Marseille. Théâtre de la Criée. Rencontre avec l’acteur Youssouf Abi-Ayad, étincelant dans ‘Le ciel de Nantes’ de Christophe Honoré

Publié le 12 avril 2022 à  21h53 - Dernière mise à  jour le 4 novembre 2022 à  20h21

Et si Christophe Honoré avait trouvé en Youssouf Abi-Ayad son double en tant qu’acteur, comme ce fut le cas autrefois pour François Truffaut avec Jean-Pierre Léaud ? Déjà étincelant sur «Les idoles», la saga théâtrale que le metteur en scène donna à La Criée, ce comédien impressionnant de présence incarne justement Christophe Honoré en personne dans «Le ciel de Nantes».

Youssouf Abi-Ayad @Yann-Morrison
Youssouf Abi-Ayad @Yann-Morrison

«Le ciel de Nantes», une pièce poignante nourrie des souvenirs personnels de l’auteur qui évoque ici par fragments successifs l’histoire compliquée de sa famille…tourmentée. «Je n’ai pourtant pas l’impression de jouer Christophe Honoré, mais d’être un enfant, un ado, un adulte, qui présente son film. D’ailleurs, si on regarde bien le spectacle « Le ciel de Nantes » est davantage une pièce sur les gens autour de Christophe que sur lui. Je ne suis pas vraiment un personnage de la pièce, je me situe comme un témoin, un passeur, et le fait d’être pratiquement tout le temps sur le plateau renforce cette idée», explique Youssouf Abi-Ayad. Quant à sa manière d’aborder justement le plateau, il dit le faire avec la crainte «J’ai l’impression de la sentir quand je joue. Elle est créatrice d’exigence.» Et de porter alors le projet à l’unisson de ses camarades en refusant d’apparaître plus intelligent que son personnage.
Christophe Honoré et Youssouf Abi-Ayad répétition  Le Ciel De Nantes ®Jean Louis Fernandez
Christophe Honoré et Youssouf Abi-Ayad répétition Le Ciel De Nantes ®Jean Louis Fernandez

Humilité et rigueur en fait pour cette pièce choral qui prolonge le travail de Christophe Honoré sur «Les idoles», où l’auteur metteur en scène et réalisateur conçoit l’ensemble comme «un film imaginaire». Mais c’est finalement sur un plateau de théâtre aux allures de cinéma désaffecté qu’il le met en jeu. La famille, ressuscitée à l’appel de Christophe, vient pour assister à son film, qui aurait témoigné d’eux tous. Trois générations sont là. Odette, dite Mémé Kiki, veuve de guerre, a eu dix enfants, dont huit avec le père Puig. Parmi eux, Jacques, Claudie, Marie-Do. Sur fond d’histoire sociale, de luttes ouvrières, d’immigration, de guerre d’Algérie, de montée de l’extrême droite, l’intrigue entrelace six destins sur trois générations. Cinquante ans de non-dits et de comptes à régler. Beaucoup de souvenirs aussi, qu’on s’offre comme des cadeaux : matchs des “Canaris” à la télévision, mélodies de Sheila et Joe Dassin… Un portrait de famille où, le temps d’un spectacle, le besoin de parler aux êtres aimés s’exprime avec une tendresse déchirante. On retiendra le moment magique lorsque Chiara Mastroianni chante«Vanishing act» de Lou Reed. On saluera la performance des comédiens, et la manière dont Julien Honoré s’est emparé de la chanson d’Alex Beaupain «Les Yeux au ciel » interprété dans le film «Les chansons d’amour» par Louis Garel et qu’il chante avec un demi-ton de différence la rendant plus poignante encore.

Douceur et rage comme un personnage de Koltès

la compagnie
la compagnie

Artiste-poète, Youssouf Abi-Ayad, qui a créé sa troupe « La Compagnie des soirs » est metteur en scène lui-même notamment sur «La ferme des animaux» l’adaptation théâtrale d’après le roman de George Orwell joué en milieu rural en Normandie, -«c’est tellement beau d’aller dans ces lieux-là», dit-il- «Fantasmagories», performance ramassée, sur le langage et la parole instantanée pour trois interprètes et un court spectacle «Prélude de la trilogie Orestie-Là où les Dieux nous ont abandonnés» composé des pièces suivantes (créées à raison d’une par année) : Agamemnon, pièce de Sénèque, (Traduction Florence Dupont), Electre, pièce Sophocle, (Traduction de Jean et Mayotte Bollack) et Oreste : création originale d’après la pièce Oreste d’Euripide.

Si l’on devait définir sa manière de jouer on pourrait dire qu’il alterne comme un personnage de Koltès, dramaturge qu’il admire tant, douceur et rage. C’était très notable sur Shock Corridor (Marivaux) de Mathieu Bauer que l’on a pu voir à Paris puis en tournée à Marseille (sans lui cependant), ou le magnifique court-métrage «L’homme jetée» de Loïc Hobi, chef-d’œuvre d’esthétisme qui évoque les embruns, les ports, les îles, les départs sans retour et où il a le deuxième rôle principal.

Youssouf Abi-Ayad sur l'écran dans Le Ciel De Nantes ®Jean-Louis Fernandez
Youssouf Abi-Ayad sur l’écran dans Le Ciel De Nantes ®Jean-Louis Fernandez

Quant à la pièce «Le ciel de Nantes» où comme les autres comédiens il se fonde dans une chorégraphie assez réjouissante, Youssouf Abi-Ayad salue le travail d’improvisation exigé en amont par Christophe Honoré. «On ne savait rien de la pièce au départ et cet inconfort fut créatif, et porteur d’énergie.» Ce dont sous des allures nonchalantes, regorge un Youssouf Abi-Ayad qui fourmille de projets et que l’on verra prochainement au cinéma avec Kenza Fortas , Arturo Giusi, Saadia Bentaïeb, Zinedine Soualem, Lubna Azabal, et Zahia Deha dans le film «Saïd, Hadjira et Vincent» où il incarne Saïd le personnage principal.
Jean-Rémi BARLAND

Le texte de la pièce « Le ciel de Nantes » de Christophe Honoré est publié aux Éditions Les Solitaires Intempestifs – 120 pages – 15 €

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