Marseille restitue un tableau de Derain à la famille d’un marchand d’art juif spolié sous l’Occupation

Publié le 28 janvier 2021 à  15h13 - Dernière mise à  jour le 30 novembre 2022 à  15h26

Ce mercredi 27 janvier, le maire de Marseille, Benoît Payan a officiellement restitué « Pinède, Cassis« , un tableau du peintre fauviste André Derain jusqu’ici exposé au musée Cantini de Marseille, aux héritiers de René Gimpel, grand collectionneur d’art juif spolié sous l’Occupation.

Benoît Payan restitue le tableau d'André Derain aux héritiers de René Gimpel  ©Ville de Marseille
Benoît Payan restitue le tableau d’André Derain aux héritiers de René Gimpel ©Ville de Marseille

René Gimpel, résistant durant la Seconde guerre mondiale et mort en déportation

Né en 1881 dans une famille juive alsacienne, René Gimpel était l’un des plus grands collectionneurs d’art du début du XXe siècle. Il entre en résistance avec ses deux fils dès 1940 et la défaite française. Il se réfugie à Marseille et, depuis la Provence et la Côte d’Azur, assure des transmissions sous couvert de la société Azur Transport qu’il finance en zone libre. Avec Gabrielle Picabia, fille du célèbre peintre, il participe à la fondation du réseau Gloria, jusqu’à son arrestation en 1942 par Vichy qui l’interne 5 mois au camp de Saint-Sulpice-la-Pointe. Relâché faute de preuve, Gimpel continue ses activités contre l’occupant et la Collaboration, notamment à partir de Monte Carlo après une formation à Londres. Il est finalement arrêté et interné en 1944, avant d’être déporté dans le camps de concentration de Neuengamme, où se trouvent de nombreux opposants politiques, dans lequel il meurt d’épuisement en janvier 1945. La justice a reconnu que les biens de René Gimpel, résistant durant la Seconde guerre mondiale et mort en déportation, avaient été spoliés et vendus sous la contrainte durant l’Occupation.

Un million et demi de visiteurs ont pu admirer ce tableau au musée Cantini

En septembre 2020, la cour d’appel de Paris avait ordonné la restitution de cette toile, ainsi que de deux autres, au motif de l’existence d’«indices précis, graves et concordants » selon lesquels les trois tableaux sont bien ceux qui ont été spoliés et «dont la vente est nulle». Parmi ces œuvres figure Pinède, Cassis, peint en 1907 par Derain et acquis en 1987 «de bonne foi» à un collectionneur marseillais en 1987 pour le musée Cantini. «En un peu plus de trente ans, ce tableau, dont on peut estimer que près de un million et demi de visiteurs ont pu l’admirer au musée Cantini, est devenu une icône des collections de Marseille», rappelle Benoît Payan qui précise: «Mais au-delà de sa valeur esthétique inestimable, ce tableau a une histoire singulière. Au lendemain de l’hommage que nous avons rendu aux 250 familles marseillaises juives livrées par la police, parce qu’elles étaient juives, déportées, et exterminées il y aura bientôt 80 ans lors de la rafle du Vieux-Port et de l’Opéra, je veux rendre un hommage particulier à un homme qui avait perçu l’immense valeur de ce tableau, et à qui nous restituons aujourd’hui, par contumace, son bien.»

La journée de la mémoire des génocides

Le maire de Marseille indique que René Gimpel avait acquis le tableau en 1921, au marchand d’art Kahnweiler. Après être revenu sur son parcours de résistant et son internement parce que juif, il met en exergue la date de la restitution de ce tableau qui «Offre un autre écho très particulier à cette cérémonie, car c’est la journée de la mémoire des génocides : les ministres européens de l’Éducation ont en effet adopté en 2002 une déclaration commune qui institue une journée de mémoire de la Shoah et de prévention des crimes contre l’humanité. La France et l’Allemagne ont choisi le 27 janvier, date hautement symbolique car elle correspond à l’anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz-Birkenau. C’est donc pour moi aussi l’occasion de dire à quel point je suis attaché au principe même de la recherche des biens spoliés, et à leur restitution sans condition à leurs propriétaires légitime.» Absents à la cérémonie, les descendants du marchand d’art ont, dans un courrier, remercié la Ville -«qui ne connaissait pas le passé douloureux» de l’œuvre-, d’avoir «redonné à René Gimpel une part de sa dignité perdue».
Anna CHAIRMANN

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