Off d’Avignon 2021. Rencontre avec Grégoire Turine, metteur en scène et comédien dans ‘Orphelins’ de Dennis Kelly.

Publié le 22 juillet 2021 à  10h13 - Dernière mise à  jour le 31 octobre 2022 à  19h21

«A l’école je suis tombé amoureux du rôle de Liam, le personnage énigmatique de la pièce de Dennis Kelly « Orphelins ». Cela m’a suivi dans tout mon parcours de collégien et de lycéen. Ce qui m’a touché en lui c’est qu’avant de devenir un monstre c’est un être humain», confie d’emblée Grégoire Turine. «Mon seul but quand j’ai commencé à faire du théâtre, poursuit-il, c’était de jouer Liam cela m’a pris longtemps pour mener à bien ce projet et voilà que tout s’est concrétisé.»

Grégoire Turine, metteur en scène et comédien ©DR
Grégoire Turine, metteur en scène et comédien ©DR

Metteur en scène et comédien lui-même ce jeune Belge qui travailla en psychiatrie et ce dans les pas de son père directeur d’un centre, qui fut veilleur de nuit et infirmier de jour, a l’habitude de cerner les rouages d’un discours. C’est aussi pour cela qu’il demeure fasciné par le texte de Dennis Kelly, auteur dont la force est de décrire des personnages qui sont incapables de dire ce qu’ils veulent dire. Un des enjeux de la pièce est de comprendre pourquoi Liam, le-t-shirt maculé de sang, interrompt le dîner aux chandelles de sa sœur Helen et de son amoureux Danny. Que s’est-il passé ? Comment en est-il arrivé là ? Liam raconte et se raconte. C’est apparemment clair, mais très vite cela devient confus, embrouillé, et surtout d’une noirceur très explosive.

Rythme effréné, précision des mots, silences en guise de tensions, «Orphelins» secoue et touche le spectateur en rafales d’émotion. Cette pièce de Dennis Kelly qui pose plus de questions qu’elle ne donne de réponses figées, recentre, au fil des minutes son intrigue sur les approximations de Liam et sur ses silences qui ne disent pas « la » vérité mais dévoilent « sa » vérité. Expression de soi d’un être coupable avant tout de ne pas savoir qui il est, «Orphelins» comme son titre l’indique parle de famille éclatée, de transmissions impossibles, de secrets enfouis sous la patine des drames.

Double enfance, celle d’un frère et d’une sœur n’ayant jamais regardé dans la même direction (on découvrira alors que Liam fut violent très tôt), double jeu, celui que mènent le garçon et la fille qui connaît son frère, veut le protéger mais sait très bien de quoi il est capable, double temps éclaté celui de Liam et celui de Danny le compagnon d’Helen qui vit dans un monde où tout est rose, beau, noble et qui va déchanter très vite, dans «Orphelins» tout est double. Non seulement on ne sait pas ce qu’a fait réellement Liam pour débarquer avec du sang sur son tee-shirt, mais nous est proposée une réflexion sur l’idée qu’on ne connaît vraiment pas ceux avec qui on vit.

Une pièce politique

Sobre, efficace, la mise en espace du texte renforce chez le spectateur le sentiment que «Orphelins» est une pièce politique évoquant le quotidien agité des villes modernes avec ses quartiers ghettos engendrant précarité et insécurité grandissante. «Cet aspect très social de la pièce m’a vraiment passionné, explique Grégoire Turine, ma mise en scène insiste sur ce point.» Un décor presque nue avec une table, un canapé suggère le côté économiquement modeste dans lequel vivent les personnages. Comment dans son quotidien privé d’avenir, et garrotté par le déterminisme peut-on s’élever grandir, s’apaiser, panser ses plaies ? Telle est l’une des questions de «Orphelins» qui demeure servie par des comédiens hauts de gamme.

Superbe interprétation

Si Grégoire Turine est absolument parfait et juste dans le rôle de Liam, il trouve des compagnons de jeu exemplaire en Louise-Marie Hubert (magnifique) incarnant Helen femme prise entre deux feux, Dimitri Lepage, un Danny à l’esprit sage, épris d’espoir en l’humain, qui fait office de relais entre l’auteur et le public. Dimitri qui était dans la classe de Grégoire qui a très vite voulu jouer avec lui. D’ailleurs notons que Grégoire Turine né le 7 mai 1994 et qui dès l’âge de treize-quatorze ans se retrouva embarqué comme comédien-enfant sur «Le coq combattant » de Jean Anouilh est un être de fraternité. Pas étonnant donc de l’entendre dire: «Une grande pièce est un moment de partage», lui qui insuffle à ses partenaires de «Orphelins», la résilience nécessaire à bien cerner la complexité de leurs personnages. Pas de pathos, une incarnation très physique des personnages, une fin superbe et tragique, «Orphelins» et son titre le laisse suggérer est une plongée moderne dans le «Nul ne guérit de son enfance » si cher à Jean Ferrat. Et on ressort la tête emplie d’un esprit de compassion pour tous ces gens qui souffrent et qui, par ricochets infernaux peuvent détruire les autres. Et nous qu’aurions-nous fait en pareilles circonstances ? A chacun de donner alors sa solution au problème. Remarquable et remarquablement joué avec un esprit de troupe évident. Fourmillant de projets Grégoire Turine qui rêve de monter « Danse Dehli » de Ivan Viripaev où (tiens tiens encore un centre de soins). Dans la salle d’attente d’un hôpital, sobrement matérialisé par un sol de dalles blanches avec quelques meubles et écrans, six personnages affrontent successivement une relation avec le décès d’un proche -et d’une guérison. «Une grande pièce», aime rajouter Grégoire Turine, c’est quand le public attentif ne sort pas immédiatement de la salle et qu’il attend pour applaudir». Ce que nous faisons d’ailleurs au terme de «Orphelins»… grande pièce donc servie par un trio magique de comédiens magiques, et un metteur en scène d’une intelligence et d’une bonté humaine exemplaires.
Jean-Rémi BARLAND

«Orphelins» au Théâtre Albatros à 20h15 au 29, rue des Teinturiers. 18,50 € et 12,50 € Réservations au 04 90 85 23 23 & 04 90 86 11 33 – festivaloffavignon.com
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