Marseille : les rencontres d’Averroès invitent à penser la Méditerranée au XXIe siècle

Publié le 4 novembre 2013 à  22h51 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  16h26

Présentation de la 20e édition des Rencontres d'Averroès à l'EspaceCulture
Présentation de la 20e édition des Rencontres d’Averroès à l’EspaceCulture
Le hasard, parfois, peut très bien faire les choses, le fait que les Rencontres d’Averroès célèbrent leur 20e anniversaire en est une expression. Tant cette manifestation ne cesse de prendre de l’importance, dans la ville et hors la ville dirait-on en d’autres lieux. A tel point qu’elle a contribué à construire la candidature de Marseille-Provence 2013. Vingt ans, et l’histoire ne fait que commencer puisque, en cette année capitale, les Rencontres invitent, du 28 novembre au 1er décembre, à « Penser la Méditerranée au XXIe siècle » dans une manifestation, MP2013 oblige, plus riche et plus condensée, cinq tables rondes sont, en effet, proposées cette année et elles seront précédées, une nouveauté, de conférences.
Bernard Jacquier, président de l’EspaceCulture, se remémore 20 ans de Rencontres, profite de l’occasion pour remercier Jean-Claude Gaudin, le sénateur-maire de Marseille, pour son soutien à l’Espace et aux Rencontres. Rend hommage à Thierry Fabre, créateur et concepteur des Rencontres : « Il a su tout au long des années, élaborer les problématiques, les articuler entre mise en perspective et lien avec l’actualité ». Il met aussi en exergue le travail accompli par les équipes de l’EspaceCulture avant de noter : « Tous les ans, nous sommes partis à la conquête d’un nouveau public, créant le programme « Sous le signe d’Averroès »puis le dispositif « Averroès junior » ». Avec ce parcours, il indique : « Nous avons appris l’humilité. Les schémas stéréotypés perdurent malgré les Rencontres, malgré l’intérêt porté aux enjeux méditerranéens à l’occasion de la Capitale européenne. Il n’y a pas de retour sur investissement dans ce type d’action. Il y a seulement des encouragements, des expériences, des témoignages qui nous conduisent à poursuivre ce projet dans ses différentes facettes, articulées et forcément complémentaires ».

« Nous avons le devoir d’apprendre à la jeunesse le débat méditerranéen »

Tandis que Daniel Hermann, adjoint à la Culture de Marseille considère que les Rencontres, outre le fait d’être un temps fort de la vie culturelle marseillaise sont aussi un grand moment de bonheur.
Thierry Fabre insiste, en premier lieu, sur l’importance d’Averroès junior : « Plus de 3 000 jeunes ont été touchés par ce dispositif l’an dernier. C’est une très grosse opération tant nous avons le devoir d’apprendre à la jeunesse le débat méditerranéen, de lui apprendre à écouter, comprendre, respecter l’Autre. Et puis, notre opération a aidé à organiser des Rencontres à Alger, Cordoue, Beyrouth, Montréal sans oublier Rabat qui en sont déjà à leur quatrième édition ».
Mais point question de triomphalisme : « Nous devons persévérer, continuer à penser la Méditerranée, le regard de l’Autre ».
Un Thierry Fabre qui se rappelle de Christian Poitevin, adjoint à la culture de Robert Vigouroux, alors Maire de Marseille : « Lorsque nous lui avons proposé la tenue des premières Rencontres il nous a répondu : « on le fait et s’il y a cinquante personnes ce sera bien ». Le Théâtre des Bernardines nous a accueillis et la salle était pleine, une partie du public était même sur la scène et il y avait autant de monde dehors que dedans. Nous avons eu là le sentiment de ce qu’allait devenir les Rencontres : une université populaire ».
Cette Méditerranée du XXIe siècle sera mise en débat à partir de 5 grandes questions: la mémoire et l’héritage culturel ; la Méditerranée elle-même, comme échelle de pensée et de compréhension du monde; la question du féminin et du masculin et des relations complexes entre femmes et hommes; la guerre et la paix ; la création et les artistes dans la cité.
Alain de Libera, professeur au Collège de France est l’un des fondateurs des Rencontres auxquelles il a, à plusieurs reprises, participé. Il donnera la conférence inaugurale de l’édition 2013 le 28 novembre à 18 heures, son propos portera sur « Athènes, Cordoue, Jérusalem. Héritage partagé ou dénié ? ».
Il interviendra le lendemain, à partir de 10 heures, à la première table ronde sur « Mémoires et transmission des héritages culturels ».
Bernard Latarjet, qui a porté la candidature de Marseille-Provence 2013, à propos de cette édition, note : « Nous avons essayé de donner une dimension exceptionnelle à cet événement ». Puis de se remémorer : « En arrivant à Marseille en octobre 2006, une de mes premières rencontres pour préparer la candidature a été Thierry Fabre car j’avais la conviction que celle-ci devait être méditerranéenne, que la réflexion sur les enjeux méditerranéen était un facteur de la réussite de Marseille-Provence 2013 et nous avons eu raison ».
MP2013 a apporté un souffle supplémentaire pour que cette manifestation aille plus loin. Et il y a urgence. Thierry Fabre indique : « Lorsque les Rencontres se sont créées nous attendions la paix, il y avait Oslo, Madrid, Barcelone… Aujourd’hui nous sommes devant la guerre : Syrie, Libye, Égypte. La situation est complexe en Tunisie, tendue en Algérie, pas aussi sereine que l’on pourrait le croire au Maroc. La Grèce est quasiment en guerre économique, l’Italie et l’Espagne sont extrêmement fragilisés, la France dans l’incertitude ».

« Ce n’est pas à une crise mais à un changement de monde auquel nous sommes confrontés »

Il juge : « Ce n’est pas à une crise mais à un changement de monde auquel nous sommes confrontés. Il faut nous y préparer, le penser, car, comme disait Hannah Arendt :  » Les hommes qui ne pensent pas sont comme des somnambules », et bien c’est contre le somnambulisme que nous avons créé les Rencontres. Le contexte actuel laisse à penser que le temps de la confrontation et de la détestation est peut-être en train de renaître. La Méditerranée ne fait plus rêver, elle fait plutôt penser à un grand cimetière marin ».
La pensée, plus que jamais, est nécessaire, tout comme l’échange, l’écoute. « Marseille a le génie de la tchatche. Se parler c’est ne pas se tuer. Et les étrangers sont éberlués. Plus de 1 000 personnes qui écoutent avant de poser des questions, ils sont impressionnés. D’autant que les paroles qui circulent ne sont pas vaines. On touche à des questions qui font mal, qui écorchent, pour essayer de comprendre ce qui se passe sous nos yeux. Et il faut le dire, les Rencontres sont portées par le public, sans lui elles auraient pris fin ».
France Irrmann, EspaceCulture, reprend : « Pour ce 20e anniversaire nous avons décidé de nous concentrer sur le Parc Chanot et de faire des quatre jours de tables rondes, un moment festif, culturel, convivial. Ainsi, nous nous installons au Palais des arts en plus de l’auditorium, nous entendons créer un dialogue entre l’art et la réflexion ». Des documentaires, des lectures et des concerts seront proposés. Il est à noter, entre autres, le jeudi 28, un concert-lecture qui invitera à remonter « aux sources de l’Andalousie : Federico garcia Lorca et le cante jondo » ; le samedi 30 novembre c’est Rachid Taha qui occupera l’auditorium et, le dimanche 1er décembre, la violoncelliste Sonia Wieder-Atherton offrira une création : « Odyssée pour violoncelle et chœur imaginaire ».
Michel CAIRE
Renseignements et réservations : Rencontre d’Averroès

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Les conférences et table-rondes, auditorium du parc Chanot

-Jeudi 28 novembre, 18 heures, conférence inaugurale par Alain de Libera : « Athènes, cordoue, Jérusalem. Héritage partagé ou dénié ? ».

-Vendredi 29 novembre, 10 heures, « mémoires et transmission des héritages culturels ». Bien des débats, passionnés et trompeurs, autour des identités se jouent à propos des généalogies culturelles. La quête des origines se limite-t-elle à l’héritage gréco-latin, ou peut-elle s’élargir à l’héritage andalou, judéo-arabe ? Cet héritage andalou fait-il pleinement partie de la conscience européenne ?
Ou l’idée d’un Occident purifié, héritier unique de la « Grèce blanche » et de la Mare nostrum romaine, peut-il redevenir prépondérant ?
Table ronde animée par Thierry Fabre avec: Barbara Cassin, Joseph Chetrit, José Antonio González Alcantud, Ali Benmakhlouf, Alain de Libéra.

-Vendredi 29 novembre, 15 heures, conférence et deuxième table-ronde
« La Méditerranée, continent liquide ou ensemble fracturé ? ». Au-delà du débat, assez vain, pour savoir si la Méditerranée existe, ou non, il s’agit de faire le point sur ce que la Méditerranée a encore à nous dire comme champ d’analyse comparée et comme lieu pertinent pour interroger le monde contemporain. Que s’est-il passé, depuis Braudel et sa Méditerranée considérée comme un « personnage historique » ? S’agit-il d’un territoire fertile pour penser l’histoire et les grands enjeux de notre monde et de notre temps ? Ou est-ce une construction artificielle qui masque les tensions et les fractures ? À partir de son histoire, ou plutôt de ses histoires, la Méditerranée a-t-elle un avenir ?
Conférence de Edhem Eldem. Table ronde animée par Emmanuel Laurentin avec Franco Cardini, Jocelyne Dakhlia, Carla Eddé, Edhem Eldem, Brigitte Marin

-Samedi 30 novembre, 10 heures, conférence et troisième table-ronde
« féminin-masculin, liberté ou/et domination ? ». C’est une question centrale à l’échelle mondiale, mais elle a un sens tout particulier à l’échelle de la Méditerranée. Là se jouent et se révèlent des tensions et des contradictions profondes, replis, violences et dominations… Là s’accomplissent également des mutations profondes qui apparaissent notamment dans la question de la maternité et de la fertilité, qui a connu une véritable révolution silencieuse en Méditerranée. Quel est, par exemple, le rôle joué par l’accès des femmes à l’enseignement et à l’espace public ? Les rapports de genre sont-ils toujours fondés sur la domination masculine ou des espaces de liberté sont-ils en train de s’affirmer ?
Conférence de Irène Théry, table ronde animée par Séverine Liatard avec Paul Amar, Pinar Selek, Amalia Signorelli, Irène Thery, Yalda Younès.

-Samedi 30 novembre, 15 heures quatrième table-ronde
« Entre Europe et Méditerrranée, paix impossible ou/et guerre improbable ? » Là encore, cette question se joue à l’échelle mondiale et à propos de nombreuses zones de conflits. Mais qu’en est-il, singulièrement, dans l’ensemble de la Méditerranée ? Au lendemain des révolutions arabes, dont on ne perçoit sans doute que les premiers effets; du conflit persistant entre Israël et Palestine; des affrontements en Syrie, qui se poursuivent dans une étonnante impuissance internationale, et des tensions nombreuses qui traversent le monde méditerranéen, que se passe-t-il exactement sous nos yeux? Quel est l’état des conflits aujourd’hui et qu’en est-il des relations entre Europe et Méditerranée pour demain ? Allons-nous, avec l’Europe, vers la construction d’un monde commun ou les divergences, voire des failles, parfois violentes, sont appelées à devenir grandissantes ?
Dans une Europe qui semble à la dérive, où les pays européens du Sud notamment, sont particulièrement fragilisés, que peut une Méditerranée sans rivages ? Entre guerre et paix…
Table-ronde animée par Emmanuel Laurentin avec : Gilbert Achcar, Hamit Bozarsian, Denis Charbit, Salam Kawakibi.

-Dimanche 1er décembre, 11 heures, cinquième table ronde
« La Méditerranée créatrice, l’art dans la cité » Face à tous les obscurantismes, aux formes de dictatures, anciennes et nouvelles, et aux orthodoxies, économiques et financières, de nouvelles réponses sont-elles en train de naître ? Quelle place et quel rôle pour les artistes dans la Cité ? Sont-ils appelés à devenir des « artivistes », comme aime à les nommer Michelangelo Pistoletto, ou doivent-ils plutôt se tenir à l’écart de ces nouveaux « théâtres des opérations » ?
Alors que les mouvements de replis nationalistes, identitaires et religieux se renforcent, avec l’accélération et l’accumulation des crises, l’invention de formes nouvelles, la traversée des frontières, notamment artistiques, et l’ouverture au monde, peuvent-elles offrir de possibles alternatives ? Comme l’imaginait Pasolini : « Mais à dater de ce jour-là, leur folie n’a plus été la folie de la peur, mais la folie de l’homme qui rêve ». Cette obstination à rêver, ce désir de changer l’ordre des choses et de donner un autre visage à l’avenir, cette quête de nouveaux modes de vie, fondés notamment sur la pluralité et sur la convivance, ont-ils encore une chance en Méditerranée, ou l’horizon est-il bien sombre et la catastrophe annoncée ?
Table-ronde animée par Thierry Fabre avec Raja Ammar, Mustapha Benfodil, Hassan Darsi, Mario Rizzi

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