Off d’Avignon 2021. ‘Deux frères’ de Fausto Paravidino : une ‘tragédie de chambre en 53 jours’

Publié le 30 juillet 2021 à  8h16 - Dernière mise à  jour le 1 novembre 2022 à  14h52

L’intrigue tient dans la main. « Boris et Lev, deux frères unis par une relation exclusive, habitent ensemble dans un appartement où ils hébergent Erica. La liaison de la jeune femme avec Lev et sa négligence des règles de vie commune fragilisent l’équilibre déjà précaire du trio. Et quand Boris tombe amoureux d’Erica, les deux frères n’ont plus d’autre choix que de tout tenter pour écarter l’intruse de leur vie…

Trois comédiens puissants pour « Deux frères » tragiques  (Photo de scène ©DR)
Trois comédiens puissants pour « Deux frères » tragiques (Photo de scène ©DR)

Œuvre de jeunesse sur la jeunesse, écrite par Fausto Paravidino né à Gênes en 1976, alors qu’il avait vingt ans, «Deux frères» est « une tragédie de chambre en 53 jours» qui, pour reprendre les mots du critique théâtral Olivier Celik « évoque avec une violence d’autant plus inouïe qu’elle se masque derrière les attributs du langage quotidien, le refus très contemporain du passage à l’âge adulte de deux préadolescents qui reculent l’échéance de l’entrée dans la vie de leur propre mutation».

A ce titre la nouvelle mise en scène de la pièce signée Théo Askolovitch et Tigran Mekhitarian donnée au Théâtre des Brunes dans le cadre du Off d’Avignon fait ressortir l’aspect ancien enfant des deux personnages principaux. Et nous bouleverse d’emblée par le jeu précis de ce même Théo Askolovitch qui incarne Boris, de Tigran Mekhitarian dans la peau de Lev et d’Ada Harb qui campe une explosive Erica, donnant de celle par qui le scandale arrive, un aspect muse d’une tragédie antique.

Trois comédiens puissants

Les deux acteurs, complices dans la vie et sur la scène que l’on retrouve toujours au Théâtre des Brunes dans un «Dom Juan» de Molière moderne, déjanté, nimbé d’une ambiance rap et ghetto (c’est Tigran cette fois qui signe seul la mise en scène) avaient déjà joué «Deux frères» dans le Off d’Avignon. C’était Tania Breidi qui les dirigeait et Lucie Brandsma qui s’était glissée dans la peau d’Erica, pour un spectacle qui marqua les esprits. Ayant gardé beaucoup d’éléments de cette version Théo et Tigran ont dépouillé la pièce de bon nombre d’éléments du décor initial et ont travaillé à rendre le rythme encore plus alerte. On entend aussi « Les mots bleus » de Christophe dans la reprise étonnante de Johan Papaconstantino, un morceau de «Précieuse» du rappeur Sinik, et un air bouleversant de la chanteuse libanaise Fairouz repris par Ada Harb, comédienne magnifique, musicienne elle-même, chanteuse soprano, et danseuse modern-jazz.

C’est beau, et terrible à la fois

Dans une ambiance très banlieue secouée par le fatum, les trois comédiens font respirer les silences, suggèrent ce que les mots de l’auteur italien ne disent pas, et rendent avec éclat la force d’un verbe incandescent. Avec puissance Tigran Mekhitarian semble faire de Lev un combattant de la liberté à tout prix, et du bonheur encagé, tandis que Théo Askolovitch nous rend Boris, infiniment fragile, totalement inféodé au regard de son frère. L’entendre dire, comme pour effacer de sa mémoire le drame qui a eu lieu: «Salut maman, tout va bien. Lev est rentré. Surprise ! Il a une fiancée lui aussi. On viendra vite à la maison, et on vous prendra, toi, papa, notre sœur, le chien, et on vous emmènera chez nous avec la grosse voiture blanche, et alors on ira au petit lac, moi, Lev, nos fiancées et toi, et papa, et notre sœur, et le chien », demeure un grand moment d’émotion.

C’est beau, et terrible à la fois, c’est une réflexion sur le fatum qui passe par une danse mortuaire des corps qui ont ici une grande importance, et très différente de la version proposée en 2008 à Ermenonville par Fabio Alessandrini avec Fiona Chauvin, (Erica), Sylvain Sounier (Lev) et Slimane Yefsah (Boris) c’est ici un requiem pour un paradis d’enfance perdue avec vue sur la barbarie ordinaire. Puissant et remarquable. Jean-Rémi BARLAND

« Deux frères » de Fausto Paravidino. Traduction française de Jean-Romain Vesperini. Au Théâtre des Brunes, 32 rue Thiers – 8400 Avignon. Réservations au 04.84.36.00.37. Plus d’info: theatredesbrunes.fr

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