Publié le 17 juillet 2021 à 21h36 - Dernière mise à jour le 31 octobre 2022 à 19h20
C’est une «Mademoiselle Julie» d’August Strindberg comme vous ne l’avez jamais vue que propose le metteur en scène Christophe Lidon, et ce dans le cadre du Off d’Avignon.
Alors que bien souvent est proposée une vision assez pesante de l’œuvre avec une traduction un peu empesée, l’ensemble est ici solaire, lisible par tous et la pièce brille ainsi d’un éclat nouveau. Le mérite en revient d’abord à Michael Stampe, adaptateur de génie de pièces étrangères qui magnifie en amont le travail de son complice Christophe Lidon.
Travail de fond concernant Goldoni, Zweig, ou Calderon, auteur lui-même («L’art de Suzanne Brut», «L’échafaudage») Michael Stampe veille à donner, sans les trahir une vision contemporaine des textes présentés. C’est de plus tellement beau à entendre qu’on se surprend à penser que Michael Stampe est aussi doué encore que ses brillants devanciers. Le deuxième mérite en revient bien entendu à Christophe Lidon lui-même qui loin d’avoir un ego propre à poser sur les œuvres une vision monolithique du théâtre, réussit à servir les textes sans se servir d’eux.
La scénographie magnifique de «Mademoiselle Julie» choisit de mettre en avant les racines du mal de vivre de Julie et de son univers déséquilibré là où explique Christophe Lidon: «Les fantômes des parents hantent la vie de leur enfant.» C’est donc du côté de la psychologie de la jeune femme que se tourne en priorité la pièce. Tiraillée entre deux éducations qu’elle a reçues : une mère féministe qui ne l’a pas voulue, et qui lui a proposé toutes les armes d’une éducation masculine, et son père qui l’a enfermé dans le carcan d’une éducation féminine bourgeoise Julie qui séduit le valet de son père le temps d’une nuit de solstice d’été, aspire à la transgression.
Christophe Lidon la présente avec empathie, résilience et un réalisme un rien désenchanté. «Tu n’es que ce que mon père a fait de toi », lance-t-elle au valet qu’elle déstabilise, affronte, malmène, étrille elle qui déclare ne jamais devenir l’esclave d’un homme. Un écran sur la scène, une musique aux accents contrastés, orchestrent cette danse de mort à laquelle nous assistons.
Acteurs bouleversants
Le troisième mérite du spectacle (non des moindres) demeure la prestation bouleversante de Sarah Biasini, exceptionnelle de densité, qui dans le rôle de Julie fait bouger les lignes habituelles du théâtre. Magnifique, tragique et sobre, la comédienne qui a une solide habitude de travailler avec Christophe Lidon excelle à montrer sans démontrer. Nous qui l’avions applaudie au Pasino d’Aix dans la pièce de Cabello Reyes et Bénabar intitulée «Je vous écoute» nous la redécouvrons en femme libre de corps et d’esprit. A ses côtés Yannis Baraban campe un valet pas du tout victime se battant pour faire triompher son honneur mais qui (lutte des classes oblige) échouera… avec panache. Deborah Grall dans la peau de la gouvernante-cuisinière tire elle aussi les larmes . Si bien que l’on savoure cette guerre de fauves au crépuscule d’une façon pleine et entière. Et que l’on sort de «Mademoiselle Julie» submergés d’émotion.
Jean-Rémi BARLAND
Au Théâtre des halles à 16h30 jusqu’au 30 juillet. Relâches les 20 et 27 juillet. Réservations au 04 32 76 24 51 – theatredeshalles.com