Marseille. Vibrant plaidoyer des avocats et du monde économique pour une justice en centre-ville

Publié le 20 avril 2023 à  11h42 - Dernière mise à  jour le 6 juin 2023 à  17h24

Sans concertation, le dossier de la création d’une cité judiciaire au sein du périmètre d’Euromed, conduirait à la disparition du Palais de Justice dans le centre ville de Marseille. Les mondes juridique et économique ne l’entendent pas ainsi. Ils dénoncent la méthode et dévoilent les résultats de l’étude «Estimation de la consommation commerciale, en lien avec le Palais de justice de Marseille», réalisée par la CCI métropolitaine Aix-Marseille-Provence à la demande du Barreau de Marseille.

Avocats et monde économqiue unis pour défendre la place du Palais de justice en centre-ville (Photo Sophie Vernet)
Avocats et monde économqiue unis pour défendre la place du Palais de justice en centre-ville (Photo Sophie Vernet)

Situation rare ce 19 avril au Palais de la Bourse de Marseille lors de la conférence de presse commune organisée par Jean-Luc Chauvin, président de la CCI Aix-Marseille Provence et Mathieu Jacquier, Bâtonnier du Barreau de Marseille: une salle comble d’avocats en robe et de représentants du monde économique, qui ont affiché leur volonté de voir la Cité Judiciaire rester dans le centre-ville de Marseille. Au-delà des enjeux économiques Me Michel Pezet dénonce les dérives d’une Justice quittant la ville pour «s’enfermer dans une tour». Enjeu, symbole d’autant plus grands que ce transfert touche la plus vieille ville de France, fondée par les Grecs, ceux-là mêmes qui ont établi une justice au cœur de la Cité, une justice dans laquelle un citoyen est jugé par des citoyens, principe de nos jurys actuels.

Face à l’absence d’études, la CCIAMP, à la demande du Barreau de Marseille, a présenté l’estimation de la consommation commerciale en lien avec le Palais de justice de Marseille. Le poids de l’activité judiciaire en centre-ville est de 18,4 M€ par an. Forts de cette étude le barreau de Marseille et le patronat réclament, sous l’égide de la Préfecture de Région, une réunion qui regrouperait tous les acteurs au rang desquels la ville de Marseille, les professionnels du droit et les associations concernées.

«Une telle décision ne peut se prendre seulement à Paris»

Jean-Luc Chauvin entouré du bâtonnier Mathieu Jacquier et des représentants des associations de commerçants du centre-ville  (Photo Sophie Vernet)
Jean-Luc Chauvin entouré du bâtonnier Mathieu Jacquier et des représentants des associations de commerçants du centre-ville (Photo Sophie Vernet)

Jean-Luc Chauvin plante le décor: «On ne peut pas accepter que la décision de voir la Justice quitter la centre-ville de Marseille -pour une « cité » de 40 000m² dans Euromed- soit imposée sans concertation, sans d’autres études». Il Juge : «C’est l’avenir de Marseille qui se joue ici. Une telle décision ne peut se prendre seulement à Paris et ne peut se prendre sans la population qui est attachée à ce que la justice reste en centre ville. Elle doit se faire avec ceux qui vivent ici, qui travaillent ici, consomment ici…». Jean-Luc Chauvin rappelle: «Les commerçants du centre-ville ont subi les gilets jaunes, la Covid, les travaux nécessaires mais impactants d’embellissement et on veut maintenant enlever un facteur d’attractivité du centre-ville». Pour lui «Il est encore temps de se réunir, de mettre en place un vrai groupe de travail».

«Nous avons déjà eu le transfert du conseil départemental des Bouches-du-Rhône de la Préfecture à Saint-Just»

Le président de la CCIAMP s’insurge: «Que l’on ne vienne pas nous dire que ce transfert permettra de développer l’activité dans un autre quartier. Nous sommes bien placés ici pour le savoir puisque nous avons eu le transfert du Conseil départemental des Bouches-du-Rhône de la Préfecture à Saint-Just. Les commerces de proximité avancent avoir perdu 25% de leur chiffre d’affaires qu’ils n’ont jamais retrouvé et sans que cela ait contribué à apporter un plus au quartier Saint-Just». Il considère que «cette décision va contre la volonté de l’État avec lequel nous travaillons pour développer les centres-villes»

Jean-Luc Chauvin indique: «Nous avons écrit à la Première ministre sur ce point, sans réponse jusqu’à maintenant. Pourtant ce projet va à l’encontre d’une autre dimension de l’action du gouvernement: le respect de l’environnement qui se traduit notamment par la volonté de construire la ville sur la ville. Alors il faut croire que le gouvernement fixe des règles aux autres dont il s’affranchit. Pour notre part nous proposons une concertation et un concours d’architecte pour avoir un geste fort en centre-ville».

«En 2017 des représentants de la Justice sont venus voir la CCIAMP»

«Certains, poursuit-il, osent dire que ce n’est pas possible d’attendre car nous risquons de perdre des années. Mais enfin, ce dossier ne date pas d’hier. En 2017 des représentants de la Justice sont venus voir la CCI pour des locaux, sans suite. Et maintenant on nous parle de deux ans. C’est quoi deux ans pour un tel projet qui est appelé à durer des centaines d’années». Jean-Luc Chauvin rappelle que le pays connaît des mouvements depuis trois mois et considère que «le gouvernement ferait bien de changer de méthode, de ne pas recréer le même schéma».

«L’intérêt de Marseille est en jeu»

Pour le Bâtonnier Mathieu Jacquier : «L’intérêt de Marseille est en jeu et nous sommes face à un dossier où le Ministère parle de 40 000 m², pourquoi ? A partir de quelles études? Est-ce que l’on prend en compte les nouvelles méthodes de travail qui se sont développées avec la Covid? ». Il déplore à son tour l’absence de concertation. «Nous, nous avons les commerçants, les CIQ qui nous disent être inquiets pour l’avenir du centre-ville». Signale: «Nous avons contacté les magistrats, les greffiers, ils n’ont pas pu répondre à l’étude sur l’impact du Palais de justice, ils ne sont pas avec nous aujourd’hui, c’est bien dommage».

« L’intérêt général ne peut être sectoriel»

Il évoque sa rencontre avec le ministre de la Justice en tête à tête. «J’ai vite compris qu’il n’était pas là pour écouter mais pour vendre son projet. Et lorsque je lui ai adressé une lettre relatant notre entrevue afin qu’il la valide avant que je la transmette à mes confrères, il ne m’a toujours pas répondu. Je n’ai donc toujours pas de déclaration officielle du Ministre sur ce dossier… Mais nous avons eu une réaction de la magistrature évoquant l’intérêt général de la justice. Pour moi, il n’y a que l’intérêt général tout court, l’intérêt général ne peut être sectoriel». Il ajoute: «Et il faut rappeler que les magistrats ne sont là que pour cinq ans dans le cadre de leur carrière quand un avocat peut être là pendant plus de 30 ans».

«18,3 M€ par an de dépenses»

Il revient à Christophe Lowezanin de présenter l’étude « Estimation de la consommation commerciale, en lien avec le Palais de justice de Marseille » pour laquelle on arrive à 18,3 M€ par an de dépenses estimées par les professionnels du droit situés à moins de 10 minutes à pied du Palais de justice. Il explique: «Nous avons fait une estimation de la dépense réalisée localement par les salariés du Palais de justice et les avocats en semaine, pendant la pause méridienne et avant/après la journée de travail à partir d’indicateurs statistiques. Puis nous l’avons affinée en exploitant les résultats de l’enquête diffusée par le barreau de Marseille entre le 3 mars et le 13 mars 2023 auprès de 852 avocats du centre-ville. Concernant les magistrats et les greffiers, qui n’ont pas répondu, nous nous sommes appuyés sur des études nationales».

7 avocats sur 10 sont actuellement localisés à moins de 10 minutes à pied du Palais de justice

Il précise: «Nous n’avons pris aucun risque dans l’étude et, je pense que l’impact financier est encore plus fort que le résultat auquel nous sommes parvenus». Ceci précisé Christophe Lowezanin dévoile: «Sur la base du recensement réalisé par la CCIAMP sur les commerces du centre-ville on dénombre 180 commerces à moins de 3 minutes à pied du Palais Monthyon, 580 commerces à moins de 5 minutes à pied du Palais Monthyon, 1 780 commerces à moins de 10 minutes à pied du Palais Monthyon». Un fort tissu à mettre en rapport avec le nombre d’avocats: «7 avocats sur 10 inscrits au barreau de Marseille sont actuellement localisés à moins de 10 minutes à pied du Palais de justice». On compte 600 emplois directs -magistrats, greffiers, agents- 1 890 avocats, à moins de 10 minutes à pied du Palais Monthyon ainsi que les 1 320 salariés estimés; soit plus de 3 800 consommateurs, hors justiciables.

Un achat commercial moyen de 19,1€ pour le repas de la pause méridienne

La répartition des dépenses estimées de restauration est ainsi de 390 000 repas/an avec un achat commercial moyen de 19,1€ pour le repas de la pause méridienne donnent une dépense annuelle de 7,4M€. Les seules dépenses estimées des avocats de la zone d’étude en achat de restauration pendant la pause méridienne sont estimées à 5,7 M€/an. «Les dépenses des avocats sont celles de CSP + puisque la moyenne nationale n’est que de 11 euros».

Concernant les dépenses dans les autres commerces, la somme est estimée à hauteur de 10,9M€ par an. «Pour les avocats, l’estimation est basée sur l’enquête réalisée par le barreau de Marseille. Pour les autres publics, on considère que 20% des achats commerciaux sont réalisés à proximité du lieu de travail». L’ensemble de ces dépenses représenterait à minima 15% des dépenses effectués dans ce secteur.

Pour Bernard Marty, Umih (Union des métiers et des industries de l’hôtellerie) : «Le départ de la cité judiciaire du centre-ville serait un nouveau coup dur alors nous serons à vos côtés parce que vous êtes nos clients pour ce qui sera soit une concertation, soit un combat». Pour Guillaume Sicard, président de la Fédération Marseille Centre: «Nous sommes des petits commerçants, nous vivons grâce aux gens qui habitent le quartier, ceux qui y travaillent et un peu sur le tourisme. Si un élément est défaillant nous nous cassons la gueule alors nous vivons cela comme un coup de couteau dans le dos de l’État ».

«Marseille est toujours rebelle»

Nicole Richard-Verspieren, représentant Corinne Innesti, la présidente de la CPME 13, avoue à son tour son inquiétude: «Qu’est-ce que le Ministère a pu inventer? Pourquoi? Comment?». Elle ajoute: «Marseille est toujours rebelle. C’est à vous gens de Justice de nous montrer l’exemple, le monde économique sera derrière vous». Philippe Korcia, le président de l’UPE13 interroge pour sa part: «Pourquoi veut-on détruire quelque chose qui marche bien au profit de quelque chose qui marchera moins bien?». Il poursuit: «Vous devez rester en centre-ville pour y parvenir soit il y a la concertation soit des pratiques plus virulentes. Comme il se peut que ce dossier soit déjà entériné il va falloir vous mobiliser avec force, avec véhémence. Et comme nous aimons le combat, lutter contre les injustices, nous serons avec vous et s’il le faut nous monterons à Paris».

Le bâtonnier reprend: «Au-delà de l’emplacement nous voulons aussi être associé à l’architecture du bâtiment. On ne veut pas avoir une situation telle celle de Paris où les magistrats ne prennent même pas les mêmes couloirs que les avocats». Et de conclure: «Nous allons voir maintenant comment le ministère réagit après cette conférence et les avocats décideront alors des modalités d’actions».
Michel CAIRE

[(Me Michel Pezet: «Si aujourd’hui je viens en robe d’avocat…»
Me Michel Pezet est intervenu pour indiquer qu’il était normal que les avocats soient présents pour un dossier concernant le déplacement du Palais de Justice. Il ajoute: «Si je suis venu avec ma robe d’avocat ce n’est pas en tant que propriétaire de mon cabinet, c’est pour parler de justice. Et, d’abord qu’est-ce qu’une cité judiciaire? Une cité c’est une ville et le Palais de Justice est dans la Ville». Alors pour lui la question à se poser est «Pourquoi la justice quitte-t-elle la ville? Pourquoi aller à l’extérieur, dans une tour. Pourquoi se confiner dans une tour ? C’est un enfermement de la justice alors qu’elle doit être ouverte. Pourquoi tant de mètres carrés au moment où on nous dit qu’il faut de la conciliation, qu’il ne faut pas venir au Palais, qu’un président de cour explique qu’un procès c’est frustrant. Mais enfin la disparition de l’acte de vouloir juger est dramatique. Et quitter la ville c’est cloisonner, fermer, c’est exclure le justiciable de l’acte de justice. L’idée d’enfermer la justice dans une tour est insupportable»
M.C.)]

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