement est insupportable. L’image de son agonie est restée imprimée et l’absence de mises en examen invivable».

« Une justice à deux vitesses »

Enquêteurs et justice ne sont pas inactifs. Les saisies d’armes progressent. Des assassinats se sont conclus par des mises en examen. Mais pour Karima Meziene, avocate et membre du collectif de familles de victimes Alehan: «On a encore une justice à deux vitesses. On a des dossiers médiatiques en France où on voit qu’on se démène pour trouver des preuves, on exhume des corps… et il y a des dossiers, comme les nôtres, où des actes d’instruction ne sont pas menés depuis plusieurs années. Ils sont mis de côté et quand on interroge les enquêteurs de la police judiciaire ils nous disent qu’ils sont débordés, qu’ils n’y arrivent pas avec les effectifs qu’ils ont et qu’ils n’ont pas les moyens de travailler sur du long terme. C’est une vraie frustration d’entendre cela. Ce n’est pas acceptable dans un État de droit».

Toutes ces mères espèrent que cet appel amènera à une prise de conscience de l’ensemble des habitants des quartiers et des pouvoirs publics. «Plus jamais ça» devrait résonner dans toutes les têtes, mobiliser toutes les volontés avant que la comptabilité des victimes n’atteigne un nouveau record.
Reportage Joël BARCY

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