Méditerranée du futur Acte III : l’Impact investing, une priorité ? (2/3)

Publié le 4 décembre 2019 à  21h05 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  13h28

Il y a urgence à financer des projets du domaine du soutenable, à plus forte raison en mare nostrum, fragilisée plus que d’autres territoires par le dérèglement climatique : c’est l’un des messages qui, en filigrane, a guidé les interventions au fil de l’acte III de la Méditerranée du futur ; organisé le 26 novembre dernier au Palais du Pharo.

Renaud Muselier, président de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (Photo Robert Poulain)
Renaud Muselier, président de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Photo Robert Poulain)
Nasser Kamel, secrétaire général de l’Union pour la Méditerranée (UpM)
Nasser Kamel, secrétaire général de l’Union pour la Méditerranée (UpM)

«Un espace de dialogue pour investir» : voilà la vocation que l’on a attribuée à cet acte III de la Méditerranée au futur, précisée en préambule de cette journée du 26 novembre par le président de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, Renaud Muselier. Et les 46 porteurs de projets, réunis sous l’égide de cette nouvelle édition, l’ont bien compris… 46 entreprises, réseaux, institutionnels, décideurs qui ont tenté de séduire le parterre d’investisseurs présents ce jour-là au Palais du Pharo. Et un bref tour d’horizon permet de dégager une constante chez de nombreux candidats à la levée de fonds : ils s’incarnent dans le durable. C’est heureux : «après l’Arctique, la Méditerranée est la mer la plus touchée par le dérèglement climatique», avance encore Renaud Muselier. Nasser Kamel, secrétaire général de l’Union pour la Méditerranée (UpM), ne dira pas le contraire. «La situation est très alarmante», appuie-t-il à la faveur de chiffres. Dans le détail, la Méditerranée «se réchauffe à hauteur de 20% de plus que la moyenne du reste du monde. Ce qui va engendrer une baisse des ressources de l’ordre de 15% dans les prochaines décennies. D’où des conséquences directes sur la production, sur la croissance économique. Par ailleurs, 10 des 20 villes les plus affectées par le dérèglement climatique se situent en Méditerranée ! Il faut donc une mobilisation de tous les acteurs». Et entre autres acteurs, les financeurs sont visés par Nasser Kamel au premier plan. Ainsi les investissements à impact positif ont-ils peu à peu constitué une thématique centrale pour l’UpM. «Il nous faut promouvoir la finance climatique». Dans les chantiers de l’entité, la création d’«un fonds dédié aux investissements durables en Méditerranée. Nous allons le présenter lors de la prochaine COP 25 à Madrid».

Des outils financiers pour le soutenable

Serge Telle, ministre d’État, Président du Conseil du Gouvernement de Monaco (Photo Robert Poulain)
Serge Telle, ministre d’État, Président du Conseil du Gouvernement de Monaco (Photo Robert Poulain)

De fait, l’impératif de cette mobilisation est un acquis pour de nombreux acteurs. En témoigne par exemple Serge Telle, ministre d’État, Président du Conseil du Gouvernement de Monaco. «28% des espèces endémiques sont présentes à Monaco! Parallèlement, nous voyons passer la moitié du trafic méditerranéen de pétrole… Il nous est impossible de séparer l’économie des questions environnementales !» Ainsi le développement durable est-il la pierre angulaire de le politique intérieure du gouvernement monégasque, et le ministre n’hésite pas à égrener les initiatives menées sur le rocher : «Programmes pour l’accès à l’eau, la protection de la biodiversité, comme par exemple les aires marines protégées. Programme Beyond plastic Med, un appel à projets visant à avancer vers le zéro plastique…. C’est une Méditerranée de projets à échelle humaine que nous entendons mettre en place». A l’échelle de l’Europe aussi, on se mobilise pour impulser une transformation qui aille dans le sens du soutenable. Pour preuve, un nouveau programme nommé InvestEU a pris le relai de l’EFSI (Fonds européen pour les investissements stratégiques) et pourrait mobiliser quelque 698 milliards d’euros. Entres autres visées, il se fixe la réalisation des objectifs de l’accord de Paris sur le climat ou la cohésion économique, territoriale et sociale. Il œuvrera aussi dans le sens d’une meilleure protection du climat, puisque les députés ont fixé un objectif d’au moins 40% de l’enveloppe financière globale du programme InvestEU pour participer à l’atteinte des objectifs climatiques. Ainsi les outils existent. Il n’est pas exclu non plus que des réglementations ou lois à venir incitent davantage les investisseurs à privilégier les projets soutenables… Mais, force est de constater que la dynamique pour une Méditerranée durable se déploie déjà. Sur la rive Nord… mais sur la Sud aussi. « 44 milliards ont été investis en 2018 en Afrique. 80% de ces 44 milliards ont visé 4 pays : Israël (en hausse), la Turquie, le Maroc et l’Égypte. On observe par ailleurs une mutation sectorielle. Désormais, plus que des secteurs traditionnels, ce sont dans des activités comme le renouvelable, que l’on injecte des fonds… C’est une bonne nouvelle pour le développement durable», observe de son côté Emmanuel Noutary, délégué régional du réseau Anima. Dans le détail, ces investisseurs sont, plus que par le passé, basés en Chine ou dans les Pays du Golfe… L’Amérique du Nord, quant à elle, reste stable. «L’Afrique est au carrefour des investissements mondiaux », note encore ce dernier.

De multiples projets pour la planète

Table ronde (Photo Robert Poulain)
Table ronde (Photo Robert Poulain)

Et les solutions innovantes, durables, ne manquent pas. L’acte III de la Méditerranée du futur l’a démontré, start-up, PME, ETI ou grands groupes se mobilisent sur une rive et l’autre en faveur du soutenable. Grand groupe comme Thales Alenia Space, par exemple. «A Cannes, nous avons le plus grand site d’intégration de satellites d’Europe. Ces derniers permettent de surveiller les sols, la pollution, les feux de forêts, les transports… dans tous ces domaines, le spatial joue parfois un rôle méconnu. Seuls les satellites d’observation de la terre fournissent des images nécessaires à la prise de décisions politiques », illustre-t-il. L’innovation vient aussi de plus petites structures, bien sûr. Parmi ces dernières, les architectes de R-Aedificare, récupérant du matériel sur les chantiers afin de leur donner une deuxième vie, la Spin off de la Société du Canal de Provence Oshun, qui cultive l’ambition de devenir un opérateur hydraulique rural en Afrique de l’Ouest. Pour ce faire, elle a développé une gamme d’appareils mobiles de traitement d’eau autonomes en énergie via des panneaux solaires. Ils sont par ailleurs pilotables à distance et installés dans des «kiosques à eau» au sein de villages et quartiers périphériques de villes secondaires. Elle a pour l’heure ouvert une cinquantaine de ces kiosques dans sept régions du Sénégal… Autre exemple, l’entreprise Iadys, mère du Jellyfishbot, robot marin capable de collecter les macro-déchets et les hydrocarbures à la surface de l’eau. Basée au bord de la Méditerranée, la société mène, depuis ses débuts, les expérimentations du Jellyfishbot à Cassis, partenaire historique du projet. Depuis moins d’un an, plusieurs ports de la côte française méditerranéenne ont commencé à s’en équiper. Outre Cassis, il y a par exemple ceux de Cannes, de Saint-Tropez, de Monaco, de Carry-le-Rouet, de Montpellier ou encore d’Ajaccio… mais la solution séduit aussi en Suisse. Il s’agit d’en équiper les lacs, «puisque leurs déchets finissent, via le Rhône, par se retrouver fatalement dans la mer. Il y a une grande prise de conscience en Méditerranée, ce qui fait de ses acteurs des précurseurs. Les nouvelles idées autour de la collecte et le traitement des déchets, c’est surtout ici qu’on les retrouve». Bref, des projets qui forcément, pour se développer, nécessitent des fonds. 1,5 M€ pour le Jellyfishbot par exemple, non seulement pour intensifier les travaux de R&D, amorcer la commercialisation mais aussi, anticiper un cap de croissance et d’ores et déjà, passer à l’industrialisation.

Décoder la «black box»

Benedict Oramah, président d'Afreximbank (Photo Robert Poulain)
Benedict Oramah, président d’Afreximbank (Photo Robert Poulain)

Et ces projets, les investisseurs présents ont pu les jauger. Ceux du monde entrepreneurial, mais pas seulement, puisque des réseaux, des institutionnels, des consortiums ont aussi pu défendre leurs idées. Comme par exemple, celle d’Anima et du Riafpi (Réseau des agences francophones de promotion des investissements), qui nécessite une enveloppe de 3M€ et consiste justement en la mise en place d’un projet nommé Impact Invest. Son ambition : «Accompagner la troisième et la quatrième générations de politiques de promotion des investissements en Méditerranée et en Afrique». A savoir, celles qui génèrent des investissements contributeurs aux objectifs de développement durable (ODD) pour le continent. Par essence transnational, Impact Invest couvrirait ainsi 29 pays de Méditerranée d’Afrique francophone… et une période de mise en œuvre allant de 2020 à 2023. Il consiste notamment en la création d’un réseau d’agences nationales et territoriales de promotion des investissements, en la mise en relation de ces 29 pays avec une centaine d’investisseurs… « Nous travaillons sur ce projet avec l’UpM », précise Emmanuel Noutary. Une initiative qui devrait être saluée par les acteurs de la finance. C’est en tout cas ce que l’on déduit de l’intervention de Jean-Luc Allavena, président et fondateur d’Atlantys Investor, évoquant la difficulté à comprendre le marché africain. «Il est porteur, mais les plateformes comme la nôtre ont du mal à avoir accès à l’autre rive. Nous avons besoin d’être accompagnés. L’Afrique est souvent considérée comme une black box : il faut la décoder et comprendre quels en sont les circuits de décision». Même son de cloche chez Stéphane Colin, président d’Africinvest Europe : «Nous levons notamment des fonds pour permettre aux PME et aux ETI françaises qui désirent s’exporter en Afrique. En la matière, on s’est rendu compte que les freins venaient des actionnaires, qui ne comprennent pas la réalité africaine. Mais un groupe comme Africinvest sait décoder la black box de l’investissement en Afrique ». En effet, il a surtout développé un concept de co-localisation, et débloqué un fonds de 1,5 milliard d’euros dédiés à 80% aux villes africaines. «Nous avons réalisé 150 transactions en 5 ans. Nous accompagnons les PME en local, afin qu’elle se développe pour conquérir l’ensemble du continent». En effet, le marché intérieur, sans doute pas assez dense, ne suffit pas à leur croissance. Et au final, savoir décrypter les spécificités du tissu économique africain est plutôt payant : «C’est rentable si vous savez faire. Il faut surtout réaliser une bonne analyse du rapport risque/retour attendu. Nous avons la démonstration par la preuve : les entreprises qui font le choix de sites en Afrique se prévalent toutes d’une belle rentabilité». Tout ceci, dans un contexte plutôt favorable au dynamisme économique outre Méditerranée, en plein contexte de création de la Zlec, ou Zone de libre échange continentale africaine, explique à son tour Benedict Oramah, président d’Afreximbank. «A l’avenir, il s’agira d’un seul grand marché intégré africain, une plateforme qui permettra de commercer dans différentes devises africaines ». 54 des 55 pays (le seul réfractaire étant l’Érythrée) ont d’ores et déjà signé l’accord relatif à la Zlec, qui devrait passer du projet sur le papier à la réalité en juillet 2020.
Carole PAYRAU
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