Marseille. On a vu à La Criée « Le malade imaginaire » par la Comédie-Française

Publié le 27 octobre 2019 à  19h47 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  13h23

Un Guillaume Gallienne phénoménal campe un Argan
Un Guillaume Gallienne phénoménal campe un Argan
Comme l’a fait remarquer le regretté Claude Stratz (1946-2007) dont la troupe de La Comédie-Française reprend en tournée sa mise en scène du «Malade Imaginaire» de Molière : «Cette pièce est une comédie dont chaque acte se termine par une évocation de la mort». Molière qui en l’écrivant se savait gravement malade joue ici avec la souffrance et la mort. «Mais ce thème tragique dans la vie devient comique sur scène, et c’est avec son propre malheur que l’auteur choisit de nous faire rire.» Voilà donc, à une époque où les écrivains ne parlaient pas d’eux-mêmes, une sorte d’autobiographie à l’envers où Molière le vrai malade (il mourra après une représentation) joue au faux malade, incarné en un Argan tonitruant, capricieux, égocentrique, seulement préoccupé de son confort matériel et physique. S’il exige que sa fille Angélique épouse Thomas Diafoirus le fils (crétin) de son médecin c’est que cela peut lui servir. Il se sentira ainsi mieux et durablement soigné, à l’intérieur de son domicile. Évidemment la jeune fille qui aime Cléante d’un amour sincère ne l’entend pas de cette oreille, et compte bien faire échouer la noce promise au profit de celle qu’elle souhaite avec son amoureux. Encore une fois Molière donne aux femmes un rôle de résistantes (à l’exception de la cupide et hypocrite Béline, la seconde femme d’Argan) , et le stratagème de Toinette, merveilleuse servante, vive et intelligente fera mouche. Tout est bien qui finit bien, et entre temps nous nous serons beaucoup divertis. Signalant dans ses notes de travail que «l’unité de temps est respectée et pourtant discrètement subvertie : le premier acte commence en fin d’après-midi et se termine à la nuit tombante, les deux actes suivants se déroulant le matin, et l’après-midi du lendemain» Claude Stratz définit «Le malade imaginaire » comme « une comédie crépusculaire, teintée d’amertume et de mélancolie». Pour le montrer il a choisi de tamiser les lumières, qui ainsi plongent la scène dans une pénombre presque permanente, avec le sentiment pour le spectateur d’assister à une représentation de tableaux de maîtres rappelant Fragonard et Rembrandt.

Gallienne, Hecq et le troupe…irrésistibles

L’obstacle était de faire incarner tout cela dans une homogénéité de jeu et d’intentions. Aucun souci… la troupe de La Comédie-Française, en escale au Théâtre de La Criée de Marseille est au sommet. Tous les acteurs sont en osmose et tirent le meilleur de leur rôle, notamment Julie Sicard (exceptionnelle Toinette), Elissa Alloula (divine Angélique), et Clément Bresson que nous avons aussi vu dans le film «Petit paysan» qui compose avec une sorte de génie un phénoménal Thomas Diafoirus limite débile, qui vaut à lui seul le détour. Et puis il y Christian Hecq dans les rôles successifs de Monsieur Diafoirus et Monsieur Purgon dont on saluera la présence inouïe, le sens de la mimique et une folie de jeu d’autant plus grandiose que le metteur en scène en fait un personnage inquiétant. Et puis bien sûr Guillaume Gallienne dans le rôle titre qui très éloigné du jeu d’un Michel Bouquet crée un personnage éminemment moderne, intemporel en fait, qui nous agace, nous fait rires aux larmes, et qui demeure irrésistible de bout en bout y compris dans les silences lorsqu’il scrute les autres et le fond des choses. A ce titre quand il se retrouve face aux compliments ampoulés des deux Diafoirus, il est inoubliable là encore. Comme lors de la fête finale où Claude Stratz suivant le texte orchestre une chorégraphie des plus saisissantes. Argan se transformant presque en père Ubu de Brechet, grotesque et virevoltant. A ce titre les paroles qu’il prononce lors de ce qui est une cérémonie d’intronisation dans l’ordre des médecins demeurent d’anthologie et surtout n’a jamais été vraiment monté comme cela. Gallienne récitant du latin de cuisine ponctue de manière festive cette comédie finalement grave. On ressort de là avec la pêche ! «Guillaume, ne te soigne pas… tu es parfait en malade imaginaire de Molière !».
Jean-Rémi BARLAND

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