Marseille. Jardin des Justes: trois arbres de la mémoire poussent au Centre Fleg

Publié le 23 mai 2022 à  9h35 - Dernière mise à  jour le 6 novembre 2022 à  10h43

Le centre Fleg vient d’inaugurer, dans le cadre de son partenariat avec la Fondation Gariwo, le Jardin des Justes de Marseille, le premier en France, une initiative dont on mesure toute l’importance, alors que la guerre, avec son lot de crimes contre l’humanité, est à l’œuvre en Ukraine.

C’est une manifestation forte, émouvante qui vient de se tenir au Centre Edmond Fleg: l’inauguration du «Jardin des Justes de Marseille», initiative fruit de la collaboration entre le Centre et l’association italienne Gariwo (Gardens of the Righteous Worldwide) dont le président, Gabriel Nissim, a fait le voyage avec Pietro Kuciukian, un des co-fondateurs de l’association.

La fondation Gariwo, dont le siège est à Milan, œuvre depuis le 30 novembre 2000 pour faire connaître les histoires des Justes persuadée que la mémoire du bien est un puissant outil éducatif qui sert à prévenir les génocides et les crimes contre l’humanité. Les arbres marseillais honorent Varian Fry, juste ayant sauvé des juifs pendant la Shoah, Le Vice-Amiral Louis Dartige du Fournet, juste ayant sauvé des arméniens pendant le génocide et Félicité Niyigeta dite « Ikimanika », religieuse ayant sauvé des Tutsi pendant le génocide au Rwanda.

Évelyne Sitruk, la présidente du Centre Fleg © Hagay Sobol
Évelyne Sitruk, la présidente du Centre Fleg © Hagay Sobol

Évelyne Sitruk, la présidente du Centre Fleg raconte l’histoire de sa rencontre en février 2018 avec Gabriel Nissim. «Je suis allée représenter Fleg à L’institut italien de la Culture lors d’une conférence sur les Justes, ne sachant pas vraiment ce que j’allais y trouver. Je suis repartie en ayant trouvé les réponses que je me posais concernant la transmission de la mémoire», explique-t-elle avant d’exprimer «avec force» que : «s’il est important de considérer la Shoah et les génocides à partir de la compassion pour les victimes, il faut s’intéresser aussi aux femmes et aux hommes qui ont su résister à l’oppression».

«Agir pour la défense du bien n’est jamais un sacrifice»

Alors, pour la présidente du centre Fleg: «Ce partenariat avec « Gariwo » représente pour le Centre Fleg une formidable opportunité d’élargir son action mémorielle en distinguant des personnalités qui ont sauvé des vies en ayant le courage de se lever pour s’opposer à la barbarie de quelque nature qu’elle soit». À travers l’exemple des Justes, il s’agit de faire comprendre, notamment aux jeunes, qu’«agir pour la défense du bien n’est jamais un sacrifice ou une privation, mais un parcours qui peut rendre la vie plus riche et plus belle. On trouve le bonheur en faisant le bien d’autrui, car ainsi on se fait du bien à soi-même», souligne-t-elle. Évelyne Sitruk précise enfin: «Pour cette première année, nous plantons symboliquement 3 arbres au Centre Fleg avec la volonté, l’année prochaine, avec le soutien de la Mairie de Marseille, de les replanter dans un jardin de la ville. Ce sera le moyen de faire connaître aux Marseillais tous ces Justes».

Gabriel Nissim, président de l'association Gariwo (Gardens of the Righteous Worldwide) ©Hagay Sobol
Gabriel Nissim, président de l’association Gariwo (Gardens of the Righteous Worldwide) ©Hagay Sobol

Gabriele Nissim raconte: «Je suis journaliste de formation, j’ai toujours travaillé sur la mémoire de la résistance face au totalitarisme et sur la dissidence. Il faut dire que ma famille est originaire de Salonique. La communauté juive comptait 50 000 personnes au début de la Seconde guerre mondiale. De mars à août 1943, les Allemands déportèrent plus de 45 000 Juifs de Salonique au camp de mise à mort d’Auschwitz-Birkenau. Ils furent pour la plupart gazés dès leur arrivée à Auschwitz. Mon père était résistant, il a notamment participé à la bataille d’El Alamein».

«Le Juste c’est l’individu qui prend position contre le mal»

Il en vient à ce que représente les Justes à ses yeux: «il est important, pour l’unité européenne, de mettre en avant la résistance morale et les Justes représentent le meilleur de l’Europe. Le Juste c’est l’individu qui prend position contre le mal. Il importe de mettre en avant cette figure car elle apprend, notamment aux jeunes, que chacun peut toujours, quoi qu’il arrive, prendre le parti d’aider autrui et de défendre la dignité humaine». Dans ce cadre Gabriele Nissim fait approuvé en 2012 la création d’une Journée nationale des Justes, rappelant l’importance morale que revêt le Jardin des Justes du mémorial de Yad Vashem à Jérusalem, fondé par Moshe Beisky afin de rendre hommage aux personnes qui avaient apporté leur aide à des Juifs pendant la Shoah. Un hommage rendu aux personnes ayant sauvé des vies lors de tous les génocides ou massacres comme en Arménie, en Bosnie, au Cambodge et au Rwanda et crimes contre l’humanité, perpétrés au cours des 20e et 21e siècles. Il ajoute: «Si on regarde ce qui se passe aujourd’hui en Ukraine on voit bien que les Européens ont des valeurs à défendre contre l’autocratie et les Justes sont les indicateurs des valeurs européennes».

La Fondation Gariwo, présidée par Gabriele Nissim, est née de la rencontre de ce dernier avec Pietro Kuciukian, Ulianova Radice et Anna Maria Samuelli, ses fondateurs. «Nous nous efforçons de faire connaître les Justes et de promouvoir la « Mémoire du Bien ». Gariwo est né avec l’intention d’étendre la notion de juste et de la rendre universelle». Il insiste sur le fait que les justes «sont très souvent des gens ordinaires ni des saints ni des héros, ce sont des femmes et des hommes qui par un acte souvent spontané, fidèle à leur conscience, choisissent d’agir contre l’injustice en risquant parfois leur vie».

«Le mal n’appartient pas au passé»

Gabriel Nissim met en garde: «Le mal n’appartient pas au passé, il est toujours dans l’histoire. Raison pour laquelle nous avons créé les Jardins des Justes qui, comme celui de Yad Vachem, doivent devenir des centres permanents de conscience afin de prévenir le mal avant qu’il ne prenne trop d’ampleur. Le mal est toujours contemporain il faut donc que les Justes soient aussi contemporains».

Pietro Kuciukian co-fondateur de Gariwo ©Hagay Sobol
Pietro Kuciukian co-fondateur de Gariwo ©Hagay Sobol

Pietro Kuciukian évoque sa colère concernant le génocide arménien perpétré par la Turquie. «jusqu’à ce que je lise le livre-mémoire de mon père qui expliquait avoir été sauvé par un turc. Il y a, en fait, toujours quelqu’un qui refuse d’obéir à une loi barbare. Raison pour laquelle, au-delà de la Shoah puis du génocide arménien, nous avons étendu le concept des Justes à tous les génocides et crimes contre l’humanité. C ‘est ainsi que nous voulons voir pousser dans le monde entier des jardins des Justes, sachant que l’on compte aujourd’hui 150 jardins dans le monde».

«Ceux qui font le bien restent souvent dans l’ombre»

Aurore Bruna, la présidente de l’Ugab (Union Générale Arménienne Bienfaisance) © Hagay Sobol
Aurore Bruna, la présidente de l’Ugab (Union Générale Arménienne Bienfaisance) © Hagay Sobol

Aurore Bruna, la présidente de l’Ugab (Union Générale Arménienne Bienfaisance) déplore: «Dans les cours d’histoire, hélas, on enseigne toujours la vie et les actes de ceux qui ont fait le mal, ordonné des crimes contre l’humanité mais ceux qui font le bien restent souvent dans l’ombre. Il faut rétablir cela car, si l’on veut réconcilier les peuples après un génocide ce sont les Justes, leurs actes courageux voire héroïques, qui permettront de retisser des liens, de panser les plaies, de donner de beaux exemples aux futures générations».

«Je suis le descendant d’une famille décimée»

Marcel Kabanda, historien, est président de l’association Ibuka © Hagay Sobol
Marcel Kabanda, historien, est président de l’association Ibuka © Hagay Sobol

Marcel Kabanda, historien, est président de l’association Ibuka, mémoire, justice et soutien aux rescapés du génocide des tutsi au Rwanda en 1994. Il lance: «Je suis le descendant d’une famille décimée. Et, pendant longtemps, il a été impossible de me parler de Justes. Je répondais toujours que, s’il y en avait eu il n’y aurait pas eu autant de morts». Il ajoute: «Je ne mesurais pas alors combien c’était compliqué d’être un Juste». C’est sa fille qui le pousse à évoluer: «elle me disait: « tu parles toujours de morts à quoi cela sert-il? »». Alors pour Marcel Kabanda: «Il faut parler de la mort pour ne pas oublier mais il faut aussi parler des Justes car ils prouvent que le mal n’est pas une fatalité». Rappelons que le génocide a duré trois mois et qu’il a fait plus d’un million de morts. Tous les Tutsi sans exception ont été ciblés, ainsi que des Hutu de l’opposition considérés comme des complices».
Michel CAIRE

[(

Trois arbres – Trois Justes

Trois arbres viennent d'être plantés pour trois justes © Hagay Sobol
Trois arbres viennent d’être plantés pour trois justes © Hagay Sobol

Varian Fry

Vient alors le moment de la plantation des arbres, ce sera un cédrat en hommage à Varian Fry. Évelyne Sitruk rappelle: «Il fut envoyé par le « Comité de sauvetage d’urgence » qui officiait dans la cité phocéenne sous le nom de Centre américain de secours. Sa mission était de sauver quelque deux-cents écrivains. Une mission de reconnaissance de trois semaines qui se transforma rapidement en une éprouvante aventure de treize mois, au cours desquels il prendra conscience du drame humain qui se jouait dans l’Europe sous la botte nazie. Malgré la surveillance du régime de Vichy, il aide de nombreuses personnes à se cacher avant leur départ pour le Portugal, alors neutre, ou la Martinique. Aidé financièrement par la collectionneuse d’art juive américaine Peggy Guggenheim et assisté, dans sa mission, par le vice-consul américain à Marseille Hiram Bingham IV, il parvient à faire sortir du territoire français des intellectuels et artistes de renom, tels que Claude Levi-Strauss, Max Ernst, Hannah Arendt ou encore Marc Chagall. Désavoué par son pays, alors encore neutre, il se voit confisquer son passeport par les autorités américaines et doit quitter l’Europe le 16 septembre 1941. Il charge alors l’un de ses assistants, le résistant français Daniel Bénédite de poursuivre son œuvre en son absence».

Vice-Amiral Louis Dartige du Fournet

Aurore Bruna plante un citronnier en mémoire du Vice-Amiral Louis Dartige du Fournet. Elle rappelle que ce dernier, lors de la Première guerre mondiale, en février 1915, est nommé à la tête de la troisième escadre française qui vient d’être créée. Basée à Port-Saïd (Égypte), cette escadre est chargée de faire appliquer le blocus des côtes ottomanes décrété en août 1915. Il s’illustre en sauvant plus de 4 000 Arméniens dont 1 563 enfants. «Essayant d’échapper aux marches de la déportation 5 000 arméniens se réfugient sur le Musa Dagh ou Mont-Moïse où ils résistent pendant 40 jours mais les fournitures en eau et munition manquent. Ils réussissent à attirer l’attention du croiseur Guichen, au nord de la baie d’Antioche, avec un drap blanc marqué d’une croix rouge et de l’inscription: Chrétiens en danger. Louis Dartige du Fournet prend l’initiative de sauver des vies alors que l’état-major français ne lui donne aucune instruction. Selon ses propres termes « le temps nous était compté et quelles que fussent les instructions il était nécessaire de tous les évacuer »».

Felicité Niyitegeka dîte ikimanuka (1934-1994)

C’est un oranger que plante Marcel Kabanda en hommage à Felicité Niyitegeka, «religieuse catholique rwandaise élevée au rang d’héroïne nationale». Elle était responsable du Centre Saint-Pierre à Gisenyi. Ses proches l’ont surnommée «ikimanuka » en raison de sa personnalité sympathique et de son intégrité. «Elle accueillait des tutsis dans son centre, donnait de l’argent aux soldats hutus pour qu’ils détournent le regard lorsqu’elle les faisait passer vers le Zaïre voisin. Jusqu’au jour où son frère, colonel, a été informé de son action. Il lui demande de permettre à la milice de faire son travail. Elle lui répondit dans une lettre, qu’elle refusait d’abandonner les 43 personnes dont elle avait la charge, choisissant de mourir avec elles. Elle écrit notamment: «Lorsque j’arriverais devant Dieu je prierais pour toi». Le 20 avril, son frère lui envoya un véhicule et une escorte de soldats, elle refuse de partir. Le lendemain, le centre est attaqué, les réfugiés sont conduits vers un un site d’extermination elle décide de monter avec eux. Elle sera tuée la dernière». Aujourd’hui, elle est reconnue comme héroïne nationale.)]

Articles similaires

Aller au contenu principal