Off d’Avignon 2021. ‘Tom à la ferme’ de Michel Marc Bouchard : Rencontre avec Elie Boissière…

Publié le 13 juillet 2021 à  9h43 - Dernière mise à  jour le 31 octobre 2022 à  19h20

Élie Boissière incarne Tom dans «Tom à la ferme» la pièce de Michel Marc Bouchard donnée jusqu’au 18 juillet à l’Atelier 44 par la compagnie suisse Nacéo.

Elie Boissière, un des personnages du roman
Elie Boissière, un des personnages du roman

Vous en connaissez beaucoup des comédiens dont un ami écrivain sensiblement du même âge décide d’en faire un personnage de roman ? En s’inspirant de sa vie, de leurs relations fraternelles défiant les lois de l’espace et du temps ? Mêmes loin… tout proches donc, avec pour prolonger cette sorte d’admiration affectueuse la photo de cet acteur vu de dos et légèrement flouté pour illustrer la couverture d’un autre de ses livres s’appelant «Déserteur». Cet acteur nous l’avons rencontré en Avignon où il joue dans le cadre du Off une pièce de Michel Marc Bouchard. Et pas n’importe laquelle puisqu’il s’agit de «Tom à la ferme» dont Xavier Dolan a tiré un thriller virant au film d’horreur pas du tout horrible.

Ce comédien d’une densité inouïe s’appelle Elie Boissière et son frère d’armes artistiques se nomme Boris Bergmann qui, né à Paris le 1er février 1992 s’est imposé comme l’un des jeunes auteurs français les plus doués de sa génération. Son premier roman salué par Frédéric Beigbeider créant pour lui le Prix de Flore du lycéen fera l’objet d’une adaptation cinématographique avec Béatrice Dalle dans le rôle féminin principal. C’est dans «Nage libre», un de ses romans puissants que Boris Bergmann brosse le portrait en creux de son pote Élie Boissière et signalons que physiquement comme moralement le modèle ressemble à bien des aspects et à s’y méprendre à l’être réel. A sa sortie de l’école de théâtre en 2017 (AIT Blanche Salant et le Studio d’Asnières) Élie fonda, avec des amis, le collectif JCL et a enchaîné les spectacles à Paris pendant trois ans.

En 2018, il met en scène avec Ben Popincourt «Survies» à la galerie Lapaix et joue dans «Remember», mis en scène également par Ben Popincourt, aux Grandes-Serres de Pantin. A l’écran, il tourne avec Anton Bialas dans «Derrière nos yeux» (sélection officielle au FID Marseille). Une magnifique œuvre à la frontière entre le réel et la fiction, il s’agit d’une mise en regard de trois figures solitaires, vagabondes, composée en trois temps ; de la vieillesse à l’adolescence, vers un état de l’enfance. «Il y a Patrick, vivant dehors, dans les parcs, les jardins, traversant la ville, emplissant ses yeux de lumière pour qu’une fois la nuit tombée il en ait encore et juste assez ; Aliasare, errant entre sa chambre bleue et le monde extérieur, passant ses journées à peindre et à limer le mur qui le sépare des autres ; et enfin Hadrien, jeune aveugle parcourant une forêt à la recherche d’une sensation perdue.»

Des goûts très éclectiques

«J’ai des goûts très éclectiques et je n’aspire qu’à jouer», précise Élie Boissière qui ne se contente pas d’incarner sur les planches des personnages très éloignés de lui, mais qui grand spécialiste de vins est un sommelier émérite à Zurich la ville où il réside. C’est d’ailleurs en Suisse qu’il s’est greffé à la compagnie Nacéo qui l’entraîna dans l’aventure de plusieurs projets. Dont ce «Tom à la ferme» où il est Tom justement dans un mélange de force et de fragilité très emblématique du personnage.

On se surprendrait presque d’ailleurs à affirmer si on ne connaissait pas comme c’est mon cas son empathie pour les autres, sa disponibilité et sa gentillesse qu’il ne joue pas mais qu’il est …Tom cet être singulier débarquant dans une ferme isolée pour assister aux funérailles de son amoureux tué dans un accident de moto. Un rôle de composition en fait dont il faut saluer la justesse de ton, la pertinence des silences, et la force des regards. Si Élie Boissière est à ce point impressionnant, il le doit aussi au travail méticuleux de son metteur en scène Olivier Sanquer, le fondateur de la Compagnie Nacéo. On ajoutera qu’au théâtre on n’est jamais bon de façon strictement individuelle et que Élie est accompagné dans son travail par des comédiens tout aussi talentueux. Trois filles : Marie Burkhardt qui campe Agathe la mère de l’amant disparu, Amandine Favier et Angélique Kern Ros (en alternance dans la peau de Sara l’amie mystérieuse) et un homme Francis interprété par Axel Arnault un des piliers de la compagnie Nacéo. Pièce sur un secret de famille, réflexion sur la douleur de ne pas se sentir soi-même, tragédie antique avec poids du fatum où Michel Marc Bouchard s’impose comme le Racine du 20e siècle, «Tom à la ferme» pose davantage de questions quant à la destinée humaine qu’elle n’apporte de réponses fermées. C’est là sa force et son charme aussi le récit offrant des moments d’humour noir frappant les esprits. On ressort de cette version raccourcie (Off d’Avignon oblige) totalement conquis, secoué aussi, en miettes souvent, totalement bouleversés toujours, et on peut dire que le jeu solaire de Élie Boissière incarnant un être fragile et fort, coupable et victime, bon et mauvais, y est pour beaucoup. Acteur dont l’énergie passe d’abord par le corps Élie invente, surprend, malmène le texte en le respectant. C’est beau, noble, grand et poignant, et cela illustrerait presque cette magnifique phrase qui ouvre « Anna Karénine » : «Les familles heureuses se ressemblent toutes. Les familles malheureuses sont malheureuses chacune à leur façon ». Un chef d’oeuvre en tout cas…
Jean-Rémi BARLAND

A voir : «Tom à la Ferme» à l’Atelier 44 jusqu’au 18 juillet à 12 heures au 44, rue Thiers – Avignon. 16 €, 11 €. Réservations au 04 90 16 94 31.
A lire : «Tom à la ferme» de Michel Marc Bouchard aux Éditions Théâtrales -124 pages 17 €.

Articles similaires

Aller au contenu principal