Marseille. Un forum pour dire Non à la violence dans les quartiers

Publié le 13 février 2023 à  21h19 - Dernière mise à  jour le 7 juin 2023 à  22h16

«Je suis morte à l’intérieur». La phrase, glaçante, de Karima Meziene claque comme un fouet dans la salle de la cité des associations où se tient le forum sur la «situation d’urgence dans nos quartiers». Cette avocate a perdu son frère, assassiné dans les quartiers Nord en 2016. Elle a dû annoncer le drame à sa mère et ne se remet pas de ce jour sombre. Les témoignages des sœurs, tantes, pères ou mères se succèdent avec la même charge de douleurs.

Des membres de familles de victimes sont intervenus  (Photo Joël Barcy)
Des membres de familles de victimes sont intervenus (Photo Joël Barcy)
Un public venu en nombre a participé à ce forum  (Photo Joël Barcy)
Un public venu en nombre a participé à ce forum (Photo Joël Barcy)

« Une vie est si peu cher »

Les témoignages des familles des victimes ont été enregistrés ou s’effectuent devant le public. Toutes veulent bannir le mot règlement de compte. «Une vie est une vie, quel que soit son passif, personne n’a le droit d’ôter la vie à quelqu’un». Toutes réclament que la justice passe, que les condamnations des assassins tombent. « Mes trois enfants sont nés polytraumatisés», tonne Hayat Atia, conseillère municipale d’opposition au sein d’une mairie de secteur, les 13/14, dont la majorité est LR . «Mon mari a été abattu de 37 balles dans la tête. Mon frère a été éventré à la kalachnikov, le compagnon avec qui j’avais refait ma vie tombera lui aussi sous les balles. J’en ai marre d’entendre parler des gens qui ne comprennent pas ce qu’on a vécu et ce qui s’y passe». «Aujourd’hui on dit stop, qu’est-ce qu’on fait ? Comment vous nous aidez ? », interroge Halima Boucetta, conseillère en insertion professionnelle et présidente de l’association Alehan. «Quand le minot de 9 ans n’est pas l’école, qu’il se balade avec un ado de 14 ans ça pose des questions non ? Il faut travailler en amont, ne pas attendre de le retrouver plus tard dans un cercueil ».

« Travail en silos »

Ce forum à l’initiative des mères de familles des quartiers a le mérite d’ouvrir des perspectives. Toutes les composantes sont réunies : politiques, policier, magistrats, acteurs sociaux et familles. Le constat est partout le même. «La situation s’est vraiment dégradée en termes d’âge des délinquants, de mise en danger », indique Eric Mangin, juge des enfants. «On va « jober », on va trafiquer et il n’ y a pas d’autres solutions. Il y a une sorte de désespoir, de fatalisme. Il y a pourtant beaucoup de bonne volonté. Nous, on essaie d’intervenir mais il y a ce problème de pont social qui ne se fait pas nécessairement, chacun a son process. Souvent on fait des actions en direction des publics en difficultés, on va dans les maisons de quartiers mais ce sont toujours les personnes concernées, les travailleurs sociaux qui répondent. Là, si la demande part du terrain je pense que ça peut créer un lien différent. Si nous sommes là ce soir c’est la démonstration que nous sommes aux côtés de ces mères de familles».

« On est à bout »

Nadia est travailleuse sociale, elle dénonce la situation dans les quartiers «On a aucun moyen pour travailler. On nous empêche même de travailler je dirai. On n’a pas besoin de la création de cellules de veille. Cela nous éloigne en fait des vrais besoins. On a besoin de sécurité, d’accès aux soins. Il y a trop de stigmatisation dans les discours politiques. On manque surtout de moyens. On ne peut rien attendre des politiques, il faut vraiment que les populations se mobilisent».

«On a espoir que ça bouge »

«On est contentes de cette mobilisation, c’est un grand pas de fait. J’espère qu’on pourra construire ensemble un vrai projet solide», conclut Karima Meziene, membre de l’association Alehan. «On avait des élus, des institutions, des familles, ça réconforte, cela montre qu’on commence à prendre conscience des difficultés des quartiers. Nous, on va continuer à construire avec notre projet de loi de renforcer le statut des victimes et de donner la priorisation dans l’élucidation des assassinats. On veut donner un statut aux familles avec un suivi psychologique, un droit au relogement immédiat et ne plus les laisser sur le bord de la route». Hayat Atia espère aussi que ce forum débouchera sur quelque chose. « Il faut vraiment mettre le holà. Il y a un durcissement des mentalités chez les jeunes, une « favelisation » inspirée de l’Amérique latine. Si on ne bouge pas où en sera-t-on dans 10 ans. Là ce sont les mères qui parlent, pas les politiques donc j’ai un infime espoir que ça bouge». Une chose est sûre, il y a urgence. Avec 33 morts, l’année 2022 a enregistré le plus grand nombre de victimes de règlements de comptes et 2023 connait déjà des morts et blessés graves. Des ponts ont été construits lors de ce forum il reste à les emprunter. Reportage Joël BARCY

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