Marseille. Quand Richard Martin fête la fraternité au Toursky en incarnant sur scène la poésie de Léo Ferré

Publié le 27 septembre 2021 à  9h05 - Dernière mise à  jour le 1 novembre 2022 à  16h31

Léo Ferré possédait (pour reprendre le titre d’un de ses beaux textes) «La mémoire de la mer». Il entendait dans les flots rugissants la peine immense des hommes, l’espoir de partir s’embarquer sur un bateau ivre. Savait percevoir dans ses ses silences «comme un balancement maudit qui vous met le cœur, avec le sable qui se remonte un peu, comme les vieilles putes qui remontent leur peau, qui tirent la couverture ». Avec bien sur le goût des mots et l’amour de la musique « le poète n étant pas un régent de ses propriétés câlines», la poésie devant être partout, avec effervescence puisque dit-il :«Quand je me glisse dans le texte la vague me prend tout mon sang ». Léo Ferré avait donc la mémoire de l’eau et des phrases…

Richard Martin a célébré Léo Ferré avec panache, et humilité servi par des musiciens et un chef flamboyants. © Lotti Pix
Richard Martin a célébré Léo Ferré avec panache, et humilité servi par des musiciens et un chef flamboyants. © Lotti Pix

Et Richard Martin a pour sa part la mémoire… de Léo Ferré. Non seulement il fut l’un de ses amis proches, un camarade de combats politiques, un frère en anarchie poétique, mais un quasi modèle en écriture. Léo Ferré aimait le Théâtre Toursky qui le lui a bien rendu puisque une des salles du lieu répond au nom d’Espace Léo Ferré.

Avec constance, fidélité en ses idéaux de jeunesse Richard Martin n’a jamais abdiqué ses rêves de fraternité et mettant beaucoup d’oeuvre dans sa vie et de vie dans son œuvre, a rendu vivante au Toursky la mémoire du grand Léo. Connaissant tout «son» Léo Ferré par cœur, se nourrissant de ses vers en cas de tempête comme par temps calme, Richard Martin a donc ouvert la saison 2021-2022 du Toursky avec ce spectacle exceptionnel, hymne à la fraternité inscrit dans le cadre de la manifestation «Faites de la fraternité».

Seul en scène mais entouré des grands musiciens que sont les membres de l’Orchestre symphonique de Toulon, avec à leur tête Vincent Beer-Demander, à la générosité égale à la sienne, Richard Martin a offert (le mot n’est pas usurpé le concert était gratuit) «La mémoire de la mer» dans sa version intégrale, avec en cadeau supplémentaire le célèbre poème de Rimbaud « Le bateau ivre » si cher au cœur de Léo et dans lequel on entend
«Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.
J’étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m’ont laissé descendre où je voulais.
»

Encore une histoire de mer et de voyage à laquelle s’est rajoutée en fin de programme le tonitruant «Il n’y plus rien» qui datant pourtant de 1974 n’a pas pris (hélas) une ride et où Ferré clamait en substance : «Je suis un nègre blanc qui mange du cirage», et où notant : «A Marseille la sardine qui bouchait le port était bourrée d’héroïne, et les hommes-grenouilles n’en sont pas revenus», il préconisait : «Libérez les sardines, et y’aura plus de mareyeurs». Quand on vous dit que rien là n’a pris une ride…. Un texte puissant que Richard Martin qui n’a pas chanté Léo proposant des morceaux entiers de son œuvre poétique, l’a incarné physiquement avec une sobriété mêlée de grandeur. Pas de parlotte, de fioritures, d’effets de grandiloquence, pas de gras que du muscle et des élans du cœur. Un chef d’oeuvre qu’il s’est là encore approprié sans imiter le maître mais en éclairant par un jeu théâtral tous les mots et toutes les intentions cachées derrière. «Les mots, nous leur mettons des masques, un bâillon sur la tronche. A l’encyclopédie les mots ! Et nous partons avec nos cris ! Et voilà», a t-on pu entendre alors.

Direction musicale flamboyante de Vincent-Beer Demander

Pour la partie musicale confiée au chef Vincent Beer-Demander elle s’est fondue avec aisance, et virtuosité dans le jeu de Richard Martin, comédien hors normes et passeur de lumière féréenne ! A la tête de son orchestre de Toulon, le chef dont les partitions ne surlignent jamais les poèmes, donne à entendre le souffle d’une langue tripale, et où il est rappelé que «les poètes se promènent dans la tête des gens». Cette soirée qui fut aussi un appel réitéré aux responsables politiques de Marseille conviés à prendre soin de la Ville, s’acheva par des lancers de roses offertes d’abord à Richard Martin. La fraternité encore et toujours où dans le silence de Marseille il y eut pour parodier affectueusement Léo comme un enchantement fleuri donc qui nous « mit le cœur à l’heure ».

Richard…ça va !

Richard Martin, comédien hors normes et passeur de lumière © Lotti Pix
Richard Martin, comédien hors normes et passeur de lumière © Lotti Pix

« Les gens il conviendrait de les connaître que disponibles à certaines heures pâles de la nuit, près d’une machine à sous avec des problèmes d’hommes, simplement des problèmes de mélancolie», lançait Léo Ferré dans sa chanson Richard… dédiée à un autre Richard….Richard Marsan, en l’occurrence son ami et directeur artistique. On pourrait en reprendre les termes en précisant que Richard Martin est toujours disponible dans son théâtre Toursky (du nom d’un autre poète) et qu’il convient d’en rappeler l’humanisme et l’esprit fraternel de tous les instants.
Jean-Rémi BARLAND
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