Marseille – On a vu aux Bernardines. Sara Llorca met en scène « La terre se révolte »: un choc, un tremblement de cœurs

Publié le 25 janvier 2020 à  11h07 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  13h45

«C’est quoi l’exil ? C’est où ? C’est quand ? C’est loin ?». Autant de questions au centre de «La terre se révolte» la pièce signée Sara Llorca, Guillaume Clayssen et Omar Youssef Souleimane, poète syrien dont on s’inspire ici « librement » de son récit «Le petit terroriste». Réflexion sur le terrorisme, le racisme -que Wassim, le personnage central a vécu en Arabie Saoudite en tant que Syrien-, la quête identitaire, les rapports père-fils et la soif d’amour nichée au cœur de chacun, le statut de poète qui «fait ce qu’il peut et non ce qu’il veut », cette pièce est un choc.

Destimed la terre se revolte photo raphael arnaudcopieSéquencé en quatre actes, à l’intérieur desquels une multitude de lieux s’entremêlent, « La terre se révolte » dévoile par touches successives l’intimité de deux êtres (un homme et une femme) qui se parlent, tentent de s’aimer et posent sur l’univers un regard douloureux. Quand les mots arrivent à manquer le texte fait basculer leurs rapports dans la chorégraphie incarnée physiquement par la dame rouge, la danseuse Ingrid Estarque qui loin de surligner l’ensemble en apporte un regard parallèle. Elle c’est Andrea une philosophe française andalouse descendante de migrants espagnols, qui a grandi à Bobigny. Lui, c’est Wassim -étymologiquement «celui qui se distingue par la beauté»-, Syrien arrivé en France en 2012 qui à l’époque ne parlait pas français et s’est mis plus tard à écrire. Fort de cette pensée de Paul Éluard «la poésie n’est pas un métier c’est une fiction» que l’on entend avec la vraie voix de son auteur, l’une comme l’autre finiront par s’accorder sur l’idée que «Rêver est le point de départ de toute révolution». Ce couple de personnages prolonge dans la fiction la rencontre entre Sara Llorca et Omar Youssef Souleimane qui est à l’origine de la pièce. On ajoutera qu’interviennent dans le cours du récit René Descartes présentant son «Cogito ergo sum», Blaise un journaliste (les deux joués par Tom Pézier), un soldat jordanien, un Syrien, et le père de Wassim, le personnage le moins bien dessiné dont on n’est pas convaincus quand il intervient avec agitation, les trois figures d’une certaine forme de rhétorique se présentant sous les traits de Raymond Hosny. Dans un décor tournant représentant l’intimité d’une chambre la magnifique mise en scène de Sara Llorca offre des scènes bouleversantes qui sont comme des tableaux de maître. Notamment lorsque Andrea apparaît à la fenêtre le visage éclairé comme dans un halo. Splendide moment renforcé par la présence inoubliable de Lou De Laâge, sublime actrice d’une beauté et d’une intensité de jeu inoubliables. Elle est une Andrea volontaire et qui regardant vers l’avant lance à Wassim : «Raconte-moi là-bas mais sois ici avec moi». Si c’est à Elie Youssef que revient l’honneur d’ouvrir la pièce par un prologue donné dans la salle allumée c’est Logann Antuofermo qui lui succède dans le rôle de Wassim. Sa présence presque animale en fait un des atouts de la pièce. On regrettera peut-être quelques dérapages comme le fait de balancer des chaises et des objets à travers la scène, mais «La terre se révolte» décrit avec force un tremblement de cœurs et la fracture entre vouloir et pouvoir. Une pièce sur la tolérance et sur les rapports riches culturellement entre l’Orient et l’Occident.
Jean-Rémi BARLAND
Aux Bernardines ce samedi 25 janvier à 20 heures. Puis en tournée à Bobigny MC 93 du 30 janvier au 9 février. Et au Théâtre Liberté de Toulon le 7 mars.

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