Marseille Provence 2013. La résistance à Marseille a été évoquée au Pavillon M avec Jean-Pierre Foucault et l’historien Robert Mencherini.

Publié le 27 juillet 2013 à  1h00 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  16h06

L'historien Robert Mencherini et Jean-pierre Foucault  (PHOTO PHILIPPE MAILLÉ)
L’historien Robert Mencherini et Jean-pierre Foucault (PHOTO PHILIPPE MAILLÉ)
Ulrich Fuchs, directeur général adjoint de MP2013 (PHOTO PHILIPPE MAILLÉ)
Ulrich Fuchs, directeur général adjoint de MP2013 (PHOTO PHILIPPE MAILLÉ)
Cyril Brunet, Robert Mencherini, Jean-Pierre Foucault, Ulrich Fuchs et Bernard Latarjet et l'équipe du Pavillon M et de MP2013 (PHOTO PHILIPPE MAILLÉ)
Cyril Brunet, Robert Mencherini, Jean-Pierre Foucault, Ulrich Fuchs et Bernard Latarjet et l’équipe du Pavillon M et de MP2013 (PHOTO PHILIPPE MAILLÉ)

Les rendez-vous portés par Cyril Brunet quotidiennement à 17 heures au Pavillon M offrent au public des facettes méconnues de ses invités. Et ce vendredi, cette rencontre avec Jean-Pierre Foucault et l’historien Robert Mencherini, a apporté un éclairage sur l’histoire de la résistance à Marseille. Jean-Pierre Foucault dont la mère Paula était juive polonaise rescapée de la barbarie nazie ; son père, Marcel Foucault, résistant, assassiné par des inconnus à Alger en 1962, a reçu à titre posthume la médaille de « Juste parmi les nations » pour avoir sauvé des Juifs pendant la 2e guerre mondiale. Il raconte que sa mère était arrivée à Marseille pour partir en Argentine. Robert Mencherini estime que : « Dans l’itinéraire des parents de Jean-pierre Foucault, on retrouve tous les éléments de se qui se déroulaient à Marseille. Les réfugiés, les mouvements des réseaux, le secours, le sauvetage, la première forme de résistance. » Il évoque alors le réseau « Combat » qui, à Marseille « a été le premier mouvement de résistance avec, en octobre 1940, Henri Frenay qui en a créé le premier manifeste. »

« La radio opposait deux idéologies »

Le rôle de la radio dans cette époque trouble est alors souligné. Jean-Pierre Foucault de rappeler son importance notamment à d’autres époques graves avec des guerres en Indochine, Algérie. « Lorsque mes parents écoutaient la radio, il fallait se taire et on regardait la radio. » Robert Mencherini parle de la guerre des ondes. « La radio opposait deux idéologies : Radio Paris contrôlé par Vichy et Radio Londres. » Dans les rapports de police, poursuit-il : « Il était d’ailleurs noté que telle personne écoutait la radio, surtout l’été quand les fenêtres étaient ouvertes, elle inondait la rue. » Cyril Brunet diffuse alors une autre forme de support d’information. Un documentaire de l’INA sur les actualités cinématographiques de cette époque : « Un nouvel exode où les jeunes, heureux, montrent l’exemple en aidant des personnes. » L’historien décrypte : « On met en valeur ici la solidarité, alors qu’il s’agit de gens chassés de chez eux. Les actualités cinématographiques étaient tenus par Vichy et les Nazis. Elles étaient bien souvent sifflés. Ils ont été obligés de les projeter dans des salles allumés pour surveiller le public. » Il met également en exergue « le ton pontifiant du journaliste qui commente le reportage ». « Il s’agit en fait, explique-t-il d’un speaker qui lisait les textes qu’on lui remettait. » Et à propos de la presse, « elle était contrôlée par Vichy mais il existait également la presse clandestine, un journal célèbre de la résistance émanant du réseau Combat ».
La mémoire est d’importance pour Jean-Pierre Foucault qui possède même « un bureau mémoire où tous les documents sont précieusement gardés, conservés. Et il n’y a que moi qui ait accès à ce bureau. » Cyril Brunet présente quelques images du film de Pascal Kané Je ne vous oublierai jamais : « 1941, Marseille. Le jeune Levilé espère encore, malgré la guerre, faire venir sa mère et ses sœurs de Pologne et organiser leur embarquement pour l’Argentine. »

« On venait à Marseille pour partir n’importe où »

Cyril Brunet de demander : « Si l’Argentine est alors une destination de prédilection ? » Robert Mencherini de répondre : « On venait à Marseille pour partir n’importe où. Les Amériques du Nord, Sud , l’Afrique du Nord et même l’Asie. Il fallait une multitude de papiers, un visa de sortie, puis donner des cautions en argent souvent. Ceux qui passaient au Portugal, devaient également montrer le billet du bateau parce que les Portugais ne voulaient pas les garder. Et enfin avoir le visa du pays d’accueil. »

Jean-Pierre Foucault intervient alors : « Si je comprends bien, les réfugiés sont partis en Argentine et, curieusement, les nazis ont choisi la même destination à la fin de la guerre. » Silence. Vient ensuite l’organisation des départs et le rôle des dockers et des marins du port. « Ils s’organisaient soit légalement, soit illégalement en affrétant des bateaux malgré une importante surveillance policière. » Jean-Pierre Foucault raconte : « Certains membres de la famille de ma mère ont utilisé ces réseaux à Marseille sauf sa sœur qui a préféré se réfugier avec ses enfants en Savoie.C’est là, qu’elle a été raflée mais ils ont laissé les enfants à la logeuse madame Patate. Mon père les a récupérés, les a baptisés pour les protéger et les a remis à madame Blanc à la Rose. Pendant deux ans, le jeune garçon grimpait chaque jour sur les grilles. Quand on lui demandait pourquoi il faisait cela ? Il disait : « J’attends ma maman… » Robert Mencherini revient sur les grandes figures de la résistance à Marseille. Une figure marquante de cette période, le journaliste américain Varian Fry. « Il connaissait bien le nazisme suite à un séjour en Allemagne. Il a ensuite été envoyé en France par Eleanor Roosevelt pour sauver les intellectuels et artistes français. Il les installait à l’hôtel « le Splendide », Boulevard d’Athènes, en lieu et place du CRDP. Il en a sauvé des milliers. On retrouve aussi un héros de la résistance Gilberto Bosques, consul général du Mexique à Marseille. Il a sauvé des Espagnols et « des indésirables » : les juifs. Il a été envoyé en Allemagne puis échangé contre des espions nazis. Un autre oublié le docteur Rodocanachi, mort en 1944 à Buchenwald, il avait un réseau qui s’occupait des pilotes britanniques abattus. Ils avaient comme lieu de repli, « la Mission de l’église écossaise » et enfin un autre grand résistant dont ne parle pas, Louis-Henri Nouveau. Il y avait également Jean Ballard qui dirigeait « Les cahiers du sud « . » Reste donc à savoir dans ce maelström, si l’on pouvait se procurer de faux papiers. « Ils étaient payants mais par exemple les consuls du Mexique ou de Tchécoslovaquie ne les faisaient pas payer. »

« La pègre a pris deux directions différentes. Certains ont rejoint la résistance et d’autres se sont mis au côté des nazis »

Jean-Pierre Foucault d’expliquer qu’il avait appris que son père était « également auteur de faux papiers ». Et, Marseille oblige en cette période, le rôle de la pègre. « Ces personnes étaient déjà dans l’illégalité, elles fournissait de faux papiers mais aussi de l’argent ». L’historien de préciser : « La pègre a pris deux directions différentes. Certains ont rejoint la résistance et d’autres se sont mis au côté des nazis. »

« La vraie culture était clandestine poursuivie par Vichy »

Dans le cadre de MP2013, Cyril Brunet interroge sur la culture entre 1940 et 1942. Robert Mencherini indique : « La vraie culture était clandestine poursuivie par Vichy et la culture officielle, importante, était nationale, pas révolutionnaire. De grandes fêtes ont été organisées au stade Vélodrome comme la célébration de Jeanne d’Arc ». La Mémoire toujours avec MP2013. Ulrich Fuchs, son directeur général adjoint a occupé les mêmes fonctions à Linz en 2009, ville autrichienne qui a été fortement marquée par le nazisme. Adolf Hitler voulait d’ailleurs en faire une « Capitale européenne de la culture ». Ulrich Fuchs a œuvré alors sur un travail de mémoire et a souhaité qu’il en aille de même à Marseille. « Nous avons essayé de programmer des projets sur la mémoire avec « Ici-Même » autour des lieux et aux archives municipales ; au Camp des milles avec une exposition notamment de Ferdinand Springer, peintre interné au Camp des Milles, des rencontres-débats en octobre sur la culture de l’Europe en exil à Marseille, sur le rôle de Varian Fry, Gilberto Boques. Il fallait travailler sur la mémoire pour les marseillais mais également les touristes.

Robert Mencherini de revenir sur « Ici-Même » – qui a fait l’objet d’un très bel ouvrage- « C’est 50 lieux avec des visuels et des petits textes. La vision de Marseille pendant la 2e guerre mondiale qui se poursuit aux archives municipales. On retrouve, entre autres, « Ici-Même » devant une boulangerie à la rue Paradis qui était le siège de la Gestapo. Devant l’ancien consulat du Mexique, cours Joseph-Thierry. Les traces ont commencé à s’effacer et les habitants nous ont appelés. » Évidemment le Camp des Milles est incontournable (lire ci-dessous). Il est rappelé qu’il existait des annexes du Camp des Milles à Marseille « où l’on mettait les femmes et les enfants. » Un petit reportage est diffusé sur le Camp des Milles où s’expriment des enfants qui réagissent à l’issue de cette visite.

La fierté que jean-Pierre Foucault éprouve à voir le nom de son père inscrit au Mémorial de Yad Vashem

Le volet pédagogique est important pour Jean-Pierre Foucault : « Afin que de génération en génération l’on sache, pour plus jamais ça. » Cyril Brunet l’interroge à propos de sa fille Virginie. « Vous a-t-elle posé des questions sur cette période ?» « Pas à moi, à ma mère mais les grands-parents, les parents ne parlent pas de cette période. Ma mère a préféré écrire un livre pour raconter ce qu’elle ne nous a jamais dit. Avec ma fille nous n’avons pas le même rapport à la mémoire, je garde des objets, fait des recherches, elle préfère garder tout cela dans sa tête. » Il tient aussi à souligner la fierté qu’il éprouve à voir le nom de son père inscrit au Mémorial de Yad Vashem. Et tous ces héros imposent une question : « Qu’aurions-nous fait à cette époque ? »

« Depuis longtemps, je défends ma ville »

Puis comme invité Jean-Pierre Foucault doit encore se dévoiler et parler de sa relation avec Marseille. « Depuis longtemps, je défends ma ville. Je souffre des clichés qu’elle subit. Un reportage sur Marseille c’est chaque fois les poissonnières mais la ville ne se réduit pas à cela, c’est aussi autre chose.Une cité qui travaille, intelligente, qui est à la pointe de la recherche en médecine, etc. » Vous habitez à Paris ? Ose avancer Cyril Brunet. La réponse ne se fait pas attendre. « Non, je travaille à Paris et depuis 49 ans, je reviens ici tous les week-ends. Marseille c’est un aimant. »

L’animateur poursuit : « Est-ce que l’image de Marseille a changé auprès des Parisiens avec MP2013 ?» « Un petit peu. Les journalistes parisiens ne peuvent pourtant pas s’empêcher de focaliser sur Marseille. Quand il y 600 meurtres en France et dix à Marseille, ils ne vont parler que de ceux-là. Et quand ils ne se déroulent pas à Marseille mais à la Ciotat par exemple, ils disent à côté de Marseille. » Vous n’essayez pas de les convaincre sur Marseille ? Renchérit Cyril Brunet. « Non, parce que ceux qui m’écoutent sont plus nombreux que ceux qui les lisent. »

Patricia MAILLE-CAIRE

Le Camp des Milles

Rappelons que le Camp des Milles est le seul grand camp français d’internement et de déportation encore intact et accessible au public. Il vit passer 10 000 internés de 38 nationalités dont de nombreux artistes et intellectuels comme Max Ernst ou Hans Bellmer, des hommes politiques, des journalistes… Son histoire témoigne des intolérances successives, xénophobe, idéologique et antisémite qui conduisirent à la déportation de plus de 2 000 hommes, femmes et enfants juifs depuis le Camp des Milles vers le camp d’extermination d’Auschwitz via Drancy .

Ils faisaient partie des 10 000 juifs de la zone dite « libre » qui, avant même l’occupation de cette zone, ont été livrés aux nazis par le gouvernement de Vichy, puis assassinés dans le cadre de la « Solution finale »

L’ambition du Site-Mémorial du Camp des Milles est de rappeler l’histoire tragique dont témoigne le camp des Milles et de s’appuyer sur l’histoire de la Shoah et d’autres génocides, pour présenter un « volet réflexif » inédit visant à renforcer la vigilance et la responsabilité du visiteur face aux menaces permanentes du racisme, de l’antisémitisme, de l’intolérance et du fanatisme. Contribuant ainsi hautement aux valeurs humanistes de respect, de dignité et de solidarité, il constitue, par les médiations utilisées, une réalisation pédagogique unique au monde sur un lieu de mémoire.

Les expositions permanentes du Site-Mémorial sont organisées sur 15 000m2 de bâti et 7 ha, selon le parcours muséographique suivant :

– Le Volet historique présente l’histoire des trois grandes périodes du Camp des Milles entre 1939 et 1942, replacé dans son contexte local, national et européen ; des bornes audiovisuelles reconstituent les destins individuels d’internés célèbres ou inconnus ; d’autres présentent le récit de témoins de cette époque.

– Le Volet mémoriel permet la visite, émouvante, des lieux historiques laissés en l’état. L’immense « four à tuiles » baptisé Die Katakombe par les internés qui en firent un lieu de création artistique constitue l’un des temps forts de la visite avec les espaces où s’entassaient les internés dans les étages.

– Le Volet réflexif présente, pour la première fois sur un lieu de mémoire, des connaissances scientifiques pluridisciplinaires qui permettent au visiteur de mieux comprendre les engrenages et les mécanismes humains récurrents (préjugés, passivité, soumission aveugle à l’autorité…) qui ont conduit et peuvent conduire au pire. Il s’agit ainsi de donner au visiteur des outils de réflexion sur la responsabilité de chacun dans une « montée des périls ».

Cette section « réflexive » se termine par un « Mur des actes justes », mur présentant la diversité des actes de sauvetage et de résistances aux quatre grands crimes à caractères génocidaires du XXe siècle, contre les Arméniens, les Juifs, les Tsiganes et les Tutsis au Rwanda. Un hommage, et une invitation à la responsabilité individuelle.

Le visiteur peut aussi visiter l’exposition nationale de Serge Klarsfeld sur les « 11 000 enfants juifs déportés de France à Auschwitz » réalisée par l’Association des fils et filles des déportés juifs de France. Il s’agit d’une collection exceptionnelle de documents rares présentée de manière permanente dans les lieux. Cette exposition prend un relief particulier alors que du camp des Milles furent déportés une centaine d’enfants à partir de l’âge de un an. Après sa sortie du bâtiment principal, le visiteur accède à une « Salle des peintures » où se trouvent d’immenses peintures murales colorées et ironiques, réalisées par les internés.

Le Chemin des Déportés, emprunté à l’été 1942 par plus de 2 000 hommes, femmes et enfants juifs conduit enfin au Wagon du Souvenir situé à l’endroit même du départ pour la déportation.

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