Marseille. « Traversée » exposition du peintre Veljko Vidak à la Criée jusqu’au 23 février

Publié le 8 février 2020 à  9h00 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  13h46

Tableau du peintre Veljko Vidak (Photo D.R.)
Tableau du peintre Veljko Vidak (Photo D.R.)
Le peintre Veljko Vidak dans son atelier ©Clement Vial
Le peintre Veljko Vidak dans son atelier ©Clement Vial
On entre dans le hall de La Criée et on est saisis. Sur les murs sont accrochés jusqu’au 23 février des tableaux pétris d’humanité et d’une beauté grave. Formant l’ensemble d’une exposition intitulée «Traversée». Tableaux qui sont le fruit du travail de Veljko Vidak, un artiste et réalisateur d’origine croate diplômé des Beaux-Arts de Zagreb. Si l’œil balaye la totalité de ce qui lui est proposé, il verra qu’on lui raconte une histoire en cinémascope, avec gros plans et arrêts sur images. Animée d’une dynamique dialectique l’expo présente chaque personnage peint comme objet et sujet d’une réflexion morale dans laquelle le visiteur est inclus. On s’en aperçoit vite Veljko Vidak n’est pas n’importe qui et surtout il ne produit pas n’importe quoi, réfléchissant en effet de manière philosophique à ce qu’il nous donne à admirer et surtout à comprendre. Ayant grandi dans un village de l’arrière-pays dalmate, partageant son temps entre l’école et le travail des terres familiales, il a 17 ans lorsque la guerre éclate en ex-Yougoslavie, et qu’il assiste au recrutement dans l’armée de son frère aîné, enrôlé avec beaucoup d’autres jeunes hommes de sa génération. Pendant le conflit, Veljko parvient à s’inscrire et à suivre des cours à la Faculté d’histoire de Zagreb tout en se préparant au concours des Beaux-Arts où il est reçu avec quinze autres étudiants dans le département Peinture. Cinéphile depuis son plus jeune âge, il passe également beaucoup de temps à la Cinémathèque de Zagreb. En 2004, il reçoit une bourse de la Société des Artistes Croates qui lui permet de partir à Paris. Là, il découvre les chefs -d’œuvre de la peinture qu’il ne connaissait jusque-là que dans ses livres d’art en Croatie. Fasciné par le bouillonnement culturel de cette ville et émerveillé par ses rues qu’il n’avait visitées que dans les films, il choisit de s’installer en France de manière permanente. En 2009, il part à Berlin où il collabore avec des collectifs d’artistes et confronte son travail à d’autres médiums. Durant cette période berlinoise, il se consacre à l’art vidéo et réalise des pièces abordant les thèmes du subconscient et de l’Histoire. À son retour à Paris, il décide d’approfondir ses connaissances des techniques cinématographiques et entame un master de réalisation. Puis il tourne ses premiers courts métrages. Profondément marqué par la guerre en Croatie, Veljko Vidak consacre plusieurs séries de tableaux à ce conflit. Ses grandes toiles figuratives racontent l’histoire de son expérience de la guerre, des idéologies déchues et du déracinement. Il poursuit ses réflexions dans ses films dans lesquels des personnages solitaires sont en proie à des questionnements sur l’identité, les souvenirs et le fait d’être un étranger. Dans le cinéma, comme dans la peinture, Veljko Vidak rythme l’écran avec les couleurs et la composition organique de ses plans. Les spectateurs sont plongés au cœur de l’expérience intérieure des figures et des personnages. Depuis 2014, il collabore avec le festival de cinéma Subversive de Zagreb en tant que conseiller artistique. Il termine actuellement son premier long métrage.

Ses œuvres voyagent dans le monde entier

Tableau du peintre Veljko Vidak (Photo D.R.)
Tableau du peintre Veljko Vidak (Photo D.R.)

Après des années d’un travail acharné, il expose régulièrement à Paris, ses œuvres voyageant dans le monde entier. Et c’est tout l’enjeu de son travail que de prolonger son art plastique d’une critique très ferme et sans complaisance de la société d’aujourd’hui. «Traversée» dit le titre de son exposition. Velijko Vidak pose ses pinceaux sur les rives opposées de la Méditerranée et questionne cet espace assombri par les catastrophes humanitaires. On observe alors un personnage qui lui-même regarde au loin…des fragments de désespoir en fait, des éclats de guerre, des résidus de vies concassées par les hommes de pouvoir, ivres de totalitarisme. Mais ce n’est pas le drame en lui-même qui est peint ici mais le paysage qui contient le drame. La nature qui nous fait face raconte l’absence, la disparition et alerte sur le désastre en approche, silencieux et sans fin. « Pour les Romantiques, la nature était l’espace absolu du divin, de l’idéalisme magique dont le peintre révélait les forces invisibles et l’implacable beauté. Dans ses tableaux en champ-contrechamps, Veljko Vidak emprunte la voie du paysage aux Romantiques, mais loin de l’idéaliser, il questionne le regard que l’on porte sur lui. « Traversée » devient plongée dans le processus de création de l’artiste. L’espoir fait place au drame, la Méditerranée, vaste étendue-frontière gonflée de douleur, ne cesse de s’agiter. La mer se raccroche au ciel dans un accès de survie, les éléments se mêlent et se durcissent sous le poids de la tragédie contemporaine et les Hommes sondent les éléments dans l’espoir ultime d’y trouver l’humain», est-il précisé… Le bleu des tableaux est celui des bleus à l’âme et des coups reçus. De la Mer aussi, celle qui permet la fuite, mais qui engloutit les vivants. Celle qui célèbre l’idée de profondeur. Il y a un côté hugolien dans les tableaux de Veljko Vidak, les migrants qui apparaissent ici sont des êtres dépecés de leur intégrité, de leur identité, et à qui on aimerait tendre la main. Mais ce sont aussi des figures fantasmagoriques, des djinns attendant l’accalmie, redoutant la chute et suscitant l’empathie. Invitant chacun à comprendre et à s’émouvoir sans pathos. Artiste humaniste qui expose pour la première fois à Marseille, Veljko Vidak a trouvé en Macha Makeïeff la patronne de la Criée un œil qui écoute et une oreille qui voit. Qui perçoit même ce que l’artiste-peintre a de singulier dans le monde moderne. Le côté intemporel de son travail également. Et en ouvrant ses portes à «Traversée», exposition libre d’accès jusqu’au 23 février, de montrer que la beauté des œuvres ne se confond pas avec la gravité de leur propos, et que tout engagement esthétique doit avant tout tourner le dos au seul appât du gain, célébrant «le vrai, le sublime et le bien». Ce que réalise parfaitement Veljko Vidak, philosophe du pinceau qui travaille autant en peintre qu’en cinéaste. Une expo puissante et salutaire.
Jean-Rémi BARLAND
« Traversée » exposition de Veljko Vidak jusqu’au 23 février 2020. Hall du Théâtre de La Criée – 30 Quai de Rive-Neuve, 13007 Marseille – Plus d’info: theatre-lacriee.com

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