Marseille: ‘L’école au présent’ , un présent fait aux enfants en grande précarité

Publié le 9 mai 2022 à  11h36 - Dernière mise à  jour le 5 novembre 2022 à  12h43

Jane Bouvier a fondé en 2014 à Marseille l’association «l’École au Présent», poursuite d’une action lancée en 2012. Son objectif est de faire en sorte que «dans un pays où l’école est obligatoire, aucun enfant ne reste aux portes de l’école». En 10 ans, 1 000 enfants ont ainsi pu être scolarisés. Dans le cadre de ce 10e anniversaire, une BD « Sabi et Tereza » de Jane Bouvier et Diane Morel vient d’être publiée aux éditions « La Pimpante ». Le travail accompli par l’association ainsi que le livre viennent d’être présentés à La Fabulerie en présence de nombreuses personnalités au premier rang desquelles Benoît Payan, le maire de Marseille.

Jane Bouvier fondatrice de
Jane Bouvier fondatrice de

On est en 2012, des Roms sont chassés d’une cité des quartiers Nord de Marseille avant que les habitants ne mettent le feu aux restes de leur campement. Jane Bouvier veut comprendre, elle va à la rencontre des Roms, découvre des enfants non scolarisés. Psychologue clinicienne de formation et enseignante elle ne supporte pas cet état de fait. Elle se mobilise alors, soirs et week-ends, pour les scolariser avant de créer, en 2014, l’association «L’école au présent» afin de pérenniser son action. «Je n’accepte pas que tous les humains n’aient pas les mêmes droits», explique Jane Bouvier qui raconte: «Il faut savoir ce que c’est que l’eau qu’il faut aller chercher pour se nourrir, boire… Les jours de pluie où le sol reste détrempé pendant plusieurs jours, l’absence de chaussures. En France des enfants vivent dans une précarité que l’on n’ imagine pas». Elle parle des Roms: «Ils sont au bout du bout en terme de rejet et cela ne change pas… jusqu’à la rencontre d’une personne bienveillante».

Jane Bouvier croise le chemin d’enfants albanais, bulgares…

Mais ne nous y trompons pas, le sort est dur pas seulement pour les Roms, Jane Bouvier croise le chemin d’enfants albanais, bulgares…, des enfants de n’importe quel pays vivant dans des bidonvilles, des squats, dormant dans des voitures ou des copropriétés dégradées: «C’est là, qu’il est le plus difficile de travailler. Ce sont des « no man’s lands » où personne ne va mais où j’arrive à entrer lorsque je suis seule». Et, de cette manière, 1 000 enfants ont été accompagnés en 10 ans. «Aujourd’hui des enfants sont au lycée, d’autres travaillent. J’en ai vu un, il y a peu de temps, qui a obtenu un emploi à la SNCF et il m’a dit que sa famille avait trouvé un logement».

Elle en vient à ses rapports avec la municipalité: «Je n’ai jamais eu de blocage, sous la précédente municipalité j’arrivais à inscrire les enfants et ils bénéficiaient de la cantine gratuite mais ce qui a changé avec la nouvelle municipalité c’est que les choses vont hyper vite et il n’y a plus d’évacuation en période scolaire ce qui est un vrai plus car lorsqu’un enfant doit changer d’école plusieurs fois dans l’année c’est fini, l’enfant n’arrive pas à suivre».

«Les enseignants changent les vies»

Outre la Mairie de Marseille, Jane Bouvier tient à remercier les enseignants: «Ils font un travail extraordinaire. Ils disent ne faire que leur travail ce n’est pas vrai. Cela va bien au-delà. Je pense aux cours particuliers donnés pour permettre aux enfants de rattraper leur retard; à cet enseignant qui a laissé une petite fille se promener dans la classe pendant des semaines pour qu’elle s’adapte. Je pense à ce petit garçon dont ils ont soigné les pieds brûlés par des chaussures bien trop petites et leur recherche d’une autre paire. Je pense à l’attention des enseignants envers les parents notamment pour ce papa qui était tellement inquiet le premier jour de laisser son enfant à l’école qu’il sonnait toutes les dix minutes pour avoir des nouvelles. Je pense à cet enseignant qui va chercher des enfants pour faire du vélo le week-end avec les siens… Alors, oui, les enseignants changent les vies».

L’Éducation Nationale n’est pas au niveau

En revanche, elle considère que l’Éducation Nationale n’est pas au niveau. «Le recteur Bernard Beignier est venu passer une journée dans les bidonvilles. Le problème ne se pose pas à son niveau mais au plan national. Il faut d’avantage de places pour ces enfants, notamment en collège, il faut que l’Éducation nationale prenne davantage en compte la situation des enfants de la rue en France. Il faut que les enfants en grande précarité soient reconnus dans les textes». Et elle ne cache pas avoir été «un peu contrariée» par la situation réservée aux Ukrainiens. «Je me suis occupée de familles ukrainiennes, j’ai fait des demandes pour scolariser les enfants en collège et là le rectorat m’appelle pour me dire que pour eux la procédure est différente, que des places leur sont réservées. Je suis contente pour ces enfants mais pourquoi ce qui est possible pour les uns ne l’est pas pour les autres». Du côté de la mairie de Marseille, une élue souligne: «Aujourd’hui on sait que des moyens sont déblocables. Nous n’allons pas l’oublier».

Benoît Payan: «Je n’aurais jamais imaginé la réalité que tu m’as fait découvrir»

Jane Bouvier et le maire de Marseille, Benoît Payan ©DR/BDx
Jane Bouvier et le maire de Marseille, Benoît Payan ©DR/BDx

Jane Bouvier tient ensuite à rendre hommage au travail accompli par des juges du tribunal pour enfants de Marseille: «Ce qu’elles font est extraordinaire, j’apprends des choses à chaque audience. Depuis sept ans nous agissons en commun et grâce à cela des enfants voient leur vie changer». Elle remercie également ses partenaires de la Fondation de France et la Fondation Abbé Pierre, des partenaires de premier plan. Elle n’oublie pas « Vacances Léo Lagrange » qui a su être là dans l’urgence pour trouver des cartables.

Benoît Payan est présent à cette manifestation, se tournant vers Jane Bouvier il avoue: «Je croyais connaître ma ville. Je n’aurais jamais imaginé la réalité que tu m’as fait découvrir». «Bien sûr, poursuit-il, tu permets à des enfants d’être scolarisés mais ce que tu fais va au-delà, tu rends leur dignité à des personnes. Tu fais ce que personne ne fait. Tu es avec les invisibles, avec ceux qui baissent la tête». Et il lance: «Je veux juste te dire merci. Sans toi cette ville ne sera pas tout à fait ce qu’elle est».
Michel CAIRE

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La BD «Sabi et Tereza»

Une BD pour raconter ©DR/BDx
Une BD pour raconter ©DR/BDx

Sabi et Tereza est la première BD de Jane Bouvier, avec des dessins signés Diane Morel. Jane Bouvier tient à préciser: «Je raconte les conditions de vie mais il ne s’agit pas de faire du misérabilisme. Les enfants ont trouvé un objet magique. C’est un livre joyeux, plein d’espoir avec des enfants qui adorent l’école». En clair, au-delà de l’émotion, ce livre invite à réfléchir, à accepter l’Autre et met en avant que des solutions sont possibles. Sabi et Tereza sont jumeaux, ils vivent à Marseille avec leurs parents et leur grand frère, Salajan. Dans leur bidonville, ils partagent tout et jouent au milieu de cabanes construites à partir de matériaux de récupération. Portés par le courage de leur famille et la bienveillance de leur enseignante, Sabi et Tereza vont découvrir ensemble la joie des mots. Tereza progresse vite et adore lire. L’apparition d’un objet précieux et d’une mystérieuse petite dame aide Sabi à gagner en confiance et à cultiver le goût d’apprendre.
« Sabi et Tereza », de Jane Bouvier et Diane Morel, éditions La Pimpante, 14 euros, en vente en librairie)]

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