Marseille. Théâtre des Bernardines. Benjamin Guillard dans ‘Le discours’ : performance d’acteur et texte tellurique

Publié le 16 novembre 2021 à  13h52 - Dernière mise à  jour le 2 novembre 2022 à  18h13

De Fabrice Caro, (Fabcaro, l’auteur de BD) on connaît «Le discours », le roman, le film et l’interprétation du livre en intégrale audio réalisée par Alain Chabat. Il y a désormais l’interprétation hallucinante, magistrale et inoubliable proposée par Benjamin Guillard, mis en scène pour l’aventure par son complice Emmanuel Noblet qu’il avait lui-même dirigé sur les planches dans « Réparer les vivants ».

Benjamin Guillard, metteur en scène, cinéaste auteur de courts métrages, et comédien virevoltant dans
Benjamin Guillard, metteur en scène, cinéaste auteur de courts métrages, et comédien virevoltant dans

Metteur en scène d’importance à qui l’on doit la direction toujours juste sur les planches de Pierre Palmade, Florent Marchet, Arnaud Cathrine, Damien et Renan Luce, François Morel dans «La nuit Satie», «Mes compliments», «La fin du monde est pour dimanche» d’Olivier Saladin dans «Ancien malade des hôpitaux de Paris» de Francesca Solleville et François Marthouret dans «Salut à Jean Ferrat» sans oublier Raphaël Personnaz, inoubliable dans «Vous n’aurez pas ma haine» de Antoine Leiris pour un des plus beaux émouvants spectacles avec Marc Arnaud dans «La métamorphose des cigognes» (un des événements du Off d’Avignon 2021). Benjamin Guillard est un comédien exceptionnel. Au cinéma chez Pascal Thomas, Laurent Tirard, ou Veraeghe, au théâtre dans «L’avare», «Fantasio», ou du Labiche, et maintenant avec «Le discours» où il crève les planches.

Il incarne ici Adrien, un timide hilarant qui vient de se faire quitter et subit un dîner en famille. Son cauchemar empire dès que son beau-frère lui demande de préparer quelques mots pour le mariage de sa sœur. Coincé entre les remarques de sa mère et les anecdotes de son père, entre le permafrost et le gratin dauphinois, Adrien tente d’imaginer des discours tous plus catastrophiques les uns que les autres alors qu’il n’attend qu’une chose : une réponse de Sonia à son texto de 17h24 qu’elle a lu à 17h56. Il faut dire qu’à 40 ans, Adrien est encore romantique et le monde l’est beaucoup moins que lui. Voilà pour l’intrigue qui tient dans la main et qui va nous régaler durant plus d’une heure, nous surprendre et nous subjuguer tant le propos décalé de Fabcaro oscille entre le burlesque et l’émotion.

«Famille je vous ai»

«Dans les repas de famille, par ma faute, nous avons toujours été un nombre impair à table. Je suis celui qui ne vient pas par deux, je ne suis qu’une moitié d’entité. Quand j’arrive, on jette un coup d’œil furtif par-dessus mon épaule pour vérifier qu’il n’en manque pas un morceau. Voilà : j’ai toujours été un impair. À cause de moi, on a du mal à couper le gâteau en succession de diamètres, il faut se creuser la tête, élaborer de savants calculs collectifs, mais après maintes interventions où chacun donne sa solution mathématique du partage, on en revient toujours aux diamètres, et reste toujours cette part dans l’assiette que personne ne veut, non pas par une sorte de code de politesse, mais parce qu’elle transpire une solitude dont on craint qu’elle ne soit contagieuse», lance notre Adrien un peu désabusé.

Du coup si l’on devait résumer l’ensemble générale de la pièce on dirait qu’il s’agit non pas d’un « famille je vous hais» cher à André Gide mais du plus prosaïque «famille je vous ai» lancé en contrepoint par Hervé Bazin. Dans une succession de scènes plus inattendues les unes que les autres, avec toujours l’attente du SMS réparateur, Benjamin Guillard fait passer un texte, mais multiplie aussi les mimiques interloquées, les regards lancés au public, le rendant ainsi complice de ses déboires verbaux et amoureux. Jamais il ne surjoue, ni n’en rajoute, il est Adrien, dans sa démesure et sa finitude. Emmanuel Noblet l’accompagne en offrant une mise en scène inventive qui s’abstient de toute paraphrase. C’est un spectacle haut de gamme, à voir aux Bernardines de Marseille du mardi 16 au samedi 27 novembre, là où fut créé «Moi et François Mitterrand» de Hervé Le Tellier., avec Olivier Broche dirigé là encore par un Benjamin Guillard inventif. Un «Discours» spectacle FABuleusement CAROtissimo of course!
Jean-Rémi BARLAND

Au Théâtre des Bernardines, de Marseille, du mardi 16 novembre au samedi 27 novembre. À 20heures. Sauf les mercredis 17 et 24 novembre à 19 heures.

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