Off d’Avignon 2021. Rencontre avec Mathias Bentahar : « une grande pièce c’est une pièce qui rassemble qui parle aux gens, qui n’est pas dans le clivage… »

Publié le 6 juillet 2021 à  11h28 - Dernière mise à  jour le 31 octobre 2022 à  19h19

Mathias Bentahar jouera dans la pièce «Has been» de Frédérique Keddari-Devisme et Stéphane Hervé au Théâtre Présence Pasteur du 17 au 23 juillet.

Mathias Bentahar (Photo La Compagnie Ils et Elles)
Mathias Bentahar (Photo La Compagnie Ils et Elles)

Juillet 2016. Théâtre du Grand Pavois d’Avignon. On donnait « Provisoire(s) » de Mélanie Chravy. Ce fut un coup de poing au ventre, un choc absolu, un immense moment de théâtre, un hymne citoyen défendant la concorde et la fraternité humaine. Avec des instants drôles cette pièce terrible nous plongeait au cœur d’un cauchemar humain : celui que vivent les migrants et autres demandeurs d’asile qui doivent se battre avec l’administration française pour obtenir des visas en règle.

Ils se prénomment Amir et Leïla. Ce sont deux jeunes Marocains en quête de papiers et surtout de dignité. Leur parcours du combattant les fera croiser des fonctionnaires pas tous sans cœur qui les aideront parfois ou se serviront de leur situation pour régler quelques comptes… conjugaux. Intelligence de la mise en scène pour ce récit d’asile vu en priorité par les intervenants sociaux. Acteurs absolument sublimes, qui jouent avec l’esprit de troupe, utilisation percutante de la vidéo, une pièce somptueuse qui fait aimer tous les humains, nos frères. Parmi eux Mathias Bentahar crevait les planches. Et voilà qu’il revient en Avignon dans le cadre du Off participant du 17 au 23 juillet à la pièce « Has been » de Frédérique Keddari-Devisme et Stéphane Hervé. C’est Paul-Frédéric Manolis qui le précèdera du 10 au 16 juillet, Mathias étant pris sur d’autres projets.

Figurant sur «Moi César, 10 ans 1/2, 1,39 m» de Richard Berry.

Comment tout a commencé ? Très jeune en fait. Par de la figuration sur le film de Richard Berry « Moi César, 10 ans 1/2, 1,39 m ». Emballé par cette expérience et fou de joie d’avoir pu côtoyer Jean-Paul Rouve, il songea alors à devenir comédien. A la fin de sa scolarité BEP Hôtellerie Mathias Bentahar passa un Bafa, et ensuite au niveau au-dessus le Bapat option théâtre. « A 17 ans j’ai rencontré Jenny Lepage, un prof qui m’a mis le pied à l’étrier, qui m’a dit fonce et m’a encouragé à faire l’école Acting International de 2010 à 2012. » Né le 15 février 1991 à Levallois-Perret, Mathias a fait pendant dix ans du théâtre aux Blancs Manteaux, avec la compagnie «Les disjonctés». S’ensuivra un stage de l’Aria en Corse où il suit notamment les interventions de Nadine Darmon. En 2014, il intègre le Studio de Formation théâtrale de Vitry-sur-Seine puis rejoint l’École Supérieur d’Art Dramatique de la ville de Paris (Esad) sous la direction de Serge Tranvouez en tant qu’élève de la promotion 2017. Il y suit entre autres les classes de Laurent Sauvage, Christiane Jatahy, Julie Deliquet, Cyril Teste, Wajdi Mouawad, Igor Mendjisky ou encore Thierry Thieu Niang avec qui il a continué de travailler, au TGP.

« Le théâtre m’a permis de parler avec ma famille »

Jusqu’à cette participation donc au festival OFF d’Avignon en 2016 avec la compagnie Les Entichés dans le spectacle Provisoire(s), une création collective mise en scène par Mélanie Charvy. « Moi dont le père est un Tunisien arrivé en France, j’ai vécu de manière assez bouleversante le fait de jouer un fils de migrant. Je me suis rendu compte que le théâtre est aussi un prétexte pour parler à sa famille, et nous avons beaucoup échangé mon père et moi. ». Et d’ajouter : «On s’est rendu compte en faisant des bords-plateaux notamment avec le patron de « France Terre d’asile » que « « Provisoire(s) » touchait les gens installant le débat, et poussait au respect des êtres.»

En 2016 Mathias Bentahar créa le collectif Abrasifs avec lequel il accompagne le collectif les Bourlingueurs pour la création du festival Les Effusions sur l’ile du Roi en Normandie. En 2017 il rejoint Amine Adjina et sa compagnie du Double dans leur nouvelle création : « Arthur et Ibrahim ». Cette pièce qu’on a pu voir à Marseille à La Friche de la Belle de Mai est une réussite absolue. A la rentrée d’ailleurs Mathias va recommencer à travailler avec Amine Adjina et Émilie Prevosteau, sur « Histoire(s) de France » la suite de «Arthur et Ibrahim ». On y retrouve ces deux personnages qui sont au collège, à qui leur enseignante demande de faire un exposé sur l’Histoire de France. Camille choisit la Révolution française, Arthur Les Gaulois, et Ibrahim que joue Mathias la Coupe du Monde 1998. Notons que cette création aura lieu à Blois du 5 au 8 octobre à La Halle aux grains. Infatigable Mathias Bentahar a créé en Octobre 2018 sa compagnie : Jean-Sol Partre. Et c’est donc dans «Has been» qu’on le retrouvera cet été en Avignon.

Un dialogue avec son moi intérieur

Pièce à plusieurs entrées «Has been » est de l’aveu même de son auteur et metteur en scène Has Been. «C’est une rencontre, une confrontation le temps d’une nuit avec un ami qui vous veut du bien mais qui bouscule toutes vos certitudes, vos garde-fous» . C’est précise l’auteure Frédérique Keddari-Devisme l’histoire d’un
homme de 45 ans qui, le jour de son anniversaire, convoque son « petit lui », lui-même à 15 ans. Son ado vient le surprendre, lui remonter les bretelles, l’interroger : Qu’est-il devenu ? Qui est-il devenu ? Où en est-il au sujet de ses rêves d’enfant ? Comment a-t-il ou non contourné les obstacles de sa vie ? … Autant de questions qui bousculent l’adulte et lui font prendre conscience de sa trajectoire plus ou moins heureuse. « »Has been » nous permet aussi de nous pencher sur le thème de l’adolescence, ses enthousiasmes, ses espoirs, ses leurres … L’adulte va avoir besoin de se recentrer, de se revitaliser, de se reprendre aussi…L’ado aura besoin d’être entendu et rassuré. Ces deux là vont se faire du bien, alors que ce n’est pas franchement une évidence, au départ.»

Au-delà de l’histoire intime, c’est aussi la confrontation entre deux époques, les années 80 et celle d’aujourd’hui. Celle de notre hyperconnectivité. «Quand nous avons écrit cette histoire avec Stéphane Hervé nous avions aussi envie de parler de notre époque où tout est connecté, l’intrusion des écrans dans nos vies, les nouvelles technologies, les réseaux sociaux qui nous accompagnent et modifient notre rapport au monde. Notre rapport à l’image, aussi.» Beau projet que Mathias Bentahar a accueilli avec enthousiasme. «Stéphane Hervé qui m’avait vu dans « Arthur et Ibrahim » où je jouais déjà un enfant m’a proposé de réitérer l’expérience en me glissant dans la peau d’un adolescent de quinze ans. Face à ce petit Fab que j’incarne se trouve Fabrice âgé de 45 ans, qui en écoutant une cassette audio de lui enregistrée quand il avait quinze ans s’émeut et voit son petit « lui » débarquer dans le présent. La pièce est le récit de leur rencontre. » Acteur charismatique et qui excelle dans les regards et la respiration des silences, Mathias Bentahar a été très remué par la pièce qui selon lui suscite plein de choses. «Qu’est-ce que grandir ? Que deviennent les promesses qu’on peut se faire enfant ? autant de questions posées ici dans ce qui est pour moi une grande pièce.»

« Une grande pièce est une pièce qui rassemble et qui donne envie aux gens d’aller au théâtre ».

Sur ce point Mathias a des idées très précises : «Pour moi une grande pièce c’est une pièce qui rassemble qui parle aux gens, qui n’est pas dans le clivage, qui donne envie aux gens d’aller plus tard au théâtre». Pari réussi. Quand on voit Mathias Bentahar sur scène on souhaite ardemment retourner voir des spectacles…vivants.
Jean-Rémi BARLAND
« Has been » au Théâtre Présence Pasteur – 13 Rue Pont Trouca, 84000 Avignon –
Téléphone : 04 32 74 18 54 – Du 10 au 23 juillet. Relâche les 16 et 19 juillet.

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