Marseille. Théâtre des Bernardines. ‘Fragments’ de Hanna Arendt reconstitués avec puissance, limpidité et émotion

Publié le 9 mai 2023 à  18h54 - Dernière mise à  jour le 6 juin 2023 à  13h22

Sur scène une table et des chaises où sont conviés à venir s’installer les spectateurs. Sur le côté une pile de livres baignant dans des lumières chaudes. Puis Bérengère Warluzel traverse le plateau lentement portant des ouvrages et nous faisant pénétrer avec précision, dans le monde textuel de Hannah Arendt (1906-1975) philosophe juive-allemande exilée aux États-Unis pour fuir le nazisme.

Bérengère Warluzel incarne Hannah Harendt dans la mise en scène de Charles Berling. (Photo Nicolas Martinez/ Chateauvallon Liberté Scène Nationale)
Bérengère Warluzel incarne Hannah Harendt dans la mise en scène de Charles Berling. (Photo Nicolas Martinez/ Chateauvallon Liberté Scène Nationale)

Rendre accessible au plus grand nombre la pensée de cette intellectuelle aux engagements profondément politiques et humains, voilà le pari réussi par Charles Berling dans une mise en scène très musicale et picturale avec sur scène la comédienne Bérengère Warluzel qui incarne Hannah Arendt jusque dans les silences.

«Fragments» que les Aixois viennent d’applaudir au Bois de l’Aune et que les Marseillais pourront découvrir au théâtre des Bernardines du 9 au 13 mai ou redécouvrir s’ils l’ont déjà vu à La Criée, est un spectacle magnifique visuellement avec l’apport de peintures réalisées en direct et projetées sur un écran. La question centrale de cette pièce est «comment faire naître le désir de penser ?» qu’Hannah Arendt posa tout au long de son travail de philosophe. «Chaque être éprouve le besoin de penser», dit-elle. Mais ajoute-t-elle: «Pas de manière abstraite». Car pour elle: «Réfléchir c’est penser de manière critique.» La pièce érigeant comme le voulait l’auteure la culture et la faculté de réflexion au rang de besoins naturels et fondamentaux.

De l’incendie du Reichstag, survenu dans la nuit du 27 au 28 février 1933 à la découverte d’Auschwitz, moment décisif pour sa construction intime, nous voilà invités à marcher sur les pas d’Hannah Arendt. Avec deux choses soulignées avec force : la solidarité qui demeure indispensable entre les êtres, et l’amour d’autrui source d’action vers le bien, le vrai, le bon. Pas de catéchisme fût-il laïque ici mais un élan du cœur vers le cœur et l’esprit.

Partir du texte et du corps

Si «Fragments » demeure un miracle théâtral d’un bout à l’autre c’est bien sûr en raison de ce que le texte laisse entendre, bien entendu pour la puissance du jeu de Bérengère Warluzel, mais aussi pour la collaboration artistique de Christiane Cohendy et Faustine Guégan, la scénographie de Christian Fenouillet, les lumières de Marco Giusti, la conception des marionnettes que l’on doit à Stéphanie Slimani.

Et bien sûr pour la mise en scène de Charles Berling soucieux de ne pas cérébraliser le propos. Partant du texte, comme chaque fois qu’il donne à montrer une pièce, le faisant avec humilité, il signe ici un moment de partage où l’on part du corps humain pour mieux l’associer à l’esprit dans un mouvement dialectique limpide et surtout pas sombre et compliqué. Du coup avec Chopin en accompagnement musical pianistique nous voilà touchés au cœur et à l’esprit. Et de manière durable !
Jean-Rémi BARLAND

Au Théâtre des Bernardines du 9 au 13 mai à 20 heures. Sauf le mercredi 10 à 19h. Plus d’info et réservations les Bernardines

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