Marseille – Rencontre avec Natalie Dessay qui a joué Zweig au Toursky et chantera Nougaro au Silo

Publié le 28 janvier 2020 à  19h16 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  13h46

Natalie Dessay dans
Natalie Dessay dans
Christophe Lidon ne sait pas rater un spectacle. En raison d’une intelligence intuitive et surtout par un respect profond des textes et des auteurs qu’il met en scène. Servant le théâtre, ce créateur, directeur du Cado d’Orléans, fait montre d’une humilité qui lui permet d’inventer des formes différentes à chaque production présentée. On notera également chez lui le souci de travailler en équipe avec des gens dont il se sent proche humainement, et qui partage ses visions du théâtre. Ainsi Michael Stampe, le dramaturge auteur du remarquable «L’art de Suzanne Brut » que l’on a vu dans le Off d’Avignon est régulièrement associé à ses projets. Ses textes originaux abordent des thèmes qui lui sont chers : la reconstruction de soi avec F-X, porté à la scène par Christophe Lidon avec Jérôme Pradon (L’Harmattan, 2012) et Le trône de Balthazar, les parcours initiatiques avec deux romans, La Licorne de Dürer, Bombyx, la pulsion de création avec le diptyque écrit pour le théâtre : L’art de Suzanne Brut et L’Échafaudage. Amoureux des mots, qu’ils soient du XVIIIe ou d’aujourd’hui, Michael Stampe a adapté de grands textes du Siècle des Lumières en veillant à donner, sans les trahir, une vision contemporaine de ces textes : La Serva amorosa de Goldoni, avec Robert Hirsch et Clémentine Célarié (moment magique au Gymnase de Marseille), L’Impresario de Smyrne du même Goldoni, mis en scène par Christophe Lidon avec Catherine Jacob, comme L’indigent Philosophe de Marivaux, avec Claude Brasseur. Il a également adapté Stefan Zweig pour la scène : Lettre d’une inconnue, avec Sarah Biasini et, très récemment «La légende d’une vie» avec Natalie Dessay et Macha Meril. Il a traduit et adapté des auteurs contemporains comme l’américain Lanie Robertson avec Peggy Guggenheim, femme face à son miroir, avec Stéphanie Bataille.

Pièce méconnue de Stefan Zweig

Écrite en 1919, et créée au Cado d’Orléans durant la saison 2017-2018 «La légende d’une vie» adaptée par Michael Stampe est une pièce méconnue de Stefan Zweig. On peut même dire jamais jouée dans cette version. On y croise un certain Friedrich Franck, (poignant Gaël Giraudeau), jeune auteur écrasé par l’image d’artiste de son père Karl Franck, aujourd’hui décédé. Élevé par sa mère Léonor (Natalie Dessay), qui a fabriqué cette légende, et redoute une remise en question de cette biographie idéale, il découvrira la vraie histoire de son père, au hasard d’un retour imprévu d’une femme qui a compté dans sa vie. Elle s’appelle Maria Folkenhof (Macha Méril), et détient quelques secrets de famille que Léonor, la veuve de Karl voudrait voir enfouis à jamais. Le combat entre les deux femmes qui s’achèvera dans une certaine forme de réconciliation tient lieu de nœud gordien de la pièce. «La gloire attire les gens et les gens attirent les ennuis. On ne peut y échapper», dira Hermann Bürstein (Bernard Alane) l’éditeur des œuvres de Karl franck, et biographe du grand Homme. Un élément à prendre en compte dans la reconstruction d’une vérité qui se dérobe. Sur scène Christophe Lidon joue avec la lumière, et les costumes. C’est tout simplement beau à voir, et d’une fluidité propice à montrer la subtilité du texte d’un Zweig spécialiste des âmes. Macha Méril bouleversante forme avec Natalie Dessay un duo plein de douleurs rentrées. La cantatrice à la voix d’or qui désormais se consacre au théâtre et à la chanson, grande actrice si il en est, souligne le rythme proposé par Michael Stampe qui, sans le trahir a élagué le texte en supprimant certains personnages. Natalie Dessay incarne une mère et une épouse secouée par la mort de son mari, et on retiendra la puissance de son jeu, la netteté de sa parole, la magie de ses silences. On sent qu’elle s’est fondue dans ce projet avec gourmandise et jubilation. Son duo avec Macha Méril (c’est elle qui a présenté Natalie à Christophe Lidon) tient du miracle. Présentée dans toute la France «La légende d’une vie» du trio Zweig-Stampe-Lidon a enthousiasmé les spectateurs marseillais présents au théâtre Toursky qui vient de l’accueillir. Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, ces mêmes Marseillais pourront retrouver Natalie Dessay le 8 avril prochain, (sur la scène du Silo cette fois) dans un concert qu’elle donnera autour de l’œuvre de Claude Nougaro.

Dessay chante Nougaro en CD et sur scène

«Claude Nougaro, je l’ai toujours admiré», explique Natalie Dessay. « J’ai participé à son album posthume « La note bleue ». Je ne voulais pas trop y toucher, et puis les choses se sont faites progressivement. Avec au bout ce CD « »Sur l’écran de mes nuits blanches » où le choix a porté sur des chansons qui me parlaient et que j’interprète de façon différente. Notamment « Toulouse », car je ne veux pas imiter Nougaro, et je souhaite donner ma part féminine dans ces chansons d’un homme». Quatorze titres au total dans l’album arrangé, réalisé et dirigé par Yvan Cassar présent également aux claviers. «La pluie fait des claquettes», «Regarde-moi », «Sa maison», moments très particuliers de l’album où le côté africain de Nougaro n’a pas été retenu nous touchent au cœur. C’est beau, c’est virtuose, et Natalie Dessay qui confie combien elle aurait aimé écrire ces chansons, (surtout «La vie en noir» sa préférée), admire en Nougaro son amour pour le jazz, et le maniement virtuose de la langue. Comme dans «Le coq et la pendule». Aimant les doublages de dessins animés, et les films d’animation, fascinée par «Les métamorphoses» d’Ovide, prompte à suivre un stage de clown, Natalie Dessay est une actrice complète, très à l’écoute des autres, et soucieuse de mêler dans son travail des moyens d’expression variés et des cultures différentes. Une femme de conviction et de combat, de liberté aussi. Que l’on aura plaisir à retrouver le 8 avril prochain au Silo de Marseille.
Jean-Rémi BARLAND

«La légende d’une vie» de Stefan Zweig. Version scénique de Michael Stampe est publiée aux éditions Diacres.138 pages – 12 €. Natalie Dessay chante Nougaro. «Sur l’écran de mes nuits blanches». CD Sony Music. En concert au Silo le 8 avril 2020 à 20h – 35 quai du Lazaret 13002 Marseille – Plus d’info et réservations cepacsilo-marseille.fr/fr

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