Nikon Film Festival 2021. Rencontre avec Nouritza Emmanuelian, réalisatrice et comédienne du court-métrage -La quiche-

Publié le 7 mars 2021 à  19h23 - Dernière mise à  jour le 31 octobre 2022 à  15h30

Nouritza Emmanuelian, réalisatrice et comédienne de «La quiche», un court-métrage en forme de satire du rôle déterminant des réseaux sociaux quant à la carrière des artistes. Un film drôle sur fond grave qui participe au Nikon Film Festival 2021 qui cette année a pour thème «Un jeu».

L'actrice et réalisatrice Nouritza Emmanuelian  (Photo Natacha Lamblin)
L’actrice et réalisatrice Nouritza Emmanuelian (Photo Natacha Lamblin)

«Ton boulot, c’est de donner ta recette de quiches lorraines. Après tu joueras»

Intérieur d’un bureau d’une agence artistique. Deux femmes assises l’une en face de l’autre. «Je voulais te voir», dit d’emblée celle qui est une jeune comédienne : «ça fait six mois que je ne passe plus de castings.» Et l’autre de lui expliquer ce qui demeure à ses yeux une raison essentielle : «On ne te voit pas assez sur les réseaux sociaux. Il faut que tu aies plus d’abonnés.» Étonnée, la comédienne rétorque avoir une connaissance intime du jeu, qu’elle est capable de pleurer sur commande, qu’elle possède une personnalité. Échec complet. «C’est pas ton intériorité qu’on veut voir, c’est ton intimité. Fais des photos de toi partout, et sache que ça ne marche plus aujourd’hui de montrer son cul. Il faut montrer son intimité. Il faut montrer ses doigts de pieds. Et si tu as un ongle incarné c’est encore mieux.» Et devant la perplexité de la jeune actrice l’agent de conclure : «Ton boulot, c’est de donner ta recette de quiches lorraines. Après tu joueras».

« Des followers sinon rien »

Ainsi construit «La quiche» apparaît comme une comédie satirique mais à bien y regarder ce court métrage en compétition dans le cadre du Nikon Festival 2021 est une œuvre assez grave où «on rit de tout de peur de devoir un jour en pleurer.» Réalisé et joué par Nouritza Emmanuelian, artiste dont on a dit le plus grand bien lors de sa prestation en Avignon dans la pièce «Good night » avec Romain Poli, et dont on avait salué «Le monde est à nous» dans la sélection du Nikon Film Festival 2020 et qui avait reçu le prix d’interprétation féminine en 2018 pour son rôle dans son film « Je suis mes huit ans», prix décerné par Marie Gillain, Pierre Niney et Emmanuelle Bercot, (présidente), et Hugo Gélin. Une réussite autant sur le fond que dans la forme. On y trouve aux côtés de Nouritza, l’excellente Claudia Dimier rencontrée au moment où celle-ci jouait au théâtre «L’étudiante et monsieur Henri », la pièce de Ivan Calbérac, avec Roger Dumas et José Paul. D’ailleurs Nouritza -qui avait écrit «Nos amitiés les plus sincères» une comédie dramatique- avait obtenu que José Paul soit un des comédiens de la pièce aux côtés de José Franco. La crise sanitaire ayant tout stoppé ce projet est en attente de jours meilleurs.

Avec Claudia Dimier

C’est donc avec Claudia Dimier que Nouritza Emmanuelian partage l’affiche de «La quiche» qui se trouve être son cinquième court métrage. Pour raconter ce moment de vie, la réalisatrice a opté pour la technique du champ contre-champ, la plus employée au cinéma quant à la présentation de dialogues et qui permet de saisir au mieux l’intériorité des personnages.

Le résultat est d’ailleurs saisissant. Quant à la genèse du film Nouritza Emmanuelian la présente comme finalement une mise en cause d’un certain traitement de l’image des vedettes. Elle raconte: «Cette année, le thème étant « le jeu », j’ai eu envie de parler du métier d’acteur. Claudia m’a contactée, on venait de faire un film pour le Mobile Film Festival et elle m’a dit: « j’ai envie de tourner. On fait le Nikon Film Festival ? » Je lui ai répondu que cela tombait bien, j’avais envie de réaliser un film. J’ai raccroché et j’ai cherché une idée pour que nous puissions jouer toutes les deux. La problématique des réseaux sociaux est vite arrivée. Aujourd’hui ceux-ci agissent un peu comme un diktat (on pourrait parler de tous les corps de métier), car si tu n’es pas sur les réseaux sociaux parce que tu n’adhères pas au fonctionnement, tu peux rater des opportunités et moins travailler.»

Et elle ajoute: «Instagram, pour n’en citer qu’un, agit comme une vitrine. Les chaînes de télé, les productions, par manque de temps et volonté d’efficacité vont, avant de lui proposer un casting ou un rôle, se renseigner sur un acteur ou une actrice et aller voir son nombre de followers, comme si c’était un indicateur de talent. Ce qui est dangereux, c’est que le nombre de likes décident de ton destin… Je trouve cruel que des personnes extrêmement talentueuses, de nature pudique ou timide, soient en quelque sorte poussées à abandonner parce qu’elles n’arrivent pas à jouer le jeu des réseaux sociaux. J’avais été frappée de lire que Gérard Lanvin et Guillaume Canet par exemple interrogés sur les réseaux sociaux avaient confirmé que c’était effectivement n’importe quoi.»

« On n’imagine pas Jean Gabin et Lino Ventura se faire filmer en pyjama donnant dans leur cuisine la recette de la tarte aux pommes »

Non sans humour elle rajoute : «C’est l’antinomie du travail et les acteurs aujourd’hui ne font plus rêver comme autrefois.» Explique avoir vérifié que les artistes racontent tout sur leurs instagrams. «Cela enlève une part de leur mystère. Drôle d’époque, car imagine-t-on Gabin ou Ventura dans leurs cuisines donner en pyjama la recette de la tarte aux pommes», ironise-t-elle. Effectivement…et c’est bien là que le court métrage de Nouritza prend une dimension moderne et s’impose comme une œuvre de résistance, morale, pas moralisatrice et d’une beauté visuelle assez impressionnante. Et celle-ci de conclure : «Dans mon court-métrage, l’actrice n’abandonne pas mais renie ce qu’elle est profondément. Elle vend son âme au diable. C’est un court-métrage assez dramatique au fond, et c’est pour ça qu’il fallait le traiter de façon humoristique. Mieux vaut en rire qu’en pleurer, n’est-ce pas… ?»
Jean-Rémi BARLAND

[(«La quiche» un film de Nouritza Emmanuelian en compétition Nikon Festival Film
Avec Claudia Dimier et Nouritza Emmanuelian Scénario & Réal : Nouritza Emmanuelian Image : David Merlin-Dufey Son : Robin Bouët et Jérémy Nageli Assistant Montage : Olivier Riche Mix : Robin Bouët Maquillage : Aurore Gaulier Un grand merci à Olivier, Mike, Nicolas Bourreau, Alexandre, Grand Ben, Sylvie Riche, Pauline Pouchin, Jules Beautemps et Stephen Bigot.)]

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